N’obéissant à aucune règle de frontières, la Covid-19 s’est propagée dans pratiquement tous les pays du monde, plongeant de plus en plus de personnes, les enfants en particulier, dans l’insécurité alimentaire et la malnutrition chronique.
Que ce soit à l’échelle des pays ou des organisations et instances continentales, la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique constitue l’une des préoccupations majeures dans les agendas politiques et économiques 2022.
Après l’Union africaine (UA) qui a décidé de se remobiliser à travers le lancement, depuis Addis-Abeba en Ethiopie, où s’est tenu du 5 au 6 février son sommet, une initiative visant à « bâtir une résilience en matière de sécurité nutritionnelle sur le continent africain, à renforcer les systèmes agroalimentaires et les systèmes de santé et de protection sociale pour accélérer le développement socio-économique et du capital humain», c’est au tour de l’ensemble Proche-Orient/Afrique du Nord de faire siennes les priorités stratégiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) concernant la transformation des systèmes agroalimentaires.
Le 8 février, à Baghdad (Irak), les ministres de l’Agriculture et les délégués des pays de cette région se sont engagés au terme de la trente-
sixième session de la Conférence régionale de la FAO pour le Proche-Orient qui compte une trentaine de membres dont l’Algérie, à «œuvrer à la transformation des systèmes agroalimentaires, à favoriser un développement rural et agricole inclusif et durable et à promouvoir la sécurité alimentaire pour tous».
Les participants ont, en outre, souscrit au Cadre stratégique 2022-2031 de la FAO puis officiellement adopté les quatre priorités régionales relevant du programme de travail de l’Organisation pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord, où l’accent est mis sur «la création de chaînes de valeur inclusives et d’emplois pour les jeunes ruraux, la promotion de la sécurité alimentaire et de régimes alimentaires sains pour tous», est-il rapporté dans une déclaration parvenue ce week-end à notre rédaction.
C’est une sorte de sonnette d’alarme qui résonne ainsi depuis maintes tribunes pour mettre en garde contre la menace sérieuse de l’insécurité alimentaire qui pèse sur plusieurs régions du monde, surtout le continent africain.
Et les données du dernier rapport de la FAO sont loin d’être rassurantes : en 2020, 21% de la population, soit 418 millions de personnes étaient sous-alimentées.
Pis, atteindre l’objectif d’élimination de la malnutrition infantile en vue de faire reculer «le retard de croissance à 10% et l’insuffisance pondérale à 5% d’ici 2025 tel que fixé dans le cadre des engagements de 2014 (Maputo/Mozambique)», s’avère de moins en moins évident.
D’autant que 58,7 millions d’enfants africains de moins de 5 ans souffraient déjà en 2019 de retard de croissance, soit plus du tiers de l’effectif mondial et seulement 7 pays membres affichent un taux de retard de croissance infantile en dessous de 19%.
Une année plus tard ont également été recensés au moins 155 millions de personnes dans 55 pays ou territoires faisant face à l’insécurité alimentaire aiguë à un niveau de crise ou pire, soit environ 20 millions de personnes de plus qu’en 2019.
Les conflits, les chocs économiques, notamment ceux liés à la a pandémie Covid-19, et les conditions météorologiques extrêmes risquent de précipiter, en 2022, des millions d’autres personnes dans le besoin urgent d’une aide qui préserve leur existence et leurs moyens de subsistance.
Autres mises en garde, autres initiatives
Cette autre mise en garde contre le scénario d’une sévère crise alimentaire pouvant mettre le monde en péril a été exprimée par le Réseau mondial contre les crises alimentaires (GNAFC), alliance internationale rassemblant des institutions des Nations unies, l’Union européenne et des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux dans la lutte contre les crises alimentaires, semble avoir été prise très au sérieux.
En effet, récemment, il a officiellement été déployé l’Unitlife, un fonds spécial des Nations unies exclusivement dédié à la prévention de la malnutrition chronique. Soutenu par la détermination de ses initiateurs – l’ONU Femmes, l’UN Capital development fund (UNCDF), le gouvernement français et la cour du prince héritier d’Abou Dhabi à relever les grands défis alimentaires futurs –, ce programme mondial s’appuie sur des financements et des partenariats innovants afin de «protéger la prochaine génération de la malnutrition chronique.
La maladie affecte actuellement 149 millions d’enfants dans le monde, limitant leur croissance et leur potentiel futur.La pandémie de la Covid-19 devrait provoquer une augmentation généralisée de la malnutrition en raison des perturbations des systèmes alimentaires, de santé et de protection sociale».
N’obéissant à aucune règle de frontières, la Covid-19 s’est propagée dans pratiquement tous les pays du monde, plongeant de plus en plus de personnes, les enfants en particulier, dans l’insécurité alimentaire et la malnutrition chronique, a ainsi amené nombre d’institutions à réfléchir sur un nouvelle forme de financements des systèmes alimentaires, notamment dans les contrées en proie à une pauvreté extrême, leur donnant les moyens d’une adaptation durable et de résilience : «Bien qu’elle touche 149 millions d’enfants dans le monde, la malnutrition chronique manque à la fois de visibilité et d’investissements adéquats.
C’est en s’appuyant sur des financements et des partenariats innovants que l’Unitlife cherche à combler ces déficits et à financer des systèmes alimentaires nutritifs et une agriculture intelligente face au climat, tout en autonomisant les femmes et en les sensibilisant davantage à l’importance vitale d’une bonne nutrition pour leurs enfants».
D’autant que les perturbations des systèmes alimentaires, de santé et de protection sociale induites par la pandémie de la Covid-19 pourraient plonger pas moins de 2,6 millions d’enfants supplémentaires dans la malnutrition chronique d’ici 2022.
Ce qui rend encore plus urgente la nécessité de lutter contrele fléau, en concentrant une part importante des efforts sur les femmes enceintes et allaitantes, et les nourrissons pendant la période cruciale des 1000 jours entourant la naissance d’un enfant, insistent les initiateurs de l’Unitlife.
«En raison de la pandémie de la Covid-19, beaucoup de parents ne sont plus en mesure de nourrir leurs enfants correctement. Or, la nutrition constitue le socle qui permet de donner aux enfants le meilleur départ dans la vie et d’échapper ainsi au cycle de la pauvreté ou des conflits. C’est pour cela que la nutrition impacte directement la réalisation d’au moins 12 des 17 objectifs de développement durable», insiste Scalling Up Nutrition Movement, mouvement réunissant, outre les gouvernements des pays SUN, tous les acteurs (société civile, Nations unies, bailleurs, entreprises et chercheurs) dans un effort collectif pour améliorer la nutrition.
Surtout que les conséquences de la malnutrition chronique – retard de croissance, développement cérébral altéré et système immunitaire affaibli – sont, en grande partie, irréversibles. Aujourd’hui, 1 enfant sur 5 dans le monde souffre de cette maladie.
Par rapport à leurs semblables, les enfants qui en sont atteints «ont du mal à réussir à l’école et gagnent en moyenne 20% de moins à l’âge adulte». Aussi, la présence de la malnutrition chronique est non seulement une tragédie humaine, mais également un énorme obstacle au développement économique des pays. En Afrique, où elle touche 1 enfant sur 3, le coût de la dénutrition est estimé à 16% du PIB de certains pays. Et, bien qu’elle affecte près de 150 millions d’enfants dans le monde, la malnutrition chronique reste peu connue du public.
C’est dire à quel point la pandémie de Covid-19 s’est avérée destructrice et les enjeux liés aux systèmes alimentaires cruciaux dans leurs dimensions à la fois sociale, environnementale et économique. En témoignent encore nombre d’indicateurs mis en exergue par le Réseau mondial contre les crises alimentaires (GNAFC) dans son rapport 2021 : dans les 39 pays et territoires qui ont connu des crises alimentaires au cours des cinq années, le nombre de personnes confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë est passé de 94 millions à 147 millions entre 2016 et 2020.
En outre, dans les 55 pays et territoires frappés par une crise alimentaire, plus de 75 millions d’enfants de moins de 5 ans souffraient d’un retard de croissance (trop petite taille) et plus de 15 millions d’entre eux souffraient d’émaciation (maigreur excessive) en 2020.
Si l’on se fie toujours à l’état des lieux dressé par le Réseau mondial, la tendance haussière du phénomène s’expliquerait, surtout, par les violents bouleversements socioéconomiques provoqués par la Covid-19 qui «ont pris la place des événements météorologiques, tant par le nombre de personnes que par le nombre de pays touchés».
A vrai dire, «la pandémie de Covid-19 a révélé la fragilité du système alimentaire mondial et la nécessité de rendre les systèmes plus équitables, plus durables et plus résilients afin qu’ils fournissent de manière ininterrompue une alimentation nutritive à 8,5 milliards d’êtres humains d’ici à 2030», admet le Réseau GNAFC.
D’où la nécessité d’une transformation radicale des systèmes agroalimentaires en vue de concrétiser les objectifs de développement durable. «Le caractère prolongé de la plupart des crises alimentaires atteste que les évolutions environnementales, sociales et économiques inscrites dans la durée, qui se doublent de conflits plus nombreux et d’une insécurité croissante, érodent la résilience des systèmes agroalimentaires.
A défaut d’un renversement des tendances que l’on observe aujourd’hui, la fréquence et la gravité des crises alimentaires iront croissant», préviennent les membres de cette alliance internationale qui œuvre en faveur d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable dans le monde.