Les récents procès suivis de condamnations à l’encontre de jeunes influenceurs imposent le débat sur la définition juridique de ce nouveau «métier» et les obligations de ceux qui le pratiquent. La loi est insuffisamment adaptée pour traiter ce genre de situation, d’autant plus que le créneau de la publicité était réservé jusqu’ici à des entités dûment agréées.
La plupart des entreprises trouvent dans l’influenceur une occasion en or pour promouvoir leur marchandise, notamment lorsqu’il s’agit de produits destinés aux jeunes et aux femmes, comme les vêtements et les cosmétiques, les offres de formation et d’études, les centres de beauté.
Les débats ont été relancés en Algérie à propos des stars des réseaux sociaux «accusées de fraude», après la condamnation de trois influenceurs, jeudi 16 juin, à un an de prison ferme chacun et une amende de 100 000 DA dans une affaire d’arnaque contre des étudiants qui avait défrayé la chronique (l’affaire Future Gate).
Une condamnation pour avoir fait la promotion des services d’une agence, qui a arnaqué de nombreux étudiants algériens souhaitant effectuer des études à l’étranger, notamment en Russie, en Ukraine et en Turquie.
Ce genre de dossier est nouveau pour la justice qui ne sait pas comment traiter ce type d’affaire. Il y a beaucoup de flou : lorsque des influenceurs s’embarquent dans cette pratique virtuelle ont-ils une part de responsabilité ?
Normalement oui, répond une partie des juristes, puisqu’ils s’adressent à un public et font de la publicité. Quand ils font leur réclame, est-ce qu’ils signent des contrats ou suffit-il de créer un compte sur les réseaux sociaux et gagner de l’argent ?
Il y a manifestement de la confusion, du flou et même on peut dire qu’on est face à un vide juridique. La loi est insuffisamment adaptée pour traiter ce genre de situation, d’autant plus que le créneau de la publicité était réservé à des entités agréées qui paient des impôts.
La justice est ainsi face à des jeunes qui, dans la grande majorité des cas, méconnaissent la loi, ne savent pas quelles sont leurs limites légales et déontologique, et même les avocats ne maîtrisent pas tous les subtilités de ce genre d’affaire très compliquée.
Du fait du retard qu’accuse la législation algérienne, plusieurs influenceurs sont poursuivis en justice, certains sous mandat dépôt, d’autres sous contrôle judiciaire. «Le marketing d’influence est une pratique très vaguement abordée par la loi algérienne, comme dans beaucoup d’autres législations. Elle est cependant reconnue comme un métier à part entière. Cette activité, répandue aujourd’hui dans tous les pays du monde, est assimilée à celle de l’entrepreneuriat, puisqu’elle induit une véritable stratégie de communication et surtout de marketing», souligne la start-up Legaltech, éditrice de la plateforme legal-doctrine.com.
S’exprimant sur le sujet dans une récente déclaration, l’expert algérien dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, Younes Grar, a déclaré, pour sa part, que les influenceurs qui sont suivis par des millions d’internautes en Algérie et qui gagnent de l’argent grâce à leurs activités «n’ont aucun statut juridique» et que «leur activité commerciale n’a pas de présence explicite».
L’activité de l’influenceur sur les réseaux sociaux est une profession encadrée légalement, mais seulement en théorie. Les vides juridiques existants favorisent la circulation de fonds importants en dehors des cadres légaux.
Depuis le 17 avril 2021, de nouvelles mesures concernant l’activité d’influenceur ont été prises en Algérie. Les influenceurs bénéficient désormais d’un statut légal reconnu. Le Centre national du registre du commerce (CNRC) a ajouté une nouvelle nomenclature d’activité permettant à cette catégorie de créateurs de contenus sur les différents réseaux sociaux d’exercer leur activité dans un cadre légal et régi par la loi.
En l’absence d’un statut juridique propre aux influenceurs en France par exemple, la nature du contrat conclu entre ce dernier et l’enseigne détermine les modalités d’imposition de la rémunération perçue. L’idée étant que les influenceurs perçoivent une rémunération de la part de la marque, ce qui revient à dire qu’ils sont dans l’obligation de payer des impôts.
En Algérie, des voix s’élèvent de plus en plus pour au moins codifier l’activité des «influenceurs» sur les réseaux sociaux dans un contexte d’organisation du paysage médiatique, en particulier au niveau numérique.
Des spécialistes ont appelé à mettre en place des mécanismes juridiques par rapport au travail de ces influenceurs sur les réseaux sociaux, afin d’éviter de nouveaux dépassements qui ne peuvent être contrôlés sans une loi réglementant cette activité.
Certains experts de la question exigent de faire la différence entre «les influenceurs», et les «youtubers», parce que l’influenceur a un rôle dans la sensibilisation et le comportement social.
Le développement du monde, selon eux, doit s’accompagner de contrôles juridiques qui protègent les consommateurs et les influenceurs, mais la loi doit être équilibrée et équitable entre droits et devoirs.
Les autorités avaient précédemment publié la loi relative à la prévention et à la lutte «contre la discrimination et le discours de haine» en 2020.
Un récent forum national organisé par l’université de Relizane sur le marketing de réseau et les influenceurs a exhorté à l’adoption «d’une définition scientifique du terme influenceur, car, actuellement, il s’applique à tous ceux qui possèdent un téléphone intelligent, publient leur quotidien et leur vie privée sur les réseaux sociaux pour obtenir le plus grand nombre d’abonnés en suscitant leur curiosité».
Le forum s’est concentré dès sa session d’ouverture sur la définition du concept d’influenceurs, de créateurs de contenu et de marketing d’influence ainsi que leurs aspects négatifs, tels que le «phishing numérique» et la cybercriminalité.
Un internaute algérien sur deux est abonné à un influenceur
La deuxième session s’est concentrée sur le rôle des influenceurs dans le changement du comportement de consommation de leurs abonnés et les mécanismes de persuasion qu’ils adoptent en cela.
Tous les participants ont convenu de l’importance de la crédibilité de l’influenceur dans la promotion de la marque pour fidéliser la clientèle. La plupart des entreprises trouvent dans l’influenceur une occasion en or pour promouvoir leur marchandise, notamment lorsqu’il s’agit de produits destinés aux jeunes et aux femmes, comme les vêtements et les cosmétiques, les offres de formation et d’études, les centres de beauté.
Ces entreprises n’hésitent pas à proposer aux influenceurs beaucoup d’argent en échange de quelques minutes de publicité, avec des éloges pour un produit qui n’est pas testé à l’origine par ceux qui en font la publicité.
Selon l’étude «Algeria Digital Trends», réalisée par l’agence Amachal, un Algérien sur deux, environ 50%, est abonné à un influenceur sur les réseaux sociaux.
En effet, les internautes algériens, d’après la même étude, s’intéressent aux influenceurs activant sur YouTube (61%), Facebook (59%), Instagram (59%), mais également TikTok (6%) qui attire de plus en plus d’abonnés. L’étude évoque aussi le réseau social Snapchat (3%) qui se classe à la dernière place du classement.
«Les ‘‘followers’’ sont inspirés par ces personnages, qui partagent leur quotidien, allant des recettes aux bons plans, make-up, voyage (…). 51% des personnes révèlent suivre des influenceurs pour découvrir de nouvelles choses. 44% les suivent pour apprendre, 25% pour se divertir et 18% par curiosité», a précisé la même source.
A cet égard, le spécialiste du numérique, Athmane Abdellouche, a confirmé dans une déclaration médiatique que «le législateur n’a pas été en mesure de suivre le rythme de l’énorme développement de la numérisation, et que notre société et notre administration souffrent de l’analphabétisme numérique, qui fait accepter aux enfants et aux jeunes toute nouveauté du numérique, sans en comprendre les avantages et les inconvénients et comment le contrôler».
Les influenceurs sont en concurrence déloyale avec les agences de publicité, qui activent légalement, paient des impôts et disposent d’un registre du commerce, et sont désormais en concurrence aussi avec les chaînes de télévision qui sont les premières touchées par le phénomène et qui peuvent intenter des poursuites contre elles.
Le processus publicitaire doit se dérouler à travers des étapes juridiques, dont la première est la signature d’un contrat légal entre la société propriétaire du produit et l’influenceur numérique, contenant le sceau et la signature des deux parties, et si le montant est important, il est versé via un compte bancaire ou postal, pour le contrôler et en déduire la taxe.
Mode d’emploi d’un business
Ils utilisent tous les mêmes astuces : d’abord, ils établissent une relation de confiance avec leurs abonnés, ensuite, ils assurent qu’ils utilisent eux-mêmes le produit, même si ce n’est pas vrai et, enfin, ils promettent à l’abonné qu’il fera une super affaire.
De nombreux litiges peuvent apparaître à la livraison (service après-vente). La qualité du produit reçu est souvent bien éloignée que celle de l’influenceur avait promise.
Publicités déguisées ou mensongères sur les caractéristiques d’un produit, commandes jamais livrées, tromperie sur la marchandise et fausses promotions, des milliers de signalements se multiplient.
Le défaut de transparence est davantage le fait des influenceurs à faible audience. Mais si la déontologie est plus respectée du côté des influenceurs populaires, des manquements ont toutefois été identifiés chez des créateurs de contenus.
Plusieurs entreprises voient en ces stars du web un nouveau moyen d’attirer une clientèle jeune et dynamique en faisant du placement de produits. Dans l’univers de la communication numérique, l’influence marketing permet d’être plus intime avec les consommateurs et de créer des conversations.
Les influenceurs sont censés capter l’attention d’un public de plus en plus connecté et surtout des jeunes consommateurs une dimension que n’aurait pas la publicité télé ou radio.
Les placements de produits en tête du classement
Sans surprise, les placements de produits arrivent en tête du classement. Ils sont suivis par l’invitation à un événement, la production de contenu pour le compte de la marque, les partenariats du type ambassadeur et les partenariats récurrents avec une marque.
Pour les followers, s’inscrire sur un réseau social est un moyen de partager leurs passions et centres d’intérêt, de s’informer de l’actualité d’une marque, d’un artiste, d’une personnalité, d’un sujet qui les intéresse. La curiosité et l’envie de passer le temps les mènent aussi vers les réseaux sociaux.
Ils choisissent ainsi leurs réseaux privilégiés selon les thématiques qu’ils suivent. Sur Facebook, ils s’intéressent aux influenceurs en matière de cuisine, beauté et bien-être, sport.
Sur Instagram, on retrouve les mêmes thèmes avec en plus le voyage, la mode et le développement personnel. Sur YouTube, s’y ajoutent les domaines éducatif et high-tech. L’humour et les gags sont avant tout l’apanage de TikTok.
Reste à savoir s’ils sont la simple représentation d’une tendance éphémère ou s’ils sont au contraire le reflet d’évolutions profondes de nos systèmes de consommation ?