Un nouveau livre est consacré aux soixante ans d’indépendance de l’Algérie ; Guerre d’Algérie. Le trou noir de la mémoire, écrit par Sébastien Boussois, chercheur, spécialiste du Moyen-Orient et du monde arabe, il est paru aux éditions Erick Bonnier (Paris-La Rochelle 2022).
Le livre est avant tout destiné à un public français, dans l’objectif de rafraîchir les mémoires endormies sur ce laps de temps écoulé entre la fin de la colonisation de l’Algérie et aujourd’hui. Les lecteurs algériens seront pour autant édifiés, en ce soixantième anniversaire de l’indépendance.
L’auteur rappelle qu’il a fallu attendre 1999 et le président Jacques Chirac pour que la France reconnaisse finalement qu’une «guerre» avait bien eu lieu entre la France et l’Algérie entre 1954 et 1961 et non pas des opérations extérieures de «maintien de la paix».
Dans sa préface, l’historien Benjamin Stora note que «le chercheur parvient à dresser dans son ouvrage un état des lieux de la connaissance des jeunes Français (plutôt d’origine algérienne, pied-noir, harki) qui ont un lien indirect avec l’Algérie. Boussois revient sur tous les supports objectifs (scolaires, culturel, artistique, politique) qui permettent de disposer des outils nécessaires pour creuser le sujet».
L’historien souligne que si «une mémoire n’est pas stimulée par la répétition et la nouveauté, elle disparaît corps et âme».
Dans son premier chapitre, Sébastien Boussois n’hésite pas à titrer sur l’impensé : «1830-2022 ; mise en perspective historique de la Guerre d’Algérie.» Lier le conflit sur sa longue durée permet de sortir du très limité laps des huit ans de guerre de 1954 et 1962. Ce regard offre à l’auteur une lucidité accrue sur son domaine d’études dans lequel tout est répertorié : livres, écoles, sports, arts sous toutes ses formes.
Sébastien Boussois projette un kaléidoscope de ce qui subsiste de la mémoire dans une France post-coloniale lorsque dans sa deuxième partie il aborde le traitement politique et médiatique depuis les années 1960 : «L’Algérie fut un déchirement pour la France. Elle l’est encore aujourd’hui, jusqu’à l’impossible pacification des relations entre les Français autour de cette question.»
«LES SILENCES ET LES TABOUS DE L’HISTOIRE»
Les termes choisis ici «impossible pacification» sont savoureux, tant ils renvoient à ce que croyait pouvoir réaliser la puissance coloniale en 1954. Le reste est plus tragique car il conditionne les impasses actuelles : «Le paradoxe est que ce déchirement s’aggrave dans les silences et les tabous de l’Histoire et que les jeunes sans connaissance approfondie de l’événement peuvent s’en emparer à tout moment au nom d’une revendication politique, sociale, identitaire.»
Ce dernier mot rappelle les jeunes identitaires d’extrême-droite qui activent au nom d’une Histoire mal digérée, accablant étrangers, Arabes et migrants, comme symboles du déchirement d’une Algérie perdue qu’ils n’ont même pas connue.
Cette identité est aussi la quête des jeunes Algériens, perdus entre deux rives incertaines et pouvant être instrumentalisés comme dans les années 1980 lors de la marche dite des beurs. L’auteur note : «Un moyen indirect pour François Mitterrand (NDLR président de la République de 1981 à 1995, secrétaire d’Etat à l’intérieur puis à la Justice au début de la Guerre d’Algérie) de se refaire une santé, après un passé sulfureux avec l’Algérie et de lutter activement contre le Front national… Cette fois, il orchestre son soutien aux Français d’origine algérienne en oubliant le passé.»
Sébastien Boussois cite Djamel Attalah, ancien marcheur de 1983 : «Un certain schéma colonial était toujours en vigueur.» (…). Il témoigne des anciens rapatriés : «Moi par exemple, je n’étais jamais nommé autrement que par ‘‘le petit fellagha’’.»
Une prégnance si forte de la guerre, 20 ans après l’indépendance, qu’un attentat visant l’arrivée des «beurs» à Paris en novembre 1983 fut déjoué, après tous les attentats anti-algériens durant les années 1970.
Le père Christian Delorme, soutien actif de la marche de 1983, raconte à l’auteur : «A l’arrivée, on a dispersé les marcheurs en plusieurs groupes, par sécurité. Mais après je n’en ai plus entendu parler. Je crois qu’on avait préféré taire l’affaire .» (page 70).
L’ENSEIGNEMENT DANS LES ÉCOLES, PARENT PAUVRE DE LA MÉMOIRE
Dans les chapitres suivants, Sébastien Boussois consacre un large espace à la manière dont est enseignée l’Algérie. Si en France comme en Algérie à l’université, le thème est largement traité par des professeurs et des thèses, le parent pauvre reste à ce jour l’enseignement au collège et au lycée en France. De même dans la littérature jeunesse où rares sont les publications. Alors qu’elles sont pléthores dans les ouvrages érudits pour adultes.
De même qu’au cinéma, les films sont assez nombreux qui évoquent parfois de façon subliminale la guerre d’Algérie et d’autres fois directement.
Ancien habitant d’Algérie, qu’il a quittée jeune, Alain Vircondelet, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Algérie, confie : «Pour ma part, je suis captif d’une certaine manière, de ce pays, comme si j’avais subi un enchantement, un sortilège, l’Algérie est au cœur de ma vie. Pas un jour (et ce n’est pas une formule) où l’Algérie ne soit présente.»
En une métaphore, on pourrait se demander si cet envoûtement ne serait pas finalement celui dont la France n’arrive pas à se défaire.
Paris
De notre bureau Walid Mebarek