Il y a quarante-trois ans disparaissait Hadj Abderrahmene : L’Inspecteur Tahar a marqué des générations d’Algériens

27/11/2024 mis à jour: 11:53
1911
Hadj Abderrahmene

 Sa célèbre moustache, son trench-coat serré par la ceinture, son accent jijelien, sa façon de se présenter 
et son jeu inimitable avaient fait de lui l’un des personnages les plus populaires auprès des cinéphiles 
et des téléspectateurs algériens entre les années 1960 et 1980.  

 

Ses films, que l’on n’a pas la chance de revoir de nos jours sur les écrans à l’ère  du numérique, malgré leur succès durant la belle époque du noir et blanc, demeurent importants en qualité d’archives, suscitant l’engouement des nostalgiques intéressés qui peuvent les voir sur YouTube. Hadj Abderrahmene Ben Mohamed, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ayant campé le personnage célèbre de l’inspecteur Tahar, avait formé avec son complice et ami, Yahia Benmabrouk, alias «l’Apprenti», son aîné de 12 ans, le duo le plus célèbre dans l’histoire du cinéma algérien. Il s’était éteint brusquement le 4 octobre 1981 à Paris à l’âge de 41 ans, après son évacuation vers l’hôpital suite à une mystérieuse maladie, dont on n’a jamais su les causes. 

Né le 12 octobre 1940 dans le quartier de Télemly à Alger, Hadj Aberrahmene grandit dans une famille qui serait, selon certaines sources, originaire de la ville de Taher dans l’actuelle wilaya de Jijel. Il a passé son enfance et son adolescence à El Harrach. 

Il avait commencé à montrer un intérêt pour le cinéma dès son jeune âge. En 1962, à l’âge de 22 ans, il avait rejoint l’ex-Radio et télédiffusion algérienne (RTA) où il avait commencé à travailler comme opérateur technique, puis caméraman. Très passionné par le théâtre, il avait fait ses débuts sous la direction du célèbre comédien, écrivain et metteur en scène Allel El Mouhib (1920-1995), qui était à l’époque enseignant d’art dramatique au Conservatoire municipal d’Alger. Avec ce dernier, il commence à jouer dans des pièces comme Monserrat d’Emmanuel Roblès, incarnant le rôle du moine, comme il se voit attribuer le rôle du curé dans Les fusils de la mère Carrar de Bertolt Brecht. A la même époque, au milieu des années 1960, Yahia Benmabrouk, ancien membre de la troupe artistique du FLN durant la guerre de Libération, était comédien au Théâtre national algérien (TNA). C’est au sein de cette institution qu’ils se sont rencontrés. 


Débuts d’un duo de génie 

Mais, au fait, c’est grâce au réalisateur Mustapha Tizraoui (décédé le 12 juillet 2006), que les deux compères se retrouvent ensemble dans un sketch où Hadj Abderrahmene joue le rôle de «l’Inspecteur Tahar» interprété avec un accent typiquement jijelien, alors que Yahia Benmabrouk jouait celui de «l’Apprenti». Le prénom de Tahar a été choisi en hommage au grand réalisateur Tahar Hannache, qui avait lui-même enseigné les techniques du cinéma à Hadj Abderrahmene lorsqu’il était caméraman à l’ex-RTA. Les deux comédiens (Hadj Abderrahmene et Yahia Benmabrouk) donneront ensemble plusieurs sketches un peu partout en Algérie à diverses occasions dans les années 1960, dont certains ont été diffusés à la télévision, connaissant un énorme succès, car évoquant des situations du vécu de tous les jours. 


Doté d’un talent remarquable et un style de jeu décontracté, plein de spontanéité et de créativité, le duo marquera des générations d’Algériens. 

Les deux acteurs joueront ensemble dans huit films sortis entre 1967 et 1978. L’inspecteur Tahar incarnait dans toutes ces productions un personnage inculte à la naïveté vicieuse, qui ne cessait de donner des répliques souvent violentes à son adjoint plus instruit et plus intelligent que lui, mais qui est contraint de lui obéir parce qu’il était son supérieur. C’était en quelque sorte une situation qui sévissait souvent dans la société algérienne de l’époque, et qui continue toujours d’exister de nos jours. En l’absence d’archives filmées et de documentation sur les productions télévisuelles de l’ex-Radio et télévision algérienne (RTA), le premier film qui a réuni les deux personnages, sous le titre L’Inspecteur mène l’enquête réalisé par Moussa Haddad en 1967, demeure inconnu. 

C’est lors de la sortie de son second film en 1968, sous le titre La souris ou L’inspecteur Tahar contre la souris, réalisé par Mohamed Ifticene, que le public découvre ce duo pour la première fois sur le petit écran. Le film produit par l’ex-RTA sera diffusé dans les années 1970 à l’époque du noir et blanc. De nombreux téléspectateurs se souviendront de cette œuvre dans laquelle l’inspecteur Tahar et son apprenti traquent un voleur surnommé La souris, qui avait fait fureur dans le braquage des bijouteries, et qu’ils finiront par identifier et arrêter grâce à un morceau de fromage après de longues investigations. Dans ce film, on découvre dans le rôle de «La souris», l’acteur Mohamed Ouchen, connu sous le nom artistique de Kaci Kcentini (car originaire de Constantine), qui fut l’un des pionniers du 4e art dans cette ville dans les années 1940-1950, avec El Hacen Bencheikh Lefgoun et Mohamed Salah Touache, avant d’être rappelé après l’indépendance par Mustapha Kateb, pour faire partie de la troupe du Théâtre national algérien (TNA). 


Une carrière exceptionnelle

La même année, 1968, le duo joue dans une nouvelle production de l’ex-RTA, La poursuite, réalisée par Mohamed Slim Riad, qui avait écrit lui-même le scénario. Sans être trop critique, ce film de piètre qualité est passé complètement à côté, comparativement à d’autres productions de l’époque. Le duo part aux trousses du célèbre La souris  qui s’est évadé de prison. La poursuite se déroule comme dans un film western, avec colts, chevaux et cowboys. 

A mettre aux oubliettes. Le film a marqué la première apparition de Chafia Boudraâ (la future Lalla Aïni du feuilleton El Hariq) dans la scène du mariage de l’inspecteur Tahar. Mais la singularité de l’œuvre, et qui ne se reproduira plus, a été son générique original, conçu non pas dans la forme classique, mais sous forme d’un interrogatoire presque vrai. 

Le personnage interrogé, qui reçoit une gifle à chaque question, présente les acteurs et l’équipe technique. Trois ans plus tard, soit en 1971, Hadj Abderrahmene s’engage dans sa première expérience d’écriture de dialogues dans L’auberge du pendu, d’après un scénario de Mustapha Badie, lui-même réalisateur de ce film. Lui et  «l’Apprenti»  sont appelés à résoudre l’énigme d’un double meurtre, après la découverte du corps d’un homme pendu dans sa chambre d’auberge et celui d’un artiste tué dans un studio. Le film a vu la participation de Sid Ali Fernandel, Rezki Nabti et Athmene Ariouet à ses débuts.

 La série s’est poursuivie par la production en 1971 du film «Yadès» dans lequel apparaissaient des acteurs méconnus comme Hadj Cherif, Khadra et Afifa. Il s’agit encore d’un crime à élucider, celui d’un musicien qui a gagné au tiercé, retrouvé tué dans la rue. Les meurtriers étaient en fait l’amie du musicien, une danseuse dans un cabaret, et son complice pour s’emparer du gros lot gagné par la victime. Le titre du film est inspiré d’un jeu de vigilance typiquement algérois. Il consiste à se passer des objets en tentant de piéger son adversaire. Avant de recevoir l’objet des mains de l’autre, l’adversaire doit dire «fi bali» (j’y pense), sous peine de perdre la partie si l’autre dit «Yades». Le perdant aura à honorer un gage au gagnant. 


Un film-culte

Après tant de films joués ensemble, le duo Hadj Abderrahmene-Yahia Benmabrouk atteindra son apogée en 1972 avec le film culte Les vacances de l’inspecteur Tahar, produit par l’Office national du cinéma et de l’industrie cinématographique (ONCIC).

 Un film qu’il est inutile de présenter, car la majorité des Algériens le connaît par cœur, pour l’avoir regardé au moins une fois dans leur vie. L’œuvre réalisée par Moussa Haddad, d’après un scénario et des dialogues de Hadj Abderrahmene, a battu depuis sa sortie tous les records dans les salles et à la télévision, devenant l’œuvre la plus vue dans l’histoire du cinéma algérien. Jusqu’à ce jour, on ne se lassera jamais de le voir, tant son originalité et son humour n’ont pas pris la moindre ride. 

Le rôle de Moussa Haddad comme réalisateur a été capital dans la réussite phénoménale de ce film. Ce dernier a vu la participation de l’actrice tunisienne Zohra Faïza (hadja Oum Traki) et Hattab Ben Ali (Alilou), avec un bref passage de Sissani (le vendeur tunisien de beignets) et de Hassan El Hassani (l’adjoint-maire d’une petite commune). Des scènes resteront gravées dans la mémoire, comme celles du cortège avec les motards, le déguisement en valet de chambre et en femme de ménage et le vol de bicyclettes des travailleurs dans un champ agricole en Tunisie. Ceci sans oublier la très belle musique d’Ahmed Malek. Le célèbre duo entame une nouvelle aventure, en tournant à Oran en 1977 son septième film,  L’inspecteur Tahar marque le but , adapté par Hadj Abderrahmene, d’après un scénario de Chérif Chaaouati, réalisé par Kaddour Brahim Zakaria. Une manière de raconter la passion des Algériens pour le football. On y trouve dans les rôles principaux Zoubida Benbahi (Malika la coiffeuse), Sirat Boumediène (Omar le footballeur), avec une brève apparition de Mohamed Adar, Yamina Ghassoul et Ouafia Belarbi. Une histoire qui tourne autour d’une enquête sur le meurtre d’un footballeur célèbre à cause d’une jalousie entre deux femmes. 


Un phénomène cinématographique

Une année plus tard, est sorti le film qui marque la dernière apparition du duo. Les chats, dont Hadj Abderrahmene a écrit le scénario, a été réalisé par Abdelghani Mehdaoui. Il a été diffusé après le décès de Hadj Abderrahmene, non sans avoir subi la censure de 30 minutes, en raison de scènes et de dialogues jugés politiquement incorrects. 

Le film avait abordé les sujets sensibles des problèmes sociaux dans les villes algériennes, dont la pauvreté, le chômage qui pousse les jeunes à voler, l’insécurité et la relation des citoyens avec les institutions responsables d’assurer sa sécurité et d’autres fléaux qui semblaient déranger à l’époque. Hadj Abderrahmene s’apprêtait à tourner dans Le Cadavre du domaine quand il meurt soudainement le 4 octobre 1981 à Paris. 

Durant des décennies, le personnage de l’inspecteur Tahar, qui a marqué des générations d’Algériens, a été un vrai phénomène cinématographique puisqu’il a touché à tout ce qui préoccupait les gens dans leur vie quotidienne. 
Dans son livre Le miroir apprivoisé  paru aux éditions ENAL en 1985, Abdelghani Megherbi, docteur d’Etat en lettres et sciences humaines à la Sorbonne et spécialiste de la sociologie du cinéma algérien, a noté à propos du personnage de l’inspecteur Tahar : «Qui ne connaît pas l’inspecteur Tahar en Algérie ? Le personnage est si attachant que ce soit dans la fiction, ou dans le réel, que l’on ne se pose même pas une telle question. 

Après tout, ses films de type policiers ne racontent-ils pas la vie… Sous le couvert d’enquêtes de style Sherlock Holmes et Dr Watson, personnages créés par Conan Doyle et de poursuites parfois endiablées, l’inspecteur Tahar, toujours en compagnie de son adjoint appelé l’abrenti (l’apprenti) interprété par l’acteur de théâtre Yahia Benmabrouk, nous fait pénétrer dans plusieurs recoins de la vie de tous les jours, avec toutefois plus ou moins de bonheur.»    

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