Un 1er mai plutôt morose à Tunis en cette année 2023. Pourtant, c’est la pleine crise socioéconomique et financière. Et cette date est synonyme ces dernières années de discours incendiaires des dirigeants syndicalistes pour exprimer leurs revendications.
Mais, rien cette année du côté de la Place Mohamed Ali, bastion de l’action syndicale. L’UGTT a préféré faire sa grande fête du 1er Mai à Sfax, 270 km sur le littoral Sud, là où la centrale syndicale peut encore manifester sans risquer la faible affluence comme ce fut le cas le 4 mars dernier à Tunis. La ville de Sfax est un bastion du syndicalisme et de la contestation. Les manifestations y sont monnaie courante.
C’est pourquoi la centrale syndicale tunisienne y a cherché refuge. Mais, c’est clair que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient au niveau de ce syndicat qui faisait la pluie et le beau temps en Tunisie après la chute de Ben Ali. Les organisations indépendantes de la société civile tunisienne ainsi que plusieurs observateurs locaux et étrangers ont constaté en mars et avril derniers que le ton de la puissante centrale syndicale tunisienne, l’UGTT, a vraiment baissé.
La centrale syndicale évite désormais les sujets qui fâchent le pouvoir. Elle n’a plus avancé depuis février sur l’initiative de Dialogue national qu’elle a entamée avec l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux. L’UGTT avait pourtant annoncé le lancement de cette initiative pour début mars dernier et qu’il ne restait que les retouches finales. Lesquelles retouches se finalisent encore...
Les déclarations du Secrétaire général, Taboubi, se font de plus en plus rares avec un ton plutôt mou dans ses requêtes. L’UGTT ne signe plus les pétitions de contestation de la société civile, alors qu’elle était tout le temps à la tête des signataires. Le porte-parole de l’UGTT, Sami Tahri, n’est plus aussi combattif dans ses publications sur sa page Facebook. Plus de menaces de ripostes foudroyantes à ceux qui osent s’attaquer à la centrale syndicale ni de critiques directes au président Saïed.
L’UGTT avait pourtant entamé les premières étapes de son initiative de Dialogue national, en associant plusieurs experts présumés indépendants, qu’ils soient économistes, financiers ou politologues. On peut citer Sadok Belaïd, le constitutionnaliste ayant contribué à la rédaction de la Constitution votée par le peuple lors du référendum du 25 juillet 2022.
Il y a également l’économiste Radhi Meddeb et le politologue Hamadi Redissi. Cette initiative prévoyait que le projet soit remis au président Saïed. Or, ce dernier a dit clairement que «tout débat devrait se tenir au niveau du Parlement», déclarant ainsi une fin de non-recevoir à cette initiative. Par ailleurs, les temps ne sont plus au dialogue après l’entrée en activité du nouveau Parlement, élu le 17 décembre 2022 et l’emprisonnement des leaders de l’ancien pouvoir (Rached Ghannouchi, Noureddine Bhiri, Issam Chebbi, etc.) dans le cadre de l’affaire du complot contre la sûreté de l’Etat.
Dessous
Le récent et actuel ministre tunisien de l’Intérieur, Kamel Fekih, est certes un ami du président Saïed. Il est néanmoins un militant syndicaliste qui a roulé sa bosse à l’UGTT. Lors de ses débuts à la tête du ministère, Kamel Fekih a reçu le secrétaire général, Noureddine Taboubi, et l’a assuré quant au respect des libertés fondamentales et de la démocratie en Tunisie. C’était la version officielle par rapport à cette rencontre.
Certains observateurs y ont pourtant vu une tentative de Kamel Fekih de briser la glace dans la relation Saïed / Taboubi, voire même un appel du pied de Taboubi à Saïed. Le même appel du pied a été ressenti, dans le meeting d’hier à Sfax, à travers les slogans anti-diktat des institutions financières internationales, rappelant étrangement les propos du président Saïed. Mais, il y a un hic concernant les syndicalistes de l’UGTT, qui défendent le maintien des entreprises publiques en difficulté, alors qu’ils y traînent de lourds dossiers de corruption comme à la RNTA et les dossiers de recrutement ou à la STEG, où les syndicats ont bloqué, durant plusieurs années, le passage à la production d’une unité d’énergies renouvelables. L’éventuel attachement de l’UGTT à défendre les syndicalistes de ces entreprises risque de lui causer de véritables ennuis en rapport avec son éventuelle contribution dans la décennie noire.
Ainsi, l’UGTT est dos au mur avec l’ouverture des dossiers de corruption dans les entreprises publiques, d’une part, et suite à la ferme prise de position de Saïed concernant les compensations, d’autre part. La centrale syndicale avait comme principal cheval de bataille, contre le gouvernement de Najla Bouden, d’avoir programmé, dans ses pourparlers avec le FMI de supprimer les subventions des produits alimentaires de base. Mais, les décisions du président Saïed ont pris l’UGTT à contre-pied, en affirmant son rejet du diktat des institutions financières internationales et son attachement à éviter d’envenimer davantage la vie des démunis, en recourant à la levée des subventions.
«Les expériences comparées n’ont pas donné de résultats probants», a explicitement dit le Président tunisien, ce qui lui a renforcé sa cote de popularité auprès du peuple. L’UGTT s’est ainsi retrouvée dans l’obligation d’enterrer la hache de guerre et d’éviter une confrontation qui risque de lui être défavorable. Le discours de Taboubi hier rappelle bel et bien l’UGTT du temps de Ben Ali en matière de composition avec le pouvoir.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami