Hommage : Mohamed Abdelaziz, un grand leader sahraoui panafricain

06/06/2022 mis à jour: 22:37
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Photo : D. R.

«C’est le même crime Et la même souffrance La vieille Afrique Au cœur percé de flèches.» Kateb Yacine

Il y a à peine quelques jours, le 25 mai, nous avons célébré la Journée mondiale de l’Afrique qui marque l’anniversaire de la création de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) le 25 mai 1963.

La même semaine, le 31 mai, nous avons commémoré la disparition en 2016 de Mohamed Abdelaziz, alors Président de la RASD et Secrétaire général du Front Polisario.

Mohamed Abdelaziz fut un grand leader, mais il était avant tout pour moi un grand frère et un ami. Nous nous sommes connus avant la création du Front Polisario, et nous étions liés depuis d’une amitié indéfectible.

J’éprouve l’étendue de la douleur du peuple sahraoui et de ses amis, suite à la perte de ce grand leader et compagnon de lutte. Nous savons tous qu’il fut un homme exceptionnel, un combattant hors pair, un révolutionnaire d’une foi inébranlable, qui croyait profondément dans le destin des peuples en lutte pour leur liberté.

A mesure que s’affirmait la lutte du peuple sahraoui, il a soutenu avec force la cause de la libération de l’Afrique. Pour moi, Mohamed Abdelaziz était un panafricain convaincu, appartenant à la lignée des héros comme Amílcar Cabral, dont il admirait les écrits et l’action, ou encore le leader poète Agostino Neto, dont il aimait m’écouter lui citer des vers extraits de sa Sagrada Esperanza au cours de nos larges campagnes sur le continent africain pour plaider la reconnaissance de la RASD.

D’ailleurs, ce fut Agostino Neto qui, en 1978, au cours de la réunion de l’OUA, a demandé pourquoi la RASD et son dirigeant Mohamed Abdelaziz étaient absents de l’enceinte africaine. Mohamed Abdelaziz disait que si Kawame Nekrumah a été spolié de son rêve panafricain, et si Patrice Lumumba, Amílcar Cabral et Thomas Sankara ont été assassinés, ils ont tous été arrachés à l’Afrique par la félonie, la trahison et le néocolonialisme à l’œuvre. Il répétait sans cesse que la meilleure manière d’honorer leur mémoire était de résister et de combattre.

Mohamed Abdelaziz a su nouer des liens de profonde amitié et de solidarité avec les dirigeants des mouvements de libération du sud du continent, tel Oliver Tambo pour l’ANC sud-africain et Sam Nujoma pour la SWAPO namibienne.

Ainsi, le Front Polisario, sous l’autorité de Mohamed Abdelaziz, a décidé de mettre symboliquement à disposition de l’ANC et de la SWAPO un grand lot d’armement fabriqué par le régime de l’apartheid sud-africain, récupéré des mains de l’armée d’invasion marocaine qui l’utilisait contre le peuple sahraoui. C’était au moment où Nelson Mandela et plusieurs de ses compagnons de lutte croupissaient encore dans les geôles sud-africaines.

De plus en plus conscient de la communauté de destin qui lie le peuple sahraoui aux autres peuples d’Afrique, il a effectué des visites de travail régulières qui lui ont permis de tisser des liens solides avec les dirigeants comme Julius Nyerere, Kenneth Kaunda, José Eduardo Dos Santos, Samora Machel et Thomas Sankara, lequel a été accueilli triomphalement dans les campements de réfugiés sahraouis peu de temps avant d’être lâchement assassiné dans son propre pays, le Burkina Faso.

Sans oublier Nelson Mandela, qui a exprimé sa reconnaissance au Président Mohamed Abdelaziz pour l’engagement résolu du peuple sahraoui aux côtés du peuple sud-africain dans sa lutte contre l’apartheid. Sur les pas de son grand compagnon El Ouali Mustapha Sayed, Mohamed Abdelaziz croyait fermement au Maghreb des peuples, concept cher également au Président Houari Boumediène, autre grand héros de l’unité africaine.

Il a œuvré sans relâche au rapprochement de la RASD avec ses voisins. Mais on ne choisit pas son voisin géographique… et l’expansionnisme marocain a contrarié ce grand projet maghrébin. Toutefois, Mohamed Abdelaziz a continué d’y croire malgré les contingences du moment.

Sa foi dans l’unité de l’Afrique et la libération de ses peuples est demeurée inébranlable. Il fut l’un des premiers signataires de l’Acte Constitutif de l’Union africaine, aboutissement d’un long chemin de réflexion et d’action pour soutenir la dynamique du continent et développer son avenir.

La démarche de Mohamed Abdelaziz découle de sa forte conviction que la première des libertés des peuples d’Afrique est celle de se battre, que le colonialisme et le néo-colonialisme sont une menace existentielle permanente pour nos pays, et que l’occupation illégale du Sahara occidental est paradigmatique à cet égard.

Sa foi panafricaine a eu à s’exprimer lorsque ses pairs africains l’ont désigné pour prononcer le discours de clôture de la commémoration du 25e anniversaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en 1988. Il a alors livré un mémorable plaidoyer pour la libération de l’Afrique, pour l’émancipation de ses peuples, et pour l’unité qu’ils ont forgée dans la lutte. 

Mohamed Sidati

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