Dans un article publié dans le journal Echihab du 13 juillet 1934, il est noté que sur la liste des 149 élèves de cheikh Abdelhamid Benbadis à Djamaâ Lakhdar de Constantine dans les années 1930, 10 d’entre eux sont issus de la région de Ghassira dans les Aures.
Parmi ces élèves, on cite Mohamed Yekken Ben Ahmed El Ghassiri. L’homme reste méconnu, malgré une carrière extraordinaire qui le mènera de son petit village de Ghassira, perché sur les gorges de Ghoufi, dans la région des Aurès, vers les arènes de la diplomatie, en passant par l’association des ulémas musulmans. Né en 1915 dans la dechra d’Ouled Mansour, de l’arch de Ghassira, dans la région d’Arris, (wilaya de Batna), Mohamed Yekken El Ghassiri fréquente l’école coranique à l’âge de sept ans.
En 1927, il rejoint la zaouïa de cheikh Ahmed Ben Sadek à Ouled Mimoune à quelques kilomètres d’Ouled Mansour. Quelques années plus tard, il s’installe à Biskra pour soigner une maladie des yeux, et s’inscrit à la zaouïa de Sidi El Djoudi, chez cheikh Mohamed-Seghir Djoudi. Enfant doué et intelligent, il montre un fort engouement pour le savoir.
Remarquant son intelligence et sa volonté d’apprendre, son maître cheikh Mohamed Kheiredine adresse une lettre à cheikh Abdelhamid Benbadis, lui demandant de l’accueillir parmi ses élèves. C’est ainsi que Mohamed El Ghassiri s’inscrit en 1933 au cours dispensé à Djamaâ Lakhdar à Constantine. Quatre ans après, soit en 1937, il est engagé comme instituteur à l’école Tarbia ou Taâlim à Constantine.
Dans la biographie, qui lui a été consacrée, Abid Allah Messaoud note que les activités de Mohamed El Ghassiri au sein de l’association des oulémas musulmans lui ont permis de s’investir dans le mouvement réformateur. Sa proximité avec cheikh Benbadis lui permet de mieux le connaître. Il lui consacre plus tard un livre-témoignage achevé en 1947 intitulé Abdelhamid Benbadis comme je l’ai connu.
Un an dans les camps coloniaux
Les évènements du 8 mai 1945 avaient marqué une étape importante dans la vie de Mohamed El Ghassiri. Accusé d’être parmi les instigateurs des ces manifestations, il est arrêté le 16 mai 1945. Il est emprisonné pendant 3 mois et demi à la prison de Constantine, avant son internement à la prison d’El Harrach pour trois mois. Il sera ensuite transféré au camp Bourzeg au sud d’Oran, entre Bechar et Ain Sefra pour un mois. Après la fermeture de ce camp, il passera trois mois au camp de Mecheria, jusqu’au 27 mai 1946 où il sera libéré et retournera à Constantine.
Les mois passés dans les prisons et les camps coloniaux avec de nombreux militants de la cause nationale ont forgé sa personnalité. Cette expérience aura une influence sur son parcours, lors du déclenchement de la révolution. Au mois de septembre 1946, il est désigné par l’association de ulémas comme inspecteur général pour les départements de Constantine, Oran et Alger jusqu’en 1949. Il prend la direction de quelques écoles à Blida, Châteaudun du Rhumel (aujourd’hui Chelghoum Laïd) et Skikda, avant de reprendre son travail d’inspection à la commission de l’enseignement supérieur de l’association des ulémas, chargée des programmes et de la gestion des écoles libres. Après le déclenchement de la Révolution de novembre 1954, la ville de Constantine est le théâtre de plusieurs attentats.
Le plus spectaculaire a été celui commis contre le commissaire de police San Marcelli en 1956 à Rahbet Essouf. En signe de représailles, les services secrets français dressent une liste de personnalités à éliminer à Constantine. Après l’assassinat d’Ahmed-Redha Houhou le 29 mars 1956, El Ghassiri a été informé qu’il sera la prochaine cible. Il quitte Constantine pour Alger où il restera caché pendant 10 jours. Le 9 avril 1956, il quitte Alger pour Marseille sous une fausse identité, avant de rallier Paris puis Lyon, et réussit à partir vers la Suisse, aidé par Ahmed Taleb Ibrahimi, représentant du FLN. Il obtient le visa vers l’Égypte, avant d’être désigné pour représenter le FLN en Syrie avec Abdelhamid Mehri. Il aura pour mission de faire connaître la justesse de la cause algérienne dans les pays de l’Orient.
Après l’indépendance, Mohamed El Ghassiri a été désigné ambassadeur de l’Algérie en Syrie, en Arabie Saoudite puis au Koweït. Il décédera le 24 juillet 1974 alors qu’il était en visite à son village natal de Kef Laârouss dans la commune de Ghassira.