La lutte contre ces activités criminelles complexes et la surveillance des flux financiers illicites (FFI), via le circuit commercial et des systèmes de fausse facturation, reviennent, surtout, aux Douanes et aux CRF, car en mesure de les identifier.
Après la mise en œuvre officielle, prévue le 5 juillet prochain, du nouveau système d’information, entièrement dématérialisé, afin de «faciliter les opérations de dédouanement, de consacrer la transparence et de développer les modalités de lutte contre la fraude et la contrebande», c’est un autre grand chantier numérique que vont lancer, à moyen terme, les Douanes algériennes. Il s’agit de la création d’une base de données et de statistiques «miroirs» ciblant, en particulier, les opérations commerciales représentant un «risque potentiel de fraude élevé», avons-nous appris de sources douanières.
Sélectif, ce référentiel, comprenant des informations supplémentaires et plus exhaustives, est susceptible d’offrir aux uniformes gris une plus grande efficacité en matière de gestion et d’analyse des risques liés aux infractions douanières, de faciliter l’identification des segments prioritaires ainsi que les produits vulnérables à la fraude.
Et ce, à travers, notamment, «la diversification des sources auprès desquelles peuvent être collectées les données recherchées : douanes étrangères, pays exportateurs, administrations fiscales, autorités portuaires, entreprises productrices...». Appréhender le risque, donc intervenir moins mais mieux, et prendre la bonne décision en cas «d’écarts au sein du commerce extérieur». «Le nouveau système d’information qui sera lancé incessamment nous sera très utile. Il nous permettra d’agir avec des méthodologies ciblées pour constituer un entrepôt de données miroir fiables», s’enthousiasment nos sources.
D’autant que «l’analyse miroir», pratique très récente laquelle, considérant l’évolution spectaculaire ces dernières années du volume des échanges commerciaux mondiaux, ne cesse de gagner du terrain, que ce soit dans les économies développées ou émergentes.
Prenant en compte «à la fois les statistiques sur les importations et les exportations», son utilisation pourrait, en effet, être d’un apport indéniable pour l’administration douanière dans la mesure où elle permet d’«identifier d’éventuelles irrégularités, comme les sous-évaluations, les surévaluations, les erreurs de classement (glissement tarifaire), les fausses déclarations d’origine, etc.».
Dit autrement, «l’ampleur des écarts permet d’orienter les autorités douanières sur les courants de fraudes les plus utilisés durant une période de temps», précise dans un document l’Organisation mondiale des douanes (OMD). «Les conclusions de toute analyse miroir conduisent à la formulation d’hypothèses de fraudes qui doivent être par la suite vérifiées par des investigations sur le terrain ou, à défaut, par des analyses documentaires approfondies.
Elles orientent donc les services des Douanes vers des pistes de fraudes possibles et permettent d’éviter des enquêtes, parfois lourdes et coûteuses pour les autorités douanières, qui s’avéreraient non concluantes et infructueuses», plaide l’OMD, recommandant, ainsi, la généralisation de cette technique et le partage de pratiques en la matière à travers les 185 institutions douanières membres, dont la DGD Algérie.
A cette fin, est mis à disposition «un modèle d’accord bilatéral en matière d’assistance administrative dans les domaines traditionnels relevant de la valeur, du classement des marchandises et de l’origine, qui facilite la réalisation de cette coopération essentielle à tout exercice d’analyse miroir».
Et, lorsque des écarts sont décelés par l’analyse miroir, l’administration douanière «devrait, afin de procéder à une réconciliation des données, initier des rencontres avec les administrations des pays concernés. Ces échanges permettront un suivi et une traçabilité des marchandises depuis leur lieu de production jusqu’au pays de destination finale».
Décloisonner l’information
La finalité étant de fédérer et de combiner, adéquatement, les efforts pour contrecarrer la grande fraude et la délinquance financière, phénomènes très répandus dans les circuits commerciaux internationaux. Décloisonner l’information et le renseignement autour de ce challenge mondial était, d’ailleurs, au cœur de la dernière conférence de Budapest (Hongrie), tenue mi-octobre 2022, à l’initiative de l’OMD et le Groupe Egmont, forum mondial réunissant 164 cellules de renseignement financier (CRF), basé à Toronto (Canada).
L’atelier mondial dédié à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), était organisé en marge de cette conférence, dans le but de renforcer l’engagement des autorités douanières et des CRF, et auquel ont pris part des représentants de la cellule de traitement du renseignement financiers (CTRF), membre du groupe Egmont, ainsi qu’une délégation des Douanes algériennes (services du renseignement douanier, de la répression des fraudes).
«Beaucoup de pays participants ont échangé autour de leurs expériences respectives en matière de dispositifs de gestion des risques et d’analyses/bases de données miroir et leurs efficacité dans la lutte contre la grande fraude sur la valeur, l’origine des marchandises ainsi que les infractions en rapport avec la chaîne logistique. A l’échelle africaine, les collègues de la Côte d’Ivoire et du Cameroun sont très en avance dans ce domaine.
La conférence de Budapest était fort enrichissante», se réjouit notre source douanière. D’autant qu’«elle a mis au grand jour la menace croissante que représentent les organisations criminelles transnationales (OCT) et les organisations terroristes pour la sécurité régionale et mondiale ainsi que pour l’intégrité du système commercial mondial et du secteur financier», souligne, à juste titre, l’OMD.
Aux yeux du gendarme du commerce mondial, les organisations criminelles transnationales, qui ne se sont jamais si bien portées, continuent d’exploiter la croissance du commerce mondial pour fructifier davantage leurs activités, attentant, ainsi, gravement à l’intégrité des systèmes commercial et financier mondiaux : «La rapidité accrue des transports, des transferts d’argent et des technologies nouvelles et innovantes leur offre un éventail de plus en plus large de mécanismes pour poursuivre et renforcer leurs activités illicites.»
L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que chaque année, entre 2 et 5% du PIB mondial est blanchi, soit l’équivalent de 800 à 2000 milliards de dollars.
Pour sa part, Global Financial Integrity (GFI) estime que l’industrie du trafic de stupéfiants génère entre 426 et 652 milliards de dollars de revenus illicites par an et que les violations des droits de propriété intellectuelle génèrent entre 913 et 1,13 trillion de dollars de profits illicites par an.
«Certaines OCT et organisations terroristes utilisent des mécanismes complexes de blanchiment de capitaux pour recycler des fonds illicites. Il s’agit notamment du blanchiment de capitaux par le commerce (BCC), une forme complexe de blanchiment qui consiste à convertir les produits d’origine illicite en produits commerciaux qui sont ensuite introduits dans le commerce mondial», met en garde l’OMD.
Et d’expliquer que pour donner une assise légale aux avoirs douteux et masquer leurs mouvements, les réseaux et organisations criminels ont souvent recours au commerce : «Le blanchiment de capitaux implique souvent le mélange et la superposition de produits illicites et d’argent légitime dans un réseau complexe de transactions financières par des voies bancaires et non bancaires.»
A ce titre, la lutte contre ces activités criminelles complexes et la surveillance des flux financiers illicites (FFI), via le circuit commercial des systèmes de fausse facturation et des rapports de transport international de devises, reviennent, surtout, aux Douanes et aux CRF, car en mesure de les identifier. Et afin de leur faciliter la tâche, un manuel de coopération est mis à leur service depuis 2020.
Conjointement élaboré par l’OMD et le Groupe Egmont, ce guide permet aux autorités douanières de «cibler les activités de blanchiment de capitaux, telles que la contrebande d’espèces en vrac, la contrebande d’équivalents monétaires, de pierres précieuses et de métaux précieux, ainsi que le blanchiment d’argent sale».
Il est, en outre, susceptible d’«aider les autorités douanières et les autres autorités chargées de la lutte contre le blanchiment de capitaux à identifier, interdire, saisir, confisquer et approfondir les enquêtes s’y rapportant, ainsi qu’à promouvoir la participation des CRF aux efforts de collaboration pour lutter contre ce phénomène». Les deux organisations projettent d’élargir le Manuel en y ajoutant, avant fin 2023, une section dédiée à la lutte contre le financement du terrorisme.