Fournisseur de Sonatrach depuis plus de 20 ans : Petrofac condamné par la justice britannique

07/02/2022 mis à jour: 23:15
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Photo : D. R.

Présent en Algérie depuis le début des années 2000, le fournisseur de services pétroliers Petrofac a fait l’objet, il y a près de deux mois, d’une ordonnance de confiscation d’importantes sommes d’argent après sa condamnation, par la justice britannique, et celle de deux de ses cadres dirigeants. 

Son ex-PDG et principal actionnaire, Ayman Asfari, avait des relations privilégiées avec le défunt Président déchu et l’ancien ministre de l’Energie, en fuite aux Etats-Unis, Chakib Khelil, ce qui suscite des interrogations quant à l’ouverture ou non d’enquête maintenant que la société a reconnu avoir recouru aux pots-de-vin pour obtenir des contrats au Moyen-Orient.

Dans un communiqué diffusé le 15 décembre dernier, le puissant Serious Fraud Office (SFO), bureau d’investigation contre la fraude et la corruption, sous tutelle de la justice britannique, affirme avoir obtenu, le jour même à l’issue d’une audience à la cour de Soithwark Crown, «une ordonnance de confiscation d’une valeur de plus de 140 000 livres sterling contre l’ancien directeur des ventes de Petrofac, David Lufkin, condamné au mois d’octobre 2021 à deux ans de prison, dont 18 mois avec sursis, pour avoir «versé» des pots-de-vin et «proposé d’influencer l’attribution de contrats pétroliers et gaziers pour Petrofac en Irak, en Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis».

Le SFO précise, en outre, que Lufkin «avait précédemment plaidé coupable de 14 chefs d’accusation de corruption et admis avoir effectué des paiements de commissions, entre 2011 et 2018, pour influencer l’attribution de contrats au groupe Petrofac». En plus de plaider coupable, ajoute SFO, Lufkin a coopéré avec les enquêteurs et participé largement aux investigations qui ont permis de faire condamner Petrofac.

Tout a commencé au mois de mai 2017, lorsque le SFO a entamé son enquête sur l’agence monégasque Unaoil et le groupe Petrofac, coté en Bourse à Londres, ainsi que ses filiales au Moyen-Orient.

De nombreux responsables de la société sont auditionnés, parmi lesquels son PDG durant près de 40 ans (après sa démission, en 2021, il est devenu administrateur non exécutif) et principal actionnaire, le puissant Aymen Asfari, qui s’en sort avec une caution mais sans être incriminé.

Deux ans plus tard, David Lufkin, responsable des ventes internationales de Petrofac, plaide coupable de 11 infractions de corruption liées à des contrats en Irak et en Arabie Saoudite et, au début du mois de janvier 2021, il assume 3 autres infractions de corruption liées à des contrats aux Emirats arabes unis.

Les faits ont eu lieu durant les années 2011 et 2018 et concernent 81 millions de dollars de pots-de-vin versés pour l’obtention de marchés d’une valeur d’environ 8,4 milliards de dollars.

44 millions de dollars de pots-de-vin

Au début du mois d’octobre 2021, Petrofac finit par reconnaître sa culpabilité pour 7 infractions et sa responsabilité dans le fait qu’elle n’a pas empêché le versement de 44 millions de dollars de commissions pour l’obtention, entre 2011 et 2017, de plusieurs marchés d’une valeur de 3,67 milliards de dollars.

Le 4 octobre 2021, Lufkin est condamné à une peine de 2 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, au lieu de 7 ans de prison, en contrepartie de sa coopération qui a permis à SFO et à la justice de faire condamner Petrofac à une amende de 64 millions de dollars (47 197 640 livres sterling), la confiscation de la somme de 31 399 945,63 dollars (22 837 985,04 livres sterling) et le paiement des frais de l’enquête de SFO, estimés à 7 millions de livres sterling.

Dans le même communiqué du 15 décembre, SFO annonçait avoir obtenu une ordonnance de confiscation de plus de 31 millions de dollars et par la voix d’Emma Luxton, responsable des produits du crime et de l’assistance internationale, il déclarait que «cette décision est un autre exemple de la détermination obstinée de SFO à retracer et à récupérer les produits des pots-de-vin et de la corruption dans le monde. L’ordonnance de confiscation d’aujourd’hui (NDLR : le 15 décembre 2021) envoie un message fort que le crime ne paie pas».

En fait, cette ordonnance, intervient plus de deux mois (le 4 octobre 2021), après le verdict de cette affaire prononcé par la justice britannique. Dans son communiqué du 4 octobre 2021 et à l’issue du procès des cadres de Petrofac, SFO affirmait avoir obtenu «une troisième série» de condamnations pour «corruption» contre Petrofac, qui «a admis que des cadres supérieurs du groupe avaient versé des en pots-de-vin pour l’obtention de contrats» et affirmé que la cour «a appris comment, sur une période de six ans, des cadres supérieurs du groupe Petrofac se sont livrés à des stratagèmes élaborés pour corrompre, en utilisant des agents qui soudoient systématiquement des fonctionnaires afin de remporter des contrats lucratifs par des moyens déloyaux et malhonnêtes.

L’une des principales caractéristiques de l’affaire était les méthodes complexes et délibérément opaques utilisées par ces cadres supérieurs pour payer des agents au-delà des frontières, déguisant les paiements par l’intermédiaire de sous-traitants, créant de faux contrats pour des services fictifs et, dans certains cas, faisant passer des pots-de-vin à plus d’un agent et un pays pour déguiser leurs actions».

Dans sa déclaration, Lisa Osofsky, directrice du SFO, estimait par ailleurs qu’«en plaidant coupable, Petrofac a reconnu que les cadres supérieurs du groupe ont agi délibérément et sans conscience dans la poursuite de la cupidité. Le fait est que l’entreprise n’a pas empêché cette conduite, a faussé les conditions du marché concurrentiel et entaché l’industrie pétrolière et gazière. Le résultat d’aujourd’hui doit servir d’avertissement».

Ayman Asfari, le puissant patron de Petrofac, reçu sur un tapis rouge à la présidence

SFO soulignait qu’il «utilisera tous les pouvoirs à sa disposition pour éradiquer et poursuivre les entreprises et les individus dont les activités criminelles portent atteinte à la réputation et à l’intégrité du Royaume-Uni». Il est important de rappeler que Petrofac est un fournisseur assez important en Algérie, qui a obtenu de nombreux contrats auprès de Sonatrach durant plus de 20 ans, c’est-à-dire de 2000 à 2021.

Lors du procès de l’affaire liée au marché de réalisation du GNL3 à Arzew, duquel il a été éliminé pour être remplacé par Saipem, filiale du groupe italien Eni, de nombreux avocats, aussi bien de Mohamed Meziane, ex-PDG de Sonatrach, que son vice-président de l’activité aval, Abdelhafid Feghouli, ou ceux de Saipem, l’ont présenté tantôt comme un «enfant gâté», tantôt «de protégé de la îssaba» (bande) ou de «privilégié», pour avoir pesé sur les décisions de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, en fuite aux Etats-Unis, pour bénéficier à trois reprises d’une extension de délais, dans la procédure des étapes de soumission des offres liées au contrat GNL3.

Et c’est le même Aymen Asfari, alors PDG de Petrofac, qui a saisi par écrit Chakib Khelil, en tant que ministre, lui demandant une extension supplémentaire des délais «pour pouvoir présenter les offres techniques et commerciales», et ce, après avoir bénéficié (auprès du ministre) d’une première prolongation des délais des soumissions.

Une copie de cette lettre a été envoyée au président de la commission des offres commerciales, M. Hanni, et «une autre identique a été transmise par l’équipe chargée du projet» au vice-président de l’activité aval, Abdelhafid Feghouli, alors que le maître de l’ouvrage et ordonnateur, représenté par la personne du PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, a été ignoré.

Ce dernier n’a pris connaissance de ce courrier qu’après le retour de Chakib Khelil. Mieux encore. C’est le même Ayman Asfari qui a été reçu par Feghouli et Meziane au siège de Sonatrach, sur instruction de Habba El Okbi, secrétaire particulier du défunt président déchu.

Mohamed Meziane avait déclaré au procès que le président de Petrofac était venu à bord de véhicules de la Présidence, escorté par des motards jusqu’au siège de Sonatrach, où il l’attendait pour évoquer le recours qu’il a introduit contre son élimination du marché GNL3, faute de garanties techniques nécessaires pour la réalisation du complexe gazier.

Quelles relations entretenait ce puissant magnat des services pétroliers, de nationalité britannique et d’origine syrienne, avec les dirigeants de Sonatrach depuis 2000 ? Pourquoi n’a-t-on pas étendu l’enquête sur les soupçons de corruption, après que la société mère, en tant que personne morale, ait été condamnée par la justice britannique ? Autant de questions qui méritent réponses. 

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