Avec le réchauffement climatique et les effets dévastateurs d’une sécheresse devenue chronique commencent à se voir les premières conséquences sur les forêts du nord du pays. On le constate chaque jour un peu plus, le phénomène du dépérissement des arbres fragilisés par le stress hydrique s’accentue et prend des proportions alarmantes. Le stress hydrique entraîne un affaiblissement des défenses naturelles des essences forestières, y compris les espèces les plus rustiques et les plus résistantes qui sont, à leur tour, touchées. Explications de ce dépérissement par les spécialistes en foresterie et les chercheurs universitaires dans le domaine.
Depuis quelques mois, un important dépérissement des peuplements de pins d’Alep est observé à travers les forêts des Bibans. Ce phénomène commence par un desséchement des aiguilles au sommet de l’arbre qui prennent une couleur rouille avant de s’étendre à tous les étages, entraînant l’asphyxie puis la mort de l’arbre. De plus en plus de sujets, isolés ou au milieu de peuplements, sont touchés.
Pour les spécialistes que nous avons consultés, ce phénomène est dû, en premier lieu, aux conditions climatiques des dernières années caractérisées par une sécheresse sévère mais il ne se limite ni aux zones géographiques ni à l’espèce conifère décrites. Pour preuve, Said Slimani, docteur en sciences biologiques, maître de conférences à l’université de Tizi Ouzou, la sécheresse de ces deux dernières années a eu raison même des espèces les plus rustiques.
«C’est la même chose pour plusieurs pieds de chêne-liège, du chêne afarès et du zéen sur ma route à Tizi par Adekar. Cela dit, j’ai observé des galeries sur plusieurs arbres morts. Il se peut que les insectes en question aient achevé des sujets fragilisés par la sécheresse. Les champignons pourraient aussi être dans cette équation si complexe», dit-il.
Pour Riadh BM, Université de Batna 1, la déficience du bilan hydrique suite à la sécheresse et la concurrence a induit une perturbation des cycles énergétiques et entraîné un affaiblissement des défenses naturelles des essences forestières. «À cela, il convient d’ajouter une augmentation du voltinisme chez les insectes, notamment les xylophages, qui sont passés du caractère secondaire à celui d’insectes primaires déclenchants et aggravants», souligne-t-il.
Pour Amar Nait Messaoud, de la Conservation des forêts de Bouira, ce problème est signalé sur tous les territoires des wilayas forestières du nord du pays. «J’en ai déjà parlé sur ma page Facebook et dans des interviews que j’ai données à la presse. J’ai suivi modestement sur le terrain le processus de dépérissement pour une partie de la wilaya de Bouira relevant du même massif que celui de la forêt des Ath Abbas, à savoir les Bibans», précise-t-il.
Selon les observations de notre forestier, la situation a évolué pour passer de quelques arbres isolés, deux à trois sujets par hectare vers 2017/2018, à un nombre de 40 à 50 sujets/ha, le rythme s’étant accéléré en 2020/21. «Les observations faites par les agents et cadres forestiers sur le terrain, confirmées par la suite par l’Institut national de la recherche forestière (INRF) sollicité par l’administration des forêts, font état de flétrissement des aiguilles de l’arbre, puis du desséchement de l’écorce», dit-il.
Amar Nait Messaoud souligne qu’en écorçant une partie du fût de l’arbre, on rencontre des galeries qui maillent toute la surface de l’aubier, avec des œufs minuscules longeant ces canaux. L’équipe de l’INRF a pu identifier l’espèce parasite, un insecte xylophage du nom «barbare» de Tomicus destruens, hylésine destructeur (appelé ordinairement scolyte) et qui réalise des trous au niveau de troncs et des pousses des arbres. «La consommation du bois par cet insecte vide l’arbre de sa sève et le tue.
L’attaque du scolyte est, en général, le stade suprême de l’affaiblissement de l’arbre par le stress hydrique. Une sécheresse, devenue chronique, associé à des facteurs stationnels qui restent à identifier (fertilité du sol, exposition…), neutralisent l’immunité naturelle des arbres et les exposent à des attaques parasitaires», conclut notre forestier. Riadh BM, de son côté, précise qu’au niveau de la région des Aurès, les deux Tomicus (destruens et piniperda) sont devenus des agents prédisposants alors qu’à un passé proche ils étaient des facteurs aggravants.
Les solutions préconisées, pour le moment, se limitent à l’abattage des arbres morts ou en voie de dépérissement car la contamination se fait d’une manière rapide. Pour Amar Nait Messaoud, les arbres abattus doivent être évacués «discrètement» de la forêt (c’est-à-dire avec le moins de secousses et de mouvements brusques possibles) et les bois évacués incinérés.
Cependant, beaucoup de précautions doivent être prises car l’évacuation du bois vers l’extérieur de la forêt donne l’occasion aux parasites de se disperser sur le sol des sentiers et pistes empruntés et d’attaquer des arbres sains. C’est pour cela qu’une méthode de lutte biologique est préconisée en élevant un autre insecte, Thanasimus formicarius (ou le clairon formicaire), prédateur du scolyte Tomicus destruens. «C’est une méthode qui, à ma connaissance, n’a pas été expérimentée chez nous, sachant que ce prédateur est, géographiquement, distribué entre la rive européenne de la Méditerranée jusqu’aux pays scandinaves», conclut Amar Nait Messaoud.
Pour Ali Oussama Bensaci, Université Batna 1, «la sécheresse ne peut s’interférer avec la physiologie des conifères que rarement. C’est surtout l’affaiblissement de ces derniers, notamment au niveau des fonctions énergivores qui sont l’assimilation et la photosynthèse, qui facilite l’installation de certains ravageurs de faiblesse comme les xylophages et les cambiophages ou encore le shift du comportement trophique de certains agents microbiens qui deviennent pathogéniques mais ce ne sont que des hypothèses».
Il précise, toutefois qu’il faut être sur le terrain et prendre des échantillons et collecter des informations supplémentaire avant de poser un diagnostic juste et complet. Pour Ali Mahmoudi, ancien directeur général des forêts, dont nous avons également sollicité l’avis, le phénomène est beaucoup plus accru à partir du sud de la wilaya de Bordj jusqu’aux Hauts-plateaux. «Les grands massifs forestiers du Senalba, dans la wilaya de Djelfa, sont menacés de disparition par cet insecte qui attaque le bois. Le seul remède préconisé par nos chercheurs est l’abattage suivi de l’incinération », préconise-t-il.
De son côté, Khellaf Rabhi, professeur à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, souligne que très souvent, les travaux sylvicoles sont soit absents soit mal réalisés. L’élagage, par exemple, doit être suivi par un nettoyage qui est négligé par les entreprises de travaux forestiers. Ainsi, les stocks de bois qui perdurent plus de 5 années au milieu des forêts, les coupes illicites, induisent des milieux favorables aux agents biotiques.