Malgré ses nombreuses diffusions par la télévision algérienne depuis sa sortie en 2008, on ne se lasse jamais de regarder le film documentaire La balle de la dignité, produit et réalisé par Rachid Diguer, tant les émotions fortes qu’il suscite à chaque fois auprès des spectateurs ne s’estompent jamais.
Ce document, dont la préparation a nécessité un énorme travail de recherches dans les archives et des recueils de témoignages d’anciens joueurs, dirigeants et entraîneurs, demeure encore d’actualité. Ce travail est perçu à sa juste valeur comme un précieux document de mémoire qu’il faut absolument montrer aux jeunes générations à une époque où les exploits footballistiques dans l’histoire du sport en Algérie sont encore méconnus.
Malheureusement, les présents à une séance de projection-débat, tenue récemment à l’Institut français de Constantine, à l’occasion du programme spécial «Mois du sport», étaient en majorité des nostalgiques d’une belle époque parmi les personnes âgées, ou du moins ceux ayant dépassé la cinquantaine. Pourtant, le but du film était de raconter aux jeunes la fabuleuse histoire du football en Algérie de 1962 à 1990, sans omettre de faire un nécessaire rappel historique sur les débuts de la pratique de ce sport durant la période coloniale. «Ce film veut faire revivre ces moments de fierté et de communion dans l’effort et la victoire ancrés dans notre mémoire collective», avait déclaré Rachid Diguer lors de la première projection de son film en 2008 à Sétif, ajoutant qu’il considère ce travail comme un projet majeur dans sa carrière, riche en œuvres produites pour le cinéma et la télévision.
D’une durée de 105 minutes, le film revient sur les origines de la pratique du football en Algérie, un sport introduit par l’occupation française, comme cela avait été le cas pour tous les autres pays colonisés en Afrique. La France avait été déjà membre fondateur de la Fédération internationale de football association (FIFA) en 1904. Tout avait commencé vers 1913, avec la création en Algérie de trois championnats (centre, est et ouest).
Les colons français créent les premiers clubs à Alger, Oran et Constantine. Ne voulant pas rester à l’écart, surtout que ce jeu commence à gagner en popularité, les musulmans fondent à leur tour leurs clubs, dont le MC Alger créé officiellement en 1921. Il sera suivi par le CS Constantine et l’USM Oran en 1926. C’est en somme l’histoire du football en Algérie qui commence avec ces rencontres disputées contre les équipes des colons racontées par le défunt Ismail Khabatou, avant que, trois décennies plus tard, la révolution de Novembre 1954 vienne en changer le cours. Au mois de mai 1957, Ahmed Benelfoul et Habib Draouan, deux anciens joueurs, ont décidé de former à Tunis l’équipe de l’ALN. Une sélection de joueurs amateurs et soldats au maquis, qui sera la première à représenter l’Algérie durant une année. Des joueurs qui vont porter le drapeau et la cause de leur pays, en disputant des rencontres dans plusieurs pays.
La légende de l’équipe du FLN
On ne peut pas évoquer l’histoire du football en Algérie sans parler de la fameuse légende de l’équipe du FLN, dont le film de Rachid Diguer revient sur sa création en avril 1958 sous la direction de Mohamed Boumezrag. Un événement qui avait provoqué une véritable «bombe médiatique», faisant la «une» des journaux français après la fuite programmée de neuf joueurs professionnels évoluant au championnat de 1re et 2e divisions en France, qui ont quitté clandestinement leurs clubs pour rejoindre Tunis. Parmi ces joueurs, on retrouve deux présélectionnés en équipe de France pour la Coupe du monde de 1958, Rachid Makhloufi et Mustapha Zitouni.
Ce dernier avait renoncé à une carrière prometteuse au Real de Madrid, «la meilleure équipe du monde» de l’époque, au profit de «la meilleure équipe au monde», celle du FLN, selon une version racontée par Rachid Makhloufi. L’équipe, qui regroupait des noms ayant fait les beaux joueurs de leurs clubs en France, à l’instar de Mokhtar Aribi, Kaddour Bekhloufi, Mohamed Soukhane, Abderrahmene Ibrir, Amar Rouai, Abdelhamid Kermali, Saïd Amara, Hamid Zouba et autres, est considérée comme la première sélection algérienne dans l’histoire. Ce sera le début d’une épopée qui fera date dans les annales du football algérien de 1958 à 1962, grâce à de jeunes «soldats de la balle ronde», ambassadeurs dans plusieurs pays, sur trois continents, d’une Algérie qui menait son combat pour la liberté.
La mission de ces «militants du football» se poursuivra pour plusieurs d’entre eux après l’indépendance, comme joueurs ou entraîneurs, en formant le premier noyau de l’équipe nationale qui donnera la réplique à des équipes de renom entre 1962 et 1964. Une époque de l’histoire du football algérien que le film de Rachid Diguer ne mentionnera pas pour des raisons inconnues. Pourtant, cette même période avait vu la naissance de cette équipe de l’Algérie indépendante qui avait réussi à battre des équipes redoutables comme la Bulgarie par 2 buts à 1, la Tchécoslovaquie finaliste de la Coupe du monde de 1962 au Chili, par 4 buts à zéro, sans oublier la victoire par deux buts à zéro contre la RFA, future finaliste de la Coupe du monde de 1966 en Angleterre.
Un début euphorique pour une équipe qui laissera la place à une nouvelle génération de joueurs. L’Algérie prendra part à sa première compétition officielle lors des Jeux panafricains de Brazzaville au Congo en 1965, avant de participer à sa première coupe d’Afrique des nations en 1968 en Ethiopie. Le film de Diguer revient sur les premiers sacres des équipes algériennes après l’indépendance, avec le premier titre de championnat gagné par l’USM Alger face à son rival de toujours, le MC Alger, puis la première coupe d’Algérie remportée par l’ES Sétif face à l’ES Mostaganem. Le premier titre international sera l’œuvre du CR Belcourt sacré champion maghrébin en 1970 face au CS Sfax. Le triste épisode du match de coupe d’Afrique des clubs champions contre le club de Jeanne d’Arc du Sénégal disputé le 11 avril 1970 et les incidents qui l’ont marqué au stade du 20 août 1955 a été la cause ayant poussé les clubs algériens à boycotter les compétitions africaines.
La génération dorée des années 1970-1980
Le public algérien a du attendre l’organisation des Jeux méditerranéens de 1975 pour voir son équipe nationale renouer avec les victoires et la gloire lors d’une finale historique gagnée par 3 buts à 2 contre la France, le 6 septembre 1975, devant le défunt président Houari Boumediène. Ce sera le début aussi du célèbre slogan «One, two, three, viva l’Algérie», scandé par les milliers de supporteurs des Verts dans tous les stades du monde.
La génération de Betrouni, Safsafi, Keddou, Kaoua, Draoui et autres dirigés par le grand Rachid Mekhloufi va ouvrir la voie aux équipes algériennes dans les compétitions internationales. Une année plus tard, le MCA sera le premier club algérien à remporter la coupe d’Afrique des clubs champions, toujours en présence du défunt président Houari Boumediène dans la tribune officielle. Il sera suivi en 1981 par la Jeunesse sportive de Tizi Ouzou, qui deviendra la JSK. L’Entente de Sétif leur emboîtera le pas en 1989. Entre temps, l’Algérie remporte la médaille d’or aux Jeux africains de 1978 face au Nigeria au stade du 5 Juillet 1962. Une nouvelle génération de joueurs doués et talentueux fera parler d’elle durant les Jeux méditerranéens de Split en Yougoslavie, lors d’une demi-finale houleuse qui restera gravée dans les mémoires, marquée par des incidents et une défaite amère par 3 buts à 2 contre le pays organisateur. Cette équipe naissante dirigée par un jeune entraîneur, Mahiedine Khalef, comptait dans ses rangs des noms comme Fergani, Guendouz, Merzekane, Belloumi, Bensaoula, Assad, Madjer, Kouici et autres.
Le même Mahiedine Khalef conduira cette même équipe à jouer la première finale de l’Algérie en coupe d’Afrique contre le Nigeria en 1980, après un parcours exemplaire, avant de se qualifier avec brio aux premiers Jeux olympiques dans l’histoire du pays à Moscou dans l’ex-URSS, en 1980 et une brillante qualification au deuxième tour. Ce parcours très honorable à Moscou est étrangement ignoré par le film de Rachid Diguer, qui se focalise le plus sur la prestation de l’Algérie lors de sa première participation au mondial espagnol en 1982. Il est impossible d’oublier cette équipe qui a réussi à battre l’ogre allemand, champion d’Europe et futur finaliste de ce même mondial. Mais elle ne réussira pas à passer au second tour suite au match arrangé entre la RFA et l’Autriche. Le mondial mexicain de 1986 restera marqué par ce match historique perdu par un but à zéro contre la grande équipe du Brésil.
En 1990, l’Algérie organise chez elle la coupe d’Afrique des nations, qu’elle remporte pour la première fois grâce à son charismatique capitaine, Rabah Madjer, mondialement connu depuis un but en talonnade qui donna la victoire au FC Porto en finale de la coupe d’Europe des clubs champions en 1987 contre le Bayern de Munich. Le titre de champion d’Afrique allait précéder une des époques les plus sombres de l’histoire du pays. En proie à la montée de l’extrémisme religieux, la société algérienne traverse une longue période où le football est relégué au second plan. Le film de Rachid Diguer s’arrête à cette époque, sans fermer la porte à un avenir prometteur.
Une œuvre abondante
Malgré ses nombreuses contributions dans le cinéma et la télévision, Rachid Diguer demeure assez peu connu auprès du public algérien en général, mais aussi parmi les cinéphiles et les passionnés des documentaires relatant les différents aspects de l’histoire sociale de l’Algérie. Etant le gérant d’une entreprise de production audiovisuelle, Lotus film, dont le siège est à Alger, Rachid Diguer a eu l’occasion de coproduire plusieurs longs métrages à partir de la fin des années 1980. Durant sa carrière, il a été également directeur de production et producteur exécutif d’une vingtaine de films de cinéma et d’une dizaine de produits de télévision.
On citera entre autres, le film La citadelle de Mohamed Chouikh sorti en 1989, Majnoun Leila du Tunisien Tayeb Louhichi en 1990, Fleur de lotus, du réalisateur Amar Laskri, une coproduction algéro-vietnamienne en 1999, mais aussi le film Manara de Belkacem Hadjadj en 2005, et Arouyen de Brahim Tsaki en 2007. Lotus film a également produit une série de 19 documentaires de 40 minutes chacun pour le compte de la télévision algérienne intitulée One, two, three Viva l’Algérie.