Soixante-dix ans après l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, figure emblématique du Front de libération nationale (FLN) et membre des Six ayant déclenché la Guerre de Libération nationale, la France reconnaît officiellement sa responsabilité dans l’exécution de ce héros de la lutte pour l’indépendance algérienne, renonçant enfin à la thèse du «suicide» longtemps brandie pour masquer ce crime d’Etat.
Dans un communiqué publié hier, le président français, Emmanuel Macron, a mis fin à la version officielle de l’époque. «M. Macron reconnaît ce jour que Larbi Ben M’hidi, héros national pour l’Algérie et l’un des six dirigeants du FLN qui lancèrent l’insurrection du 1er Novembre 1954, a été assassiné par des militaires français placés sous le commandement du général Aussaresses», peut-on lire dans le communiqué.
Cette reconnaissance s’inscrit dans un contexte de réévaluation critique du passé colonial de la France, marquée par des démarches récentes visant à faire la lumière sur d’autres figures symboliques de la guerre d’indépendance algérienne, comme Ali Boumendjel et Maurice Audin.
Arrêté en février 1957 lors de la Bataille d’Alger, Larbi Ben M’hidi fut exécuté sous les ordres du général Paul Aussaresses. Ce dernier avait déjà avoué cet acte en 2001, mais jamais encore un chef d’Etat français n’avait reconnu cette exécution.
Ben M’hidi, surnommé le «Jean Moulin algérien», jouait un rôle central dans la Guerre de Libération nationale. Chef charismatique, il avait orchestré des opérations d’action armées et symbolisait la détermination inébranlable du FLN. Même ses adversaires, tel le colonel Marcel Bigeard, saluaient son courage et sa stature. Quelques jours après son arrestation, il fut retrouvé pendu, mais pendant des décennies, l’Etat français avait maintenu la thèse du suicide.
Cette reconnaissance officielle est le fruit d’un long travail de mémoire mené par des historiens algériens et français, plaidant pour une approche bilatérale de ce passé. Dans ce cadre, une commission d’historiens franco-algériens a vu le jour, sous l’égide des présidents français et algérien, Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, afin d’approfondir le dialogue mémoriel entre les deux nations.
L’historien Benjamin Stora a aussitôt réagi dans la presse française, soulignant que cet acte constitue une validation de la légitimité politique de la lutte nationaliste. En réhabilitant la figure de Larbi Ben M’hidi, ce geste vise à satisfaire les attentes de vérité.
Né en 1923 près de Aïn M’lila, dans les Aurès, Ben M’hidi s’est engagé très jeune dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. «Chef scout, footballeur, passionné de théâtre, il portait une conscience politique forte dès l’adolescence», relate sa sœur Drifa Ben M’hidi.
Participant aux manifestations de Mai 1945, il est arrêté, emprisonné à Constantine, et, à sa libération, s’engage au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). En juillet 1954, il fait partie des «22» qui décident de passer à l’action, devenant l’un des Six chefs historiques du FLN et lançant, le 1er Novembre, la guerre d’indépendance. En août 1956, il préside le Congrès de la Soummam en Kabylie, structurant ainsi les ailes politique et militaire du FLN.
Début 1957, en pleine Bataille d’Alger, le général Jacques Massu lance une répression sans relâche. Le 23 février, Ben M’hidi est capturé par les hommes du colonel Bigeard. Exhibé devant la presse, menotté, il garde un sourire calme et serein. Dans un livre publié en 2001, le général Aussaresses relate avoir orchestré son exécution et en avoir camouflé les circonstances pour faire croire à un suicide. Les propos du général, pour lesquels il fut condamné pour «apologie de crimes de guerre», provoquèrent un tollé. Une plainte déposée par les sœurs de Ben M’hidi fut écartée en 2003, la justice française ayant invoqué la loi d’amnistie de 1968.
Malgré les années, Ben M’hidi est resté une figure d’envergure. «Il y avait en lui un seigneur», déclarait, des années plus tard, le colonel Jacques Allaire, qui avait assisté à son arrestation. «Calme, résolu, il m’impressionnait.»