Au 26e Salon international du livre d’Alger (SILA), qui s’est déroulé du 25 octobre au 4 novembre, nous avons rencontré certains d’entre eux. Ils estiment que le SILA est un grand moment de rencontres avec les auteurs et les lecteurs-acheteurs. «Mais, il faut penser au reste de l’année», disent-ils. Azzedine Guerfi, directeur des éditions Chihab, regrette la baisse du nombre de librairies au niveau national. «Il y a de moins en moins d’espaces pour vendre des livres.
Les visiteurs viennent de toute l’Algérie au SILA parce qu’il n’y a presque plus de librairies ailleurs. Le problème est que les libraires n’arrivent pas à vivre de leur métier. Dans la loi du livre, il est préconisé que les institutions doivent acheter aussi des ouvrages.
De cette manière, le libraire peut rentabiliser son commerce. Le problème est que les institutions achètent chez les importateurs. Le marché est court-circuité», a-t-il noté. Il faut, selon lui, libérer le marché du anuel scolaire. «Une mesure qui va créer davantage d’éditeurs pouvant rentabiliser leurs maisons d’édition. Et, ils peuvent également publier d’autres genres de livres qui seraient moins rentables.
On peut alors éditer la poésie, le roman, etc. Mais quand l’éditeur vend cinquante à cent exemplaires d’un roman par an, il ne peut pas vivre de son métier», a-t-il dit. «Editer 500 exemplaires d’un roman est déjà une prouesse. Il y a un problème de distribution du livre avec la raréfaction des librairies. Le nombre de librairies qui vendent des romans au niveau national ne dépasse pas les 40. Ce nombre est très faible pour un pays de la dimension d’un continent», a souligné, pour sa part, Smail M’hand, directeur des éditions Hibr.
«Le coût du papier a augmenté»
Pour Dalila Nadjem, directrice des éditions Dalimen, le réseau de diffusion de livres au niveau national est toujours inexistant. «Le coût du papier a augmenté. Après la crise sanitaire de Covid-19, nous avons beaucoup de difficultés en tant qu’éditeur à remonter la pente. Nous aimons notre métier. C’est une passion.
On va dire qu’on est dans la résistance», a-t-elle confié. Pour Amar Ingrachen, directeur des éditions Frantz Fanon, la principale difficulté pour un éditeur est l’absence d’un vrai marché du livre en Algérie. «C’est un marché désordonné, contrôlé par les importateurs qui n’apportent aucune plus value sur le plan culturel au pays. Un marché parasité commercialement alors que le métier de l’édition est censé être un vecteur de valeur culturelle.
Et pour que ces valeurs soient véhiculées d’une façon pérenne, il faut que les éditeurs soient suffisamment solides pour pouvoir survivre aux aléas économiques», a-t-il constaté. Et d’ajouter : «Malheureusement, je ne connais pas un seul éditeur algérien qui soit suffisamment solide pour faire face à la crise actuelle. Les autorités doivent absolument se pencher sur le secteur du livre en Algérie.
La loi sur le livre a été votée mais n’est pas appliquée. Il est temps d’améliorer et de mettre en application cette loi. Si les choses continuent ainsi, nous allons vers l’étouffement caractérisé du secteur du livre en Algérie». Azzeddine Guerfi rejoint Amar Ingrachen dans l’analyse qu’il fait de la situation du marché du livre en Algérie. «Le pouvoir d’achat a fortement diminué et il n’y a pas une vraie politique du livre dans le pays. Cela veut dire quoi ?
Créer des mécanismes pour que le livre soit entre les mains des élèves, des étudiants, des bibliothèques. Cela n’a pas été fait depuis l’indépendance du pays. Pourtant, il existe une loi du livre qui préconise certaines règles. La première a trait à la lecture à l’école», a-t-il précisé.
«L’état doit injecter de l’argent dans ces bibliothèques»
Azzedine Guerfi propose une formule : «On peut imaginer qu’il existe une liste de trois livres à lire obligatoirement à chaque palier scolaire. Avec huit millions d’élèves, on aura 24 millions de livres vendus. Cela ouvre un marché extraordinaire et on va former les lecteurs de demain. Dans dix à quinze ans, nous aurons des lecteurs. C’est ce que l’Algérie n’a pas produit depuis 1962. Le lectorat algérien est de plus en plus âgé». Il faut, selon lui, doter les bibliothèques scolaires ou publiques de budgets. «L’Etat doit injecter de l’argent dans ces bibliothèques qui auront alors la possibilité d’acheter des livres que les lecteurs trouveront.
Des lecteurs qui n’ont pas tout le temps la possibilité d’acquérir des livres. Il y a cinq ans, le livre coûtait 500 DA. Aujourd’hui, il est cédé à 1500 DA», a-t-il constaté. Sofiane Hadjadj, co-directeur des éditions Barzakh, va dans le même sens. «Le prix actuel du papier sur le marché mondial est contraignant pour nous. Nous demandons un appui des pouvoirs publics, du ministère de la Culture et des Arts pour que les éditeurs puissent faire face à cette contrainte. Le prix du papier définit le prix final du livre. Le prix public du roman est passé de 700-800 DA à plus de 1000 DA. C’est cher pour le simple lecteur», a-t-il noté. Pour Sofiane Hadjadj, le marché du livre existe. «Il est bien là pour tous types de livres, romans, essais historiques, etc.
A mon avis, le livre numérique n’a pas réellement réussi en Algérie. Le lecteur algérien a un rapport particulier avec le livre papier. Reste à définir le prix idéal pour le livre. Dans les années 1970-1980, l’édition du livre bénéficiait de subventions de l’Etat. Les prix étaient abordables pour tous. Aujourd’hui, il est important d’avoir une politique nationale du livre pour que les prix soient accessibles aux lecteurs. Le pays a aussi besoin d’un réseau de librairies. Ce réseau est faible actuellement. Il est impératif que le livre soit disponible dans les villes et les villages. Il y a peu de librairies dans des grandes villes telles que Constantine, Oran, Sétif... Il est important d’améliorer la diffusion et la promotion du livre également», a-t-il plaidé.
Les livres d’Histoire toujours sont les plus demandés par les lecteurs
Il a souhaité la programmation d’émissions littéraires à la télévision et à la radio consacrées principalement aux livres pour aider à la promotion des nouvelles parutions et susciter l’intérêt du lectorat.Smail M’hand a, pour sa part, estimé que chacun doit s’occuper de son métier. «L’éditeur, le distributeur, le diffuseur... Le distributeur ne doit pas être éditeur. L’éditeur doit s’occuper de ce qu’il propose au public en matière de contenu, doit veiller à la qualité des livres», a-t-il insisté. Selon lui, les livres d’histoire sont toujours les plus demandés par les lecteurs. «Il y a une certaine soif par rapport aux vérités historiques.
Les livres écrits par des noms connus s’écoulent facilement. Pour les romans, les lecteurs choisissent des noms consacrés en littérature. Il existe un nouveau genre de romans qui se vend grâce à une grande promotion sur les réseaux sociaux. Le contenu de ces écrits reste faible», a relevé le directeur des éditions Hibr. Les essais historiques sont, pour Azzedine Guerfi, incontournables. «On ne fait presque plus d’essais politiques aujourd’hui. Il y a des auteurs qui sont demandés, comme Yasmina Khadra, parce qu’il est médiatisé ailleurs dans le monde. Il existe également des auteurs algériens de qualité, mais qui sont peu médiatisés ou n’ont presque pas accès aux médias. Il existe une petite demande sur les romans», a-t-il indiqué. Le livre algérien peut-il être exporté ?
«L’exportation ne pose pas réellement de problèmes, mais il faut avoir une structure qui s’occupe des opérations d’export. Le livre ne s’exporte pas par containers, mais par dizaines d’exemplaires.
Faute d’une structure exportatrice de l’Etat, les éditeurs ne peuvent pas vendre leurs livres à l’étranger. Car, il s’agit de s’occuper des procédures douanières et administratives», a répondu le directeur des éditions Chihab. Malgré les difficultés, les éditeurs algériens ont proposé de nouvelles parutions cette année. Les éditions Dalimen ont produit seize nouvelles publications entre romans, essais, bandes dessinées et livres pour enfants. Il s’agit, entre autres, des romans Chewing gum, d’Amin Zaoui, On dira de toi, de Hamid Grine, Le buste de la courtisane, de Rabéa Djalti, Sans l’ombre d’un remords de Manel Benchouk et Si mon père avait une âme d’enfant... de Fateh Boumahdi.
Les jeunes auteurs en première ligne
«Benchouk et Boumahdi sont des jeunes auteurs. Leur écriture est différente par rapport à ce qu’on lit habituellement. Il s’agit d’histoires intéressantes et des personnages singuliers», a précisé Dalila Nadjem. Elle a évoqué l’édition de BD de jeunes auteurs aussi, comme Mahrez Si Saber. Dans On dira de toi, Hamid Grine revient sur la vie du poète Jean Sénac, assassiné à Alger le 30 août 1973. Les éditions Frantz Fanon ont, de leur côté, publié cette année une trentaine d’ouvrages entre histoire, littérature, mémoire et essais politiques.
Je cite le livre-événement d’Amar Mohand-Amer, La crise du FLN de l’été 1962, indépendance nationale et enjeux de pouvoirs. Il y évoque cette crise d’une façon inédite. «C’est un ouvrage très documenté basé sur des archives et des témoignages inédits. Le livre a reçu un accueil extraordinaire. Il y a aussi le livre du mathématicien Hend Sadi, Mouloud Mammeri au cœur de la bataille d’Alger. Nous avons édité l’essai L’Algérie juive, l’autre moi que je connais si peu. Le livre revisite l’histoire deux ou trois fois millénaires des juifs algériens», a détaillé Amar Ingrachen. Il a évoqué les romans publiés cette année aussi : Le bouclier de Massinissa d’Ahmed Gasmia, La saga algéroise de Mohamed Ifticen, Taletat, Mystère de La main du juif de Djamel Laceb et Le Serment d’Oujda de Mansour Kedidir. Les éditions Barzakh, qui participent pour la 23e fois au SILA, continuent de s’intéresser aux romans et aux essais. «Le SILA est un moment pour rencontrer le public.
Un public qui, quoi qu’en dise, a un attachement aux livres. La littérature contemporaine, la littérature francophone, est une niche. Ces littératures ont leur lectorat. Il y a de l’intérêt. Le SILA est donc l’occasion pour nous d’éditer de nouveaux livres, de nouveaux romans d’auteurs qui sont déjà dans notre catalogue, comme Mustapha Benfodil ou Suzanne El Kenz ou de nouveaux auteurs comme Aimen Laïhem, qui est architecte, et qui publie son premier roman, Taxis», a détaillé Sofiane Hadjadj.
De leur côté, Hibr éditions ont publié une dizaine d’ouvrages cette année. El Qahira al saghira (Petit Caire), best-seller de Amara Lakhous, auteur algérien établi en Italie, a été réédité avec une réactualisation. Sierra de Muerte (Les montagnes de la mort), un roman historique d’Abdelwahab Aissaoui, a également été réédité. «Nous avons édité trois autres romans. Il s’agit de La rose de Jéricho de Dahmane Touati, en français et en anglais, Deux guerres, une vie de Bahia Kiared et Rendez-vous au Mont Saint Michel d’Ahmed Benzelikha.
Au chapitre histoire, nous avons publié Le MALG de Mohamed Debbah et un livre de Mohand Arezki Ferrad où il a recueilli les témoignages de fils de chahid, Atfalou al thawra ya tadhakaroun (les enfants de la Révolution se souviennent). Nous avons traduit à l’arabe les mémoires de Mohamed Chaïb, Djihadi fi harb al tahrir», a détaillé Smail M’hand.
Reportage réalisé par Fayçal Metaoui