Ex-ministre de la Justice : Une peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars et d’une privation de son droit d’être élu durant 5 ans a été requise, hier, contre l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh. Il a enfoncé Belkacem Zeghmati, accusant ce dernier de murmurer dans l’oreille du défunt Gaïd Salah, ancien vice-ministre de la Défense.
Un lourd réquisitoire a été prononcé hier par le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, contre l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, lors de son procès pour l’affaire des «instructions» liées aux procédures d’annulation en 2016 de 16 mandats d’arrêt et d’amener contre Tarek-Noah Kouninef, pour des infractions douanières et à la réglementation des changes.
Le procureur est revenu sur les faits qu’il a qualifiés de «très graves» en raison du statut des mis en cause, notamment l’ex-ministre, Tayeb Louh, et l’inspecteur général, Tayeb Benhachem, qui, dit-il, «était président de la cour de Mostaganem et connaissait de ce fait tous les magistrats qui y exerçaient».
Il est revenu ainsi sur l’affaire qui date de 2014, lorsque la société KMC, appartenant à Kouninef, avait importé une cargaison de ciment avec «des surfacturations» afin de bénéficier des avantages. Cette affaire a suscité un contentieux avec les services des Douanes, porté devant la cour de Mostaganem.
Le procureur reprend le témoignage des magistrats en tant que témoins qui révèle, selon lui, «comment Kouninef a été reçu par l’ancien wali, Abdelwahid Temmar, pour lui préparer le terrain et influencer la cour de la justice, à travers des pressions terribles qu’ils ont eues à subir». Il rappelle aussi comment la juge du siège qui a présidé l’audience a été «menacée pour faire exécuter les instructions» puis mutée, ajoute-t-il, après 5 mois, pour «avoir résisté».
Il évoque l’enquête de l’office de répression de la corruption et les déclarations des mêmes témoins, aussi bien la présidente de la cour de Mostaganem que le procureur général, mais aussi les juges d’instruction et le procureur du tribunal de Mostaganem, qui «se rejoignent tous pour évoquer les pressions».
Pour ces faits, il requière deux peines, l’une de 10 ans de prison et l’autre de 8 ans de prison ferme contre respectivement Tayeb Louh et Tayeb Benhachem, assorties d’un million de dinars et la privation de leur droit d’être élus durant 5 ans.
Le procureur réclame également une condamnation de 10 ans de prison ferme contre Tarek Kouninef, assortie d’un million de dinars et la confiscation de tous les biens mobiliers et les fonds saisis par le juge d’instruction dans le cadre de cette affaire.
Poursuivi pour «abus de fonction» et «entrave au bon déroulement de la justice», l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, est revenu sur le contexte et les circonstances de son inculpation puis détention, depuis plus de 30 mois. Louh a commencé par se demander «qui a ordonné l’ouverture d’une telle enquête ?»
Il a enchaîné en affirmant : «C’est l’ancien procureur général (en faisant référence à Belkacem Zeghmati sans le citer), qui murmurait dans l’oreille du défunt vice-ministre de la défense) et commencé à prendre attache par téléphone avec les magistrats et les cadres du ministère de la Justice. Le ministre de la Justice qui m’a succédé n’a pas voulu aller loin dans cette affaire, il a été démis de ses fonctions, puis remplacé par le même procureur général.
La décision était inconstitutionnelle. Elle a été prise par un Président intérimaire, qui n’avait pas le droit de démettre ou de nommer un ministre au sein du gouvernement. Son rôle se limitait à organiser l’élection présidentielle.» «Comment pourrais-je donner des instructions à des juges, alors que dans mes réunions avec l’inspecteur général, je ne cessais de mettre en garde contre toute atteinte aux magistrats», s’est-il défendu.
«L’ancien Procureur général chuchotait dans l’oreille du défunt vice-ministre de la Défense»
L’ex-ministre tente d’étayer ses affirmations par «la sensibilité de la question», en déclarant que chaque année, il assistait à deux réunions de la Commission des droits de l’homme à Genève pour répondre à des questions liées au respect des droits de l’homme. «J’ai donné ma vie pour la défense des magistrats et je me retrouve dégradé, poursuivi et incarcéré par un ministre illégitime.»
Sur les faits, il lance au juge : «Par cette affaire, vous venez d’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Etat algérien. Je jure devant Dieu que je ne connais pas Kouninef.» Il assure avoir pris connaissance de cette affaire en lisant la presse.
Il rappelle dans ce sillage son «combat», durant les années 1990, pour le syndicat et l’indépendance de la justice, et termine : «Je suis fier d’être devant un juge comme vous, qui respecte les prévenus et leur laisse tout le temps pour se défendre.»
Aussi, il a rejeté les accusations selon lesquelles il aurait ordonné l’annulation des mandats d’arrêt contre les Kouninef. «Le procureur ne les a pas exécutés et il peut avoir ses raisons. Il a estimé que le mis en cause qui s’est livré peut être libéré au lieu de le mettre en prison.»
Le juge lui rappelle qu’il était poursuivi pour «abus de fonction» et «entrave au bon déroulement de la justice» à travers ses instructions qui orientaient les décisions du juge. Ce qu’a réfuté Tayeb Louh : «Je n’ai rien demandé à la présidente de la cour de Mostaganem.»
Louh persiste à affirmer qu’il ignorait l’affaire et revient encore une fois sur «les répercussions d’un tel dossier» qui, selon lui, sera utilisé pour traîner l’Algérie devant les instances internationales des droits de l’homme, en cas où le ministre de la Justice et son inspecteur général sont condamnés.
«Les juges avaient le droit de refuser les instructions»
«Ces magistrats auraient pu refuser les instructions. Ils sont protégés. Ils pouvaient prendre les décisions qu’ils veulent. Moi-même en tant que ministre, lorsque mes collègues interviennent pour une quelconque affaire, je prends la voie inverse. La magistrature n’est pas une fonction. Le juge a prêté serment de ne jamais violer la loi.» Le juge revient à la charge et l’ancien ministre déclare : «Comment pourrais-je violer la loi ? Qu’est-ce que je fais ici ? Ai-je volé ? Ai-je tué ou commis des massacres ? Le compte bancaire où je reçois mon salaire a été gelé sans aucune raison. J’ai une épouse et une fille malade.
Je suis profondément blessé.» Le président : «La présidente de l’audience a affirmé avoir été muté par représailles.» Louh : «Dans tout le mouvement qui touche des centaines de magistrats, je n’ai droit de proposer que 36 magistrats. Le reste ne relève pas de mes prérogatives. Moi, au moins, je n’ai jamais donné d’instruction aux forces de l’ordre pour violer la franchise de la cour d’Oran et tabasser les magistrats.
Où en est l’enquête ?» Le procureur rappelle à Louh que Kouninef faisait l’objet de 16 mandats d’arrêt et lui demande d’expliquer par quelle procédure le mis en cause peut-il s’en tirer. Louh en cite deux.
La première concerne les personnes arrêtées que le procureur doit placer en détention en attendant d’être entendues durant les 48 heures qui suivent. La seconde est liée aux personnes qui se livrent soit au juge soit au procureur et qui, selon lui, ne doivent pas être incarcérées, «parce que les textes doivent être interprétés au profit du justiciable».
Poursuivi pour les mêmes faits, Tayeb Benhachem nie en bloc et jure qu’il n’a aucune relation avec Kouninef. Le juge : «Vous êtes poursuivi pour avoir interféré en tant que membre de l’Exécutif dans les prérogatives du juge pour faire annuler des mandats d’arrêt qu’il a ordonnés, en contactant la présidente de la cour de Mostaganem.» Benhachem nie catégoriquement : «J’ai contacté le procureur général pour lui demander de voir ce qu’il en était dans le cadre de la loi.»
Le juge : «Vous vouliez régulariser la situation de Kouninef ?» Benhachem : «C’est au procureur général que j’ai parlé, pas à la présidente, et juste pour savoir de quoi il s’agit.» Le juge lui explique qu’il n’y a aucun souci à résoudre un problème d’un justiciable, mais qu’il lui est reproché d’orienter la décision du juge au profit d’autrui.
«Le prévenu avait des mandats d’arrêt et des condamnations par défaut, mais je ne le savais pas. Je l’ai su bien après», déclare Benhachem. Le président : «Ces décisions étaient liées à des infractions douanières et de change. Vous aviez contacté le juge pour orienter ses décisions.» Benhachem persiste à nier «avoir pris contact avec la présidente de la cour de Mostaganem».
Le magistrat poursuit : «Le procureur général de Mostaganem affirme avoir reçu des instructions de votre part pour vider les mandats d’arrêt et prononcer le non-lieu, sur instruction du ministre.» Benhachem : «Jamais. C’est lui qui agissait. Je ne lui ai rien demandé.» Le juge : «Lorsque vous donnez des instructions à un juge qui a peur pour sa carrière, d’être éloigné de ses enfants, etc., il peut déraper.» Benhachem : «Nous n’avons jamais obligé un juge à prendre une décision contraire à la loi. Bien au contraire. Lorsque nous sommes informés de tels agissements, nous dénonçons.»
Pour sa part, Tarek-Noah Kouninef, poursuivi pour «complicité d’abus de fonction», rejette tous les faits. Il reconnaît être allé à la cour de Mostaganem «sans avoir été convoqué». Il affirme n’avoir jamais été informé de ces mandats ou de ces poursuites. «Peut-être parce que j’ai changé d’adresse. Mais, un jour, j’ai reçu des agents de police, qui m’ont conduit au commissariat. Cela concernait une commission rogatoire.»
Le juge lui fait savoir que ces mandats sont liés à des opérations de surfacturations et Kouninef répond : «J’ai donné tous les justificatifs une fois que la facture originale me soit parvenue d’Europe. J’ai mis du retard et la justice a continué à maintenir les mandats.» Le juge : «Vous n’aviez pas achevé les procédures.» Kouninef : «Elles ont toutes été faites et à 100%.» Il nie avoir reçu des mandats d’amener.
Le procureur précise qu’il y a eu 8 mandats d’amener et 8 mandats d’arrêt. «Pourquoi ne les avez-vous pas vidés ? Pourquoi avoir mobilisé tous les magistrats de Mostaganem et le wali, et vidé la salle de l’audience pour régler vos problèmes avec la justice ?» Kouninef conteste : «L’audience s’est déroulée en public.»
Le procureur : «Le procureur a déclaré que vous étiez venu avec un officier, qui a refusé de quitter son bureau sans vous. Et il y est resté.» Kouninef dément. «C’était mon avocat…», dit-il, mais le magistrat revient à la charge : «Ce sont les propos du procureur. Même le wali s’est déplacé à la cour.» Le prévenu nie totalement. Les plaidoiries se sont poursuivies jusqu’en fin de journée. Le verdict sera connu le 7 mars.