Corruption, Flux financiers illicites (FFI) et évasion fiscale, trois virus devenus, depuis ces dernières années, dangereusement endémiques en Afrique, requièrent une mobilisation collective et des efforts plus concrets pour trouver les meilleurs antidotes à même de les neutraliser.
Dévastateurs, leurs effets, qu’ils soient directs ou sournois sur la santé économique et financière du continent, le sont à plus d’un titre. Rien qu’en FFI, cet ensemble régional perd chaque année au moins 60 milliards de dollars, selon les dernières estimations de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Une véritable saignée que la Commission des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) impute surtout aux activités commerciales des multinationales, au trafic de drogue, à la contrebande, la corruption ainsi qu’au détournement de fonds. Des pratiques et tant d’autres, comme la surfacturation ou la sous-évaluation des accords commerciaux, la manipulation des prix de transfert (éviter les taxes en fixant des prix entre leurs divisions), les services bancaires offshores et le recours persistant aux paradis fiscaux, auxquelles l’on tentera d’apporter une réponse plus efficiente lors de la 11e Conférence panafricaine sur les flux financiers illicites et la fiscalité (PAC 2023).
Ce regroupement continental se tiendra à Accra, au Ghana, du 22 au 24 novembre 2023, à l’initiative du Réseau africain pour la justice fiscale (TJNA) et le Forum africain d'administration fiscale (ATAF), est-il annoncé par les organisateurs. Devraient y être ressemblés des acteurs de la justice fiscale, des Organisations de la société civile (OSC) et des décideurs politiques afin d'«explorer les moyens par lesquels les pays africains peuvent prendre la tête des conversations internationales qui commencent à avoir des implications sur les efforts africains pour s'engager dans la mobilisation des ressources nationales et freiner les flux financiers illicites en provenance du continent».
Outre les hauts responsables d’institutions panafricaines et d’agences gouvernementales prendront part à cette nouvelle édition du PAC, placée sous le thème «Mettre la gouvernance fiscale mondiale au service de l'Afrique», des chercheurs, des fiscalistes, des financiers et des universitaires. L’objectif étant de «faire le point sur les succès et les défis des efforts de mobilisation des ressources nationales (DRM) du continent et fournir des preuves solides que les organisations de la société civile africaine (OSC) et les autres parties prenantes peuvent utiliser pour soutenir leur politique fiscale en cours et leur travail de plaidoyer».
Il va sans dire que la corruption et la délinquance fiscale sont, certes, des facteurs aggravant cette hémorragie financière. Mais les FFI sortant du continent, dont les responsables sont autant les acteurs internes qu’externes, actifs ou passifs, soient-ils, s’avèrent plus nocifs et difficilement contrôlables, de par leur caractère multidimensionnel et transnational, étant donné qu’ils ont des origines et des pays de destination.
C’est pourquoi, «les acteurs publics et les acteurs privés tels que les entreprises multinationales et certaines personnes à fortune nette élevée ainsi que les juridictions impliquées dans les pratiques favorisant les FFI doivent prendre leurs responsabilités et combattre ce fléau», tel ne cesse d’appeler et de rappeler, depuis plus d’une tribune, Komi Tsowou, expert des questions commerciales à la Cnuced.
Un fléau dont l’appréciation quantitative globale précise demeure hautement complexe et diffère d’un organe à un autre. Pour la Global Financial Integrity (GFI), organisation basée à Washington, qui œuvre à freiner les mouvements transfrontaliers de capitaux illicites, environ 1100 milliards quittent illégalement l’ensemble des pays en voie de développement, l’équivalent de plus que ce que ces pays reçoivent en Investissements directs étrangers (IDE) et en Aide publique au développement (APD) combinés.
Capitaux offshore et 190 milliards de dollars de perdus
Mieux encore : toujours selon la GFI, les FFI pèseraient entre 4% et 7% de la valeur totale du commerce international (exportations et importations) des pays en développement, selon la région. La plus grosse partie (55%) des FFI issus de ces pays trouvent refuge dans les banques des pays développés, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, surtout, tandis que 44% atterrissent dans les pays considérés le plus fréquemment comme paradis fiscaux (Suisse, Îles Vierges britanniques ou Singapour).
Pas seulement. En matière fiscale, les capitaux détenus offshore par des personnes physiques, des entreprises multinationales et des banques font perdre aux pays en développement pas moins de 190 milliards de dollars, s’accordent, en outre, à estimer des ONG activant dans la lutte contre les inégalités sociales et les paradis fiscaux.
Et c’est sous la pression des mêmes ONGs et en réponse aux recommandations phares des précédentes éditions du PAC ainsi qu’aux persistantesmises en gardes de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), œuvrant pour la justice fiscale dans le monde, surtout, que bien des omertas ont sauté et des tabous ont pu être brisés.
En effet, grâce à des divulgations volontaires, à la mise en œuvre de mécanismes d’échange d’informations et à des enquêtes rigoureuses sur les activités extraterritoriales liées à l’évasion fiscale et aux FFI, près de 1,7 milliard d’euros de recettes supplémentaires ont pu être réalisés par les pays africains, fait ressortir le rapport étape de Transparence fiscale en Afrique 2023, publié début juillet dernier, en marge de la 13e réunion de l’Initiative Afrique (Cap Afrique du Sud).
Les auteurs du document, coproduit par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, la Commission de l’Union africaine et le Forum de l’administration fiscale africaine, avec le soutien de la Banque africaine de développement (BAD), reconnaissant, ainsi, que «... de 2009 à 2022, ces mesures ont effectivement stimulé les recettes fiscales, les intérêts et les pénalités, soulignant des progrès substantiels en matière de transparence fiscale à travers le continent», et ce, tout en exhortant les dirigeants africains à poursuivre, plus activement, leur engagement et à intensifier leurs efforts en matière de transparence et d’échange de renseignements afin de prévenir la fuite des capitaux, indissociable de la fraude, de l’évasion fiscale et de la corruption à grande échelle et, «en fin de compte, améliorer la mobilisation des ressources intérieures».
D’autant que, y est-il souligné, «la participation aux mécanismes d’échange de renseignements pourrait accroître de 5% à 19% du PIB les recettes fiscales des pays africains».
Ces derniers, pour se faire aider à mieux s’équiper afin de circonscrire l’évasion fiscale et les autres FFI et pouvoir s’aligner sur les avancées en matière de transparence mondiale, sont invités à adhérer massivement à l’Initiative Afrique (IA).
Ce partenariat entre le Forum mondial, une trentaine de pays africains et près d’une vingtaine de partenaires dont la BAD, la Commission de l’Union africaine, l’UE et les gouvernements de la Suisse et du Royaume-Uni, vise, essentiellement, à «renforcer la capacité des pays africains à tirer parti des normes et des protocoles d’échange de renseignements».