«Seuls 95 camions environ peuvent entrer chaque jour, contre près de 500 avant la guerre, à une époque où les besoins n’étaient pas aussi élevés qu’aujourd’hui», constate l’ONG humanitaire CARE de lutte contre la faim.
L’ampleur du massacre commis jeudi à l’encontre de civils palestiniens ravagés par la famine, venus quérir un peu d’aide humanitaire dans la ville de Ghaza, et qui a fait 110 morts et 760 blessés, pose la question de l’organisation et de l’acheminement de l’aide humanitaire dans le contexte de guerre totale que livre depuis 148 jours l’entité sioniste au peuple palestinien.
Le droit international humanitaire est clair : la puissance occupante est tenue de fournir en quantité suffisante toute l’aide nécessaire en termes de produits alimentaires, de fournitures médicales et de carburant. Une obligation à laquelle l’oppresseur se dérobe, soumettant les civils épargnés par les bombardements à une véritable mort lente.
Les agences onusiennes et les ONG qui activent en Palestine occupée n’ont de cesse de le rappeler : l’aide humanitaire arrive au compte-gouttes à Ghaza, ce qui accroît la menace d’une famine à grande échelle, qui a déjà commencé à tuer, principalement des enfants.
Pour rappel, le 22 décembre 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies avait voté une résolution appelant à «des mesures urgentes pour un accès sans entrave et élargi de l’aide humanitaire».
Il avait en outre exigé que «les parties au conflit autorisent et facilitent le recours à l’ensemble des voies d’accès et de circulation disponibles dans toute la Bande de Ghaza, notamment la mise en service intégrale et rapide de points de passage, tels que celui de Karam Abou Salem (Kerem Shalom en hébreu), en vue de l’acheminement de l’aide humanitaire».
L’arrêt du 26 janvier de la CIJ obligeait de son côté Israël à «prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens ont un besoin urgent pour faire face aux conditions de vie défavorables auxquelles sont confrontés les Palestiniens».
Amnesty dénonce les entraves à l’aide humanitaire
Amnesty International relève justement qu’un mois après la prononciation de ces mesures conservatoires, Israël fait fi de l’ordonnance de la CIJ en matière d’approvisionnement de l’enclave palestinienne. «En tant que puissance occupante, Israël a l’obligation explicite, aux termes du droit international, de veiller à ce que les besoins fondamentaux de la population civile de Ghaza soient satisfaits.
Or, il échoue totalement à répondre aux besoins élémentaires des Ghazaouis, et bloque et entrave le passage d’une aide suffisante vers la Bande de Ghaza, en particulier vers le Nord, quasiment inaccessible, ne respectant ni l’ordonnance de la CIJ ni son obligation de prévenir le génocide», dénonce Amnesty International à travers un communiqué.
L’ONG précise que l’occupant sioniste «disposait d’un délai d’un mois pour soumettre un rapport sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter l’ordonnance. Au cours de cette période, Israël a continué de faire fi de son obligation en tant que puissance occupante de répondre aux besoins fondamentaux de la population palestinienne à Ghaza».
Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, estime que l’Etat hébreu a «favorisé une très grave crise humanitaire et fait preuve d’une froide indifférence à l’égard du sort de la population de Ghaza en créant des conditions qui, selon la CIJ, l’exposent à un risque imminent de génocide».
«Les autorités israéliennes n’ont pas veillé à ce que des biens et des services élémentaires parviennent en quantité suffisante à une population menacée de génocide et au bord de la famine du fait des bombardements incessants d’Israël et du durcissement du blocus illégal en place depuis 16 ans.
Elles n’ont pas non plus levé les restrictions d’entrée des produits vitaux, ouvert de nouveaux points d’accès et de passage pour l’aide, ni mis en place une protection efficace des personnels humanitaires contre les attaques», énumère Amnesty.
L’organisation de défense des droits humains souligne qu’avant le 7 octobre, «environ 500 camions en moyenne entraient dans Ghaza chaque jour, acheminant de l’aide et des marchandises, notamment de la nourriture, de l’eau, du fourrage destiné au bétail, des fournitures médicales et du carburant – ce qui était loin de satisfaire les besoins de la population».
Après le 7 octobre, les flux d’approvisionnement ont immédiatement chuté. Il a fallu attendre le 21 octobre 2023 pour voir le retour de façon timide des convois d’aide humanitaire au profit de la population assiégée qui manquait déjà de tout. «Les approvisionnements parvenus à Ghaza avant l’ordonnance de la CIJ sont une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux besoins des 16 dernières années.
Or, au cours des trois semaines qui ont suivi cette ordonnance, le nombre de camions entrant dans Ghaza a baissé d’un tiers environ, passant de 146 par jour en moyenne pendant les trois semaines précédentes, à 105 par jour en moyenne au cours des trois semaines suivantes», affirme Amnesty International.
«Acheminer l’aide est extrêmement difficile et complexe»
Et pour se faire une idée du cauchemar quotidien que vivent les convois d’aide humanitaire qui essaient d’entrer à Ghaza, l’ONG CARE, organisation caritative engagée dans la lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde, apporte des éléments d’information saisissants. «Acheminer l’aide humanitaire à Ghaza est extrêmement difficile et complexe», résume l’ONG.
Dans un document daté du 29 février et intitulé «Comment l’aide humanitaire arrive à Ghaza», elle note : «Suite aux attaques du 7 octobre, toute aide transfrontalière vers Ghaza a été initialement interrompue.
Depuis fin octobre, des livraisons limitées d’aide, notamment de nourriture, de médicaments et d’eau, sont autorisées à entrer dans l’enclave. Toutefois, ces quantités sont loin d’être suffisantes pour répondre à l’énorme besoin humanitaire.» Et de révéler que «seuls 95 camions environ pouvaient entrer chaque jour, contre environ 500 avant la guerre, à une époque où les besoins n’étaient pas aussi élevés qu’aujourd’hui».
L’organisation internationale est «présente à Ghaza depuis 1948», précise-t-elle. Depuis le 7 octobre, elle «a apporté de l’aide à plus de 250 000 personnes avec plus de 153 000 litres d’eau, prodigué des soins à 68 000 personnes grâce à nos cliniques mobiles, distribué plus de 3000 kits de dignité aux femmes et aux filles et veillé à ce qu’au moins 11 000 personnes aient accès à l’eau potable».
L’ONG ajoute : «Jusqu’à présent, CARE a pu faire passer 20 camions, transportant un total de 14 650 kits d’hygiène (750 kits par camion) touchant 85 000 personnes. Six camions supplémentaires sont en route. Cependant, le processus d’acheminement de l’aide de l’Egypte vers Ghaza est long et ardu.»
«Nous importons les marchandises vers l’Egypte ou les achetons directement là-bas, dans la mesure du possible», explique l’ONG. «Le Croissant-Rouge égyptien gère les camions pour le compte de la communauté internationale», indique l’organisation.
Ce dernier «fait en sorte que les marchandises soient acheminées jusqu’à la frontière de Rafah en passant par le processus d’inspection, puis traversent vers Ghaza. Depuis Le Caire, les camions doivent passer par la péninsule du Sinaï.
Il existe plusieurs points de contrôle». «Les camions égyptiens ne peuvent pas traverser la frontière, donc à Rafah, tout sera déchargé, scanné à nouveau, puis rechargé sur nos camions palestiniens et amené dans nos entrepôts. Souvent, nos partenaires récupèrent également les marchandises à la frontière avec des camions plus petits et les acheminent vers leurs entrepôts», détaille l’ONG.
«Notre personnel risque sa vie chaque jour»
Selon l’organisation humanitaire, «l’acheminement de l’aide du Caire à Ghaza peut prendre entre trois et 20 jours». «Les défis auxquels ils sont confrontés sont énormes, même une fois que l’aide ait franchi la frontière», insiste l’organisation basée à Genève. «A Ghaza, il y a une énorme pénurie de camions.
Seuls 120 camions circulent à Rafah. Ainsi, pour chaque camion qui arrive du Caire à la frontière et ne peut pas traverser, un des camions à Rafah doit venir chercher les marchandises, faisant des allers-retours depuis la frontière pour apporter l’aide à la population.»
Une fois à l’intérieur de l’enclave assiégée, c’est un autre calvaire qui commence pour les convoyeurs, avec, en prime, le risque de laisser leur vie en traversant le territoire dévasté. «Cela prend beaucoup de temps, notamment parce que les routes ont été endommagées par les frappes aériennes et que les rues de Rafah sont incroyablement encombrées.
1,4 million de personnes sont enfermées dans une zone qui fait environ la moitié de la taille du Liechtenstein. Les rues sont pleines de gens, de tentes et de charrettes à chevaux. Les gens sont de plus en plus tendus et désespérés lorsqu’ils voient leurs proches mourir de maladie, de faim ou sous les bombardements.
Ces masses de personnes compliquent les distributions.» «Les pannes constantes des télécommunications constituent un autre problème majeur, rendant difficile les simples appels téléphoniques et l’organisation de l’acheminement de l’aide», poursuit l’ONG. «Un autre défi majeur est le manque de sécurité et la poursuite des hostilités et des bombardements.
Notre personnel risque sa vie chaque jour en travaillant pour aider les autres», déplore-t-elle encore. Cela revient à traverser un rideau de bombes, rendant chaque mission de distribution d’aide périlleuse. «Malheureusement, aucun endroit à Ghaza n’est sûr», regrette l’ONG. «Le personnel de CARE et ses partenaires vivent au milieu des bombardements.
Ayant dû fuir leur propre domicile, ils vivent dans des abris pour personnes déplacées, partageant souvent de minuscules tentes ou chambres avec des dizaines de membres de leurs familles, voire des étrangers.» Acheminer l’aide humanitaire jusqu’au nord de la Bande de Ghaza expose les convois à toute sorte de dangers, témoigne l’association caritative.
«Dans le Nord, où CARE est l’une des trois seules organisations internationales encore capables d’opérer, les munitions non explosées représentent un risque énorme, et partout à Ghaza, les combats et les bombardements se poursuivent», alerte-t-elle.
L’UE débloque 50 millions d’euros pour l’UNRWA
L’ONG redoute par ailleurs l’exécution du plan Netanyahu pour Rafah, qui compliquera effroyablement la mission des travailleurs humanitaires : «Notre plus grande crainte à l’heure actuelle est que les attaques contre Rafah s’intensifient.
Cela mettrait encore plus en danger la vie de nos collègues et de centaines de milliers de personnes, mais cela signifierait également que nous ne pourrions prodiguer aucune assistance depuis l’Egypte vers Ghaza. Cela rendrait toute forme d’acheminement d’aide beaucoup trop dangereuse.»
A ce sombre tableau s’ajoutent les difficultés de l’Unrwa, qui a toujours été le principal soutien des habitants de Ghaza.
Depuis les récentes accusations portées contre une douzaine de ses membres d’appartenance au mouvement Hamas, l’Unrwa subit des attaques odieuses de la part de l’occupant israélien, et plusieurs pays donateurs lui ont coupé leurs financements. Cela a grandement fragilisé cette agence et réduit son champ d’action.
Mais après le massacre perpétré lors de cette opération de distribution d’aide, qui a tourné au carnage, un élan de sympathie s’est manifesté envers l’organisation dirigée par Philippe Lazzarini. Jeudi, l’Union européenne a annoncé qu’elle va débloquer 50 millions d’euros d’aide «en début de semaine prochaine» au profit de l’Unrwa, ajoutant que 32 millions supplémentaires lui seront versés ultérieurement.