Entre multiples chocs et énormes défis, est-ce que le monde est prêt à affronter la récession à venir ?

13/09/2023 mis à jour: 00:03
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La prochaine crise économique mondiale va frapper un monde sous pression et sa capacité de réponse reste douteuse. Cette pression est le résultat d’une succession de chocs violents, y compris la grande crise financière de 2008, les chocs pétroliers de 2014, 2020 et 2022, la pandémie qui a paralysé le monde entre 2020-2022, la crise du coût de la vie depuis la mi-2021, la guerre en Ukraine et les désastres naturels en série liés à la crise climatique que nous vivons désormais et qui se manifeste à échéance régulière, y compris avec intensité au cours de cet été 2023.

Ces chocs déstabilisateurs ont déjà ouvert la voie au bilatéralisme (réorganisation des chaînes d’approvisionnement sur des bases bilatérales privilégiant la sécurité) ; la fragmentation économique (politiques industrielles et non-respect des règles commerciales mondiales) et géostratégiques (amorce de processus de création de nouvelles alliances économiques régionales Sud-Sud et Nord-Sud).

Un tel contexte n’est pas de nature à faciliter la prise en charge individuelle et collective de la prochaine crise économique mondiale qui se dessine à l’horizon, notamment au vu du ralentissement de l’activité économique au niveau des pôles de croissance (Chine et Union européenne) et des perspectives à moyen terme les plus défavorables depuis trente ans.

Pour ce qui est de l’Algérie, dont l’économie continue de faire face à des déséquilibres macroéconomiques et des rigidités structurelles depuis des années (faible croissance économique, montée du chômage, inflation, taux de change déséquilibré), elle se doit de se doter d’une stratégie nouvelle et de moyens adéquats pour : (1) absorber un autre choc économique externe ; et (2) créer une économie hors pétrole dans une démarche qui intègre les grands bouleversements en cours (décarbonisation de l’économie mondiale, développement technologique accéléré, transition écologique, positionnement international inadéquat). Discutons de tous ces points.

États-Unis : l’inflation est en baisse et il est possible que l’économie opère un atterrissage en douceur (maîtrise de l’inflation sans récession).

Point 1. L’ajustement des taux directeurs et la reprise des chaînes de valeur ont ralenti la hausse des prix à la consommation. L’inflation est le résultat d’une collision entre une demande très forte et une offre limitée par la pandémie. Les diverses augmentations du taux directeur depuis mars 2022 ont ralenti la croissance de la demande globale. Parallèlement, les contraintes sur l’offre ont été allégées, notamment pour ce qui est des biens durables. De ce fait, et en glissement annuel : (1) l’inflation totale (mesurée par l’indice des dépenses de consommation personnelle) qui avait atteint 7 % en juin 2022 a chuté à 3,3 % en juillet 2023 ; (2) l’inflation sous-jacente (excluant les produits alimentaires et énergétiques qui sont volatiles) a culminé à 5,4% en février 2022 et a diminué progressivement pour atteindre 4,3% en juillet 2023.

Nonobstant ces progrès, il reste beaucoup à faire pour revenir à la stabilité des prix (objectif des 2%). Si l’inflation sous-jacente est dans un trend baissier au niveau des secteurs des biens et du logement (ce dernier étant très sensible aux taux d’intérêt), des efforts plus importants sont nécessaires pour reprendre le contrôle des prix dans le secteur hors logement (plus de 50% de l’indice PCE de base) qui couvre une gamme variée de services (soins de santé, restauration, les transports et hébergement). Une politique monétaire restrictive devrait rétablir un meilleur équilibre entre l’offre et la demande globales et réduire les pressions inflationnistes dans ce secteur clé.

Point 2. D’autres hausses du taux directeur seront nécessaires au cours des mois à venir pour deux raisons :

(i) La croissance économique a baissé mais reste au-dessus du potentiel en dépit du resserrement des conditions financières et des normes de prêt des banques (qui ont fortement ralenti la croissance des prêts) ; et (ii) le rééquilibrage du marché du travail reste incomplet. De ce fait, la croissance des salaires réels a augmenté à mesure que l’inflation a diminué et les tensions demeurent.

Point 3 : Le pilotage de la politique monétaire reste difficile pour trois raisons : Si la politique actuelle est restrictive et exerce une pression à la baisse sur l’activité économique, l’embauche et l’inflation, il y a trois risques : (1) comment identifier avec certitude le taux d’intérêt neutre, celui où le taux ni ne stimule ni ne ralentit la croissance ; (2) l’impact des évolutions de la demande et de l’offre, sur l’inflation et la dynamique du marché du travail et (3) gestion du resserrement pour éviter d’en faire trop et risquer un enracinement de l’inflation à un niveau supérieur a l’objectif de s’enraciner et en faire trop pourrait également nuire inutilement à l’économie.

L’Union européenne : a des difficultés à maîtriser les pressions inflationnistes et se rapproche désormais d’une situation de stagflation

Le taux d’inflation global de la Zone euro est resté stable à 5,3% en août, reflétant la remontée des prix des carburants et la suppression des subventions à l’électricité et au gaz dans des pays comme la France.

Face à cela, la Banque Centrale Européenne (BCE) vient de réitérer sa détermination à ramener l’inflation à sa cible de 2% en resserrant davantage les conditions monétaires et en optant de ce fait pour un atterrissage brutal de l’économie de la Zone euro. Dans ce contexte, les perspectives économiques à moyen terme restent défavorables du fait de la détérioration du contexte international (ralentissement de l’économie mondiale, recul de l’économie chinoise, faible croissance de l’activité aux Etats-Unis) et de l’environnement macroéconomique de la Zone euro (baisse de la demande en produits industriels et de consommation ; arrivée à échéance des soutiens de l’État aux ménages ; stagnation des revenus réels et recul de l’activité dans le secteur des services). Ce sont in fine autant de signes annonciateurs du basculement imminent de la Zone euro dans la stagflation.

Ce basculement est d’autant plus plausible que la hausse passée des taux d’intérêt a également commencé à affecter l’économie européenne, comme le souhaitait la BCE. En effet, notons : (1) les difficultés de la construction, un secteur très sensible aux variations des taux d’intérêt ; (2) la chute des prêts bancaires qui se traduisent par une perte de 0,4 point de pourcentage de la croissance du PIB chaque trimestre (Goldman Sachs) et (3) la hausse de 8% des faillites d’entreprises au deuxième trimestre de l’année 2023 par rapport au premier et ont atteint leur plus haut niveau depuis 2015.

Un atterrissage brutal est donc presque garanti.

La Chine : chute de la croissance, déflation et réduction de ses ambitions mondiales de dépasser les États-Unis.

La réouverture de l’économie chinoise en janvier 2023 avait été accueillie favorablement par la communauté internationale et s’est traduit par un rebond au cours du premier trimestre 2023 en raison de la reprise de la consommation interne (tourisme, services hôteliers, transport, etc.), des exportations et même de l’immobilier. A contrario, à fin juin 2023, l’économie chinoise s’essouffla et en glissement annuel : (1) la croissance économique n’a atteint que 3,2 % en raison de la faiblesse de la consommation, des investissements des entreprises et des exportations nettes, de la tiédeur des investisseurs étrangers et des administrations locales ; et (2) le déflateur du PIB, mesure du prix des biens et services, a diminué de 1,4 %, la plus forte baisse depuis 2009.

Elle a plongé la Chine dans la déflation qui ne manquera pas d’éroder les bénéfices des firmes, d’entamer la confiance des agents économiques, de décourager les emprunts et les investissements, de faire chuter davantage la croissance économique, aggravant encore plus les pressions déflationnistes et plongeant les agents économiques dans un endettement réel. Face à cela, la Chine a annoncé sans conviction ces dernières semaines une série de mesures partielles sur les plans monétaire, fiscal et réglementaire pour stimuler l’économie et les marchés.

La tiédeur de ces mesures s’explique par le fait que les autorités sont convaincues que les moteurs de la croissance ne peuvent repartir pour trois raisons : (1) l’arsenal des mesures correctives économiques (baisse du coût du crédit, programmes d’infrastructure, relance de l’immobilier et stimulation de consommation des ménages à travers des hausses des pensions et des transferts) est devenu inefficient, car il favorise une hausse de l’endettement public et privé et crée des bulles spéculatives dangereuses ; (2) le pays s’est fixé de nouvelles priorités stratégiques : gestion rigoureuse des finances publiques (ciblage d’un déficit du budget de 3%) et d’un taux de croissance qualitatif de 3%) en appui de leur objectif de renforcer la grandeur nationale, la sécurité et la résilience et (3) des contraintes structurelles majeures entravent un redéploiement économique par le biais de la consommation et les investissements privés, y compris (i) une population vieillissante qui affaiblit le potentiel de croissance et ralentit la transition vers un nouveau modèle de croissance basé sur la consommation intérieure ; (ii) une relocalisation des IDE vers le Vietnam, les Philippines, l’Inde et le Bangladesh ; (iii) un environnement international plus défavorable en raison de la stratégie de désengagement ciblé de la part de l’UE et des Etats-Unis, ce qui conduit la Chine à s’intéresser aux pays émergents comme partenaires économiques et financiers et justifie l’intérêt sur les BRICS et (iv) des restrictions sur les transferts de technologie.

Pour l’avenir, l’objectif de la Chine de construire un nouveau modèle de croissance en s’appuyant sur des industries manufacturières à plus forte valeur ajoutée, l’énergie verte, les soins de santé, l’intelligence artificielle et les super communications prendra du temps et impliquera, entre autres, des mesures de restructuration de la dette plus énergiques qui, dans un premier temps, nuiront également à la croissance. Toutes ces contraintes vont ralentir les ambitions de la Chine et son objectif stratégique de rattraper les Etats-Unis.

Les autres membres du groupe des BRICS (hors Chine) : défis macroéconomiques majeurs et besoin de prise de décisions difficiles.

En 2023, ces pays font face à plusieurs défis majeurs, notamment le durcissement des conditions financières mondiales, la fragmentation géo-économique croissante, le changement climatique coûteux, le fardeau de la dette mondiale et la transition numérique. Ces contraintes mettent les BRICS dans des conditions difficiles qui doivent alors y répondre en : (1) accélérant la mobilisation des ressources intérieures pour reconstituer les réserves budgétaires et financer les priorités de développement ; (2) renforçant la résilience face à la fragmentation géo-économique grâce à la diversification et aux réformes ; (3) relevant le défi du changement climatique en mettant en œuvre une stratégie financièrement et socialement durable.

Pour garantir la viabilité budgétaire, il leur sera essentiel de ne pas s’appuyer principalement sur des mesures de dépenses telles que les investissements publics verts et les subventions pour atteindre les objectifs de zéro émission nette. Plus important, vu leur objectif de partager la gouvernance mondiale, ces pays doivent désormais dépasser cette faiblesse caractéristique d’éviter les sujets qui fâchent et qui ne favorisent pas la prise de décisions essentielles (telles que la conception d’un projet commun qui leur a tant manqué tout au long des 20 dernières années). L’unité de façade affichée par le passé ne favorisera nullement les ambitions de challenger le G7.

L’Algérie a besoin de se préparer stratégiquement et tactiquement pour faire face à la récession 
qui se dessine d’ici 2024.

Un monde en plein bouleversement géostratégique, une transition énergétique en cours, une récession économique se profilant au niveau de deux grands pôles de croissance sont autant de raisons qui doivent inciter le pays à ne plus perdre du temps et de se donner une stratégie à long terme de refondation de l’économie du pays. Trois priorités doivent asseoir cette stratégie à long terme :

1. Restaurer et maintenir la stabilité macroéconomique : qui est incontournable pour assurer le retour à une croissance saine et inclusive. Dans ce contexte, il s’agira de restaurer progressivement la viabilité des finances publiques (avec des mesures portant sur les recettes, les dépenses et une structure du financement des déficits qui assure l’équilibre entre réduction des déficits et croissance économique) en prenant appui sur un resserrement de la politique monétaire et une plus grande flexibilité de la politique de change.

2. Protéger les populations sur le plan social : en créant des espaces budgétaires pour disposer de ressources adéquates pour la santé, l’éducation et la lutte contre la pauvreté qui a augmenté considérablement en raison des effets de la pandémie et de la crise du coût de la vie. Ce plan social est crucial pour accompagner les réformes macro-structurelles et structurelles qui vont assurer la transition du modèle rentier au modèle de production élargie.

3. Renforcer le processus de construction d’un nouveau modèle de croissance économique et social. Ce qui implique une stratégie et des plans de réformes structurelles et sociales ainsi que le renforcement de la gouvernance. Les réformes devront toucher de nombreux secteurs (cadre des investissements, entreprises publiques, banques d’Etat, concurrence, accès au financement, politiques du genre, etc.). 

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