Voici donc planté le décor de ce triste Ramadhan 2024 qui même pour nous, citoyens d’Algérie, n’aura pas la même saveur, affectés que nous sommes par ce qu’endurent nos frères palestiniens. Alors que dire de ce que ressentent ceux qui subissent depuis plus de cinq mois maintenant, depuis exactement 156 jours, un véritable déluge de feu et des violences en tout genre, entre la famine, le froid, la peur, les affres de l’arrachement…
Alors que les espoirs d’une trêve arrachée avant le début du Ramadhan sont complètement anéantis, c’est donc sous les bombes et dans un climat de terreur inouïe que les Ghazaouis s’apprêtent à accueillir le mois sacré.
Et c’est sans doute le pire mois de jeûne qu’auront à vivre les Palestiniens, et tout spécialement la population civile de Ghaza qui aura eu à subir une succession d’épreuves d’une ampleur inédite depuis le début de la guerre totale déclenchée par l’occupant israélien contre l’enclave palestinienne.
Les Ghazaouis sont confrontés à une machine de guerre impitoyable qui fauche quotidiennement une centaine d’âmes en moyenne. A quoi s’ajoute la violence du déracinement quand on sait que plus de 85% des habitants de ce minuscule territoire ont perdu leur maison et sont condamnés à l’errance.
Et il faut citer également la famine qui est en train de déchiqueter les entrailles des survivants. Selon le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza, la malnutrition a fait 26 morts ces derniers jours, majoritairement des enfants.
Même si le volume de l’aide humanitaire qui arrive à Ghaza a connu une légère hausse à la faveur des largages humanitaires qui se succèdent, cela reste dérisoire comparé à l’ampleur des besoins. Les ONG et les responsables onusiens ne cessent de le rappeler : rien ne peut remplacer efficacement la voie terrestre pour l’acheminement des aides.
Et même le port temporaire annoncé par Biden, et qui serait en mesure de fournir «plus de deux millions de repas par jour», selon le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder, ne sera pas opérationnel avant deux mois, soit le temps nécessaire pour construire cette «jetée temporaire», d’après le même Ryder.
Des tablées en deuil
Voici donc planté le décor de ce triste Ramadhan 2024 qui même pour nous, citoyens d’Algérie, n’a pas la même saveur, affectés que nous sommes par ce qu’endurent nos frères Palestiniens. Alors que dire de ce que ressentent ceux qui subissent depuis plus de cinq mois maintenant, depuis exactement 156 jours, un véritable déluge de feu et des violences en tout genre, entre la famine, le froid, la peur, les affres de l’arrachement…
On est loin des ambiances «chamarrées» des mois de Ramadhan d’Orient. Le Ramadhan palestinien, cette année, sera, oui, plus âpre, plus âcre et plus dur que tous ceux qui l’ont précédé. Il faudrait peut-être remonter à l’année de la Nakba pour goûter à pareille amertume. Ghaza n’a guère le cœur aux préparatifs qui font que l’odeur du Ramadhan se fait déjà sentir avant même le commencement du jeûne.
Effroyablement démunie, désemparée, exsangue, la population de Ghaza n’a ni le cœur ni les moyens pour les caprices du mois gourmand. Ghaza affreusement défigurée, martyrisée, muée en nécropole géante. Les tablées de l’iftar à Ghaza, sous une tente vacillante, harcelée par le vent et les bombes, à la lueur d’une bougie, seront doublement dégarnies cette année. Dégarnies «gastronomiquement», mais surtout dégarnies socialement.
Car dans toutes les familles, il manquera des aimés à l’appel du muezzin. Le décor de ce Ramadhan noir, ce sont aussi tous ces lieux de culte réduits à leur tour en cendres. Mois de spiritualité, les Ghazaouis n’ont même pas de mosquée plus ou moins debout où prier. Ils vont devoir célébrer l’office des «tarawih» parmi les décombres des dômes et des minarets.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a adressé un message vidéo plein d’empathie pour le peuple palestinien à l’occasion de ce Ramadhan si particulier justement.
Si pesant. Le patron de l’ONU émet d’abord le vœu que «cette période soit utilisée pour créer une dynamique visant à mettre fin aux divisions, à aider ceux qui en ont besoin et à travailler ensemble pour la sécurité et la dignité de chaque habitant de ce monde».
Il a insisté sur le fait que ce rituel «porte les valeurs de paix, de résilience et de générosité». «Malheureusement, regrette-t-il, nombreux sont celles et ceux qui passeront ce mois dans les conflits, les déplacements forcés et la peur.» Et de lancer : «Mes pensées et mon cœur les accompagnent, de l’Afghanistan au Sahel, de la Corne de l’Afrique à la Syrie et au-delà.
Et je voudrais adresser un message particulier de solidarité et de soutien à celles et ceux qui souffrent des horreurs à Ghaza.» Nivine Al Siksik, une jeune maman palestinienne rencontrée par un journaliste de l’AFP, ne cache pas son désarroi.
Elle agite un «fanous» en plastique, une lanterne typique des accessoires du Ramadhan en Orient pour distraire sa petite fille sous une tente à Rafah. «Ces lanternes traditionnelles, appelées ‘fanous’’, sont emblématiques du mois de jeûne.
Cette année, dans le territoire palestinien assiégé et dévasté par la guerre, elles sont sans doute les seuls signes de la préparation du Ramadhan» note le reporter de l’AFP. «Au lieu de manger comme chaque année de l’agneau et des pâtisseries traditionnelles dans leur maison du nord de Ghaza, Nivine Al Siksik et sa famille rompront le jeûne dans la tente partagée avec d’autres déplacés. S’ils trouvent quelque chose à manger», ajoute-t-il.
«Tout manque. Nous n’avons aucune nourriture à préparer», soupire la jeune maman. «Avant, le Ramadhan, c’était la vie, la joie, la spiritualité, les décorations et une merveilleuse atmosphère», se remémore son mari de 26 ans, Yasser Rihane. «Aujourd’hui, le Ramadhan arrive et nous avons la guerre, l’oppression et la famine», se désole-t-il.
«Nous n’avons que nos prières»
L’édition en ligne de BBC News Arabic a consacré il y a quelques jours, elle aussi, un reportage à l’atmosphère qui règne à Ghaza à l’approche du Ramadhan. Une journaliste du site a rencontré à cet effet plusieurs Ghazaouis. Parmi eux, Siham Hussein, une mère de six enfants, dont deux filles handicapées.
Elle a fui le nord de l’enclave pour chercher refuge près de la frontière avec l’Egypte, dans le gouvernorat de Rafah, où elle végète sous une tente. A la journaliste qui l’interroge sur les conditions de vie de la famille la veille du mois sacré, elle rétorque : «Comment apprécier le Ramadhan quand nous nous retrouvons dans cet état ?
Nous ne pouvons même pas manger ni boire ?» s’indigne-t-elle. Siham est profondément peinée en songent à ses deux filles handicapées : «Elles ne sont pas responsables de ce qui se passe. Tout ce qu’elles savent faire, c’est manger et boire.» Mme Hussein confie qu’elle ne dispose même pas de quoi «acheter une tomate».
La journaliste s’entretient ensuite avec un homme de 53 ans qui a dix personnes à sa charge : Abou Shadi Al Ashqar. «Nous manquons de tout pour le Ramadhan et nous n’avons que notre patience et notre endurance pour accueillir le mois sacré», résume l’homme. «Nous avions pour habitude de décorer la maison à l’approche du Ramdhan et de faire la fête, mais pas cette année.
Il n’y a rien qui indique qu’on est aux portes du Ramadhan. Même les étals des commerçants sont vides. Ils n’ont que quelques conserves à proposer, et nous n’avons pas d’argent pour les acheter», témoigne-t-il. Ayad Bakr, un autre déplacé sexagénaire, père de sept filles, déclare que son vœu le plus cher est de se réveiller un matin sur le mot «trêve».
L’homme est à bout. Le Ramadhan pour lui ne vaut que par la force spirituelle qu’il insuffle aux survivants du génocide. «Nous n’avons rien pour accueillir le Ramadhan hormis notre foi et nos prières», souffle-t-il, selon le reportage du site de BBC Arabic.
«Les boîtes de conserves sont les seules denrées disponibles dans la bande de Ghaza et elles sont à des prix exorbitants.» Et de s’emporter : «Comment jeûner ou s’autoriser un s’hour ? Les conserves seront-elles nos repas éternels ?
Je ne sais pas comment nous allons faire pour nous accommoder de cette calamité !» Youcef Shaaban, un déplacé originaire de Cheikh Radwan, dans la ville de Ghaza, et qui s’est établi à Tall Al Soltane, dans la ville de Rafah, fait remarquer pour sa part : «C’est un Ramadhan difficile à un niveau inédit», en pointant notamment la pénurie généralisée qui a frappé les bazars habituellement animés de Ghaza.
Il dénonce les spéculateurs et autres profiteurs de guerre : «Ici, nous sommes en guerre à la fois contre les Israéliens et contre les commerçants. Quand je vais au marché, je me contente de reluquer les produits sans pouvoir en acquérir aucun. Il n’y aura aucune provision pour le Ramadhan cette année. Nous confions notre sort à Dieu.»