Energie solaire ou énergie éolienne ? : Quelle option devrait prévaloir en Algérie ?

14/04/2025 mis à jour: 18:52
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Photo : D. R.

Par Mohamed Terkmani
Ancien directeur à la DG de Sonatrach
mterkmani@msn.com

Récemment, il a été officiellement annoncé qu’une première phase éolienne de 1000 MW était envisagée et viendrait s’ajouter au programme solaire photovoltaïque (PV) déjà en cours de réalisation. La question qui se pose est de savoir si le développement de l’éolien est justifié en Algérie, alors que le photovoltaïque pourrait largement suffire à lui seul.

Rappel

A titre de rappel, le déclin de la production pétro-gazière, que connaît l’Algérie depuis plus d’une quinzaine d’années, ainsi qu’une explosion de la consommation locale de produits énergétiques, grèvent gravement une rente qui n’en finit pas de rétrécir comme peau de chagrin. Une telle situation, qui, tôt ou tard, pourrait se répercuter sur la sécurité énergétique, notamment électrique, du pays a fait ressentir le besoin urgent d’y remédier au mieux, en ayant recours à toutes les énergies renouvelables (EnR) à portée de main.

Il en est résulté, dès 2011, un projet à grande échelle avec une puissance renouvelable prévue atteindre 22 000 mégawatts (MW) à l’horizon 2030, le tout généré par six filières EnR  différentes. Ce programme, qui a eu peine à décoller malgré son statut de priorité nationale, n’a cessé d’accumuler un retard impossible à rattraper.

Des variantes en ont été extraites périodiquement pour le réactiver, mais sans grand succès. La dernière et la plus importante prévoit un projet réduit à 15 000 MW (au lieu de 22 000 MW) et prolongé jusqu’en 2035 (au lieu de 2030). La stagnation du projet est due, ainsi que nous l’avons souligné à maintes reprises dans le passé, au fait qu’il a été décidé trop prématurément. En effet, les technologies n’étaient pas encore matures à cette époque-là et leur rentabilité loin d’être assurée à cause du coût prohibitif des investissements.

De plus, le manque d’expérience locale dans le domaine des EnR n’a cessé de retarder les différents projets jusque-là. Malgré ces difficultés, pas moins de six filières renouvelables étaient envisagées, alors qu’il était difficile de mettre en œuvre une seule d’entre elles. Comme à quelque chose malheur est bon, le retard qui s’ensuivit s’est, paradoxalement, avéré très bénéfique, car il a évité au pays d’engloutir inutilement des sommes faramineuses dans des installations non rentables.

Les filières inclues dans le programme

C’est là l’objet principal de cette contribution qui a trait à la multitude de filières appelées à ne générer que le même produit, en l’occurrence de l’électricité, ce qui alourdit le programme au lieu de le simplifier. Effectivement, la stratégie de développement décidée depuis l’adoption du programme initial fait appel à la quasi-totalité des filières technologiques EnR en usage dans le monde. Comme s’il était nécessaire de mettre en œuvre le maximum possible de ces filières pour produire les quantités requises d’électricité ! On y trouve le photovoltaïque (PV) et l’éolien qui se taillent la part du lion avec respectivement 13575 MW et 5010 MW, le reste étant réparti entre le solaire thermique CSP avec 2000 MW, la biomasse avec 1000 MW, la cogénération avec 400 MW et la géothermie avec 15 MW.

Il aurait été justifié d’utiliser plus d’une de ces filières mais seulement si chacune d’elles se serait avérée insuffisante, seule, à satisfaire les besoins en électricité renouvelable du pays. Par contre, si plusieurs sont requises pour satisfaire ces besoins, la procédure à suivre consisterait à sélectionner en priorité la filière la moins coûteuse et, si celle-ci ne suffit pas, de lui ajouter la filière suivante la moins coûteuse et ainsi de suite jusqu’à satisfaire la totalité des besoins électriques.

C’est ce qui se passe souvent à l’étranger lorsqu’une seule source renouvelable ne suffit pas. Par exemple, dans certains pays, le solaire PV et l’éolien sont exploités ensembles ce qui est justifié lorsque le solaire PV est plus rentable dans certaines zones, alors que, au contraire, l’éolien est plus  rentable dans d’autres zones. Les choses sont tout à fait différentes en Algérie, car le pays n’est pas constitué de zones où soit le solaire, soit l’éolien prévaudra. Au contraire, la rentabilité du solaire est différente de celle de l’éolien sur l’ensemble du territoire national, c’est-à-dire des coûts différents de production du kWh.

Par conséquent, dans les pays comme l’Algérie, où ces deux sources peuvent, séparément, produire la totalité des besoins en électricité renouvelable, c’est la plus rentable des deux qui prévaudra. Comme l’Algérie est avant tout un pays très ensoleillé avec un des rayonnements solaires parmi les plus intenses de la planète, il faudra s’attendre à ce que les coûts du kWh solaire PV soient les plus bas. Le photovoltaïque devrait donc prévaloir partout sur un éolien non compétitif.

A propos de l’éolien, l’Atlas éolien de l’Algérie nous montre que le pays n’est pas une région de grands vents. Ceux-ci sont plutôt modérés à faibles, atteignant un maximum d’environ 6 mètres/seconde autour d’Adrar et diminuant rapidement partout ailleurs sur la quasi-totalité du territoire national. Dans ces conditions, il faut s’attendre à ce qu’il ne soit pas en mesure d’entrer en compétition avec le solaire PV.

Aussi, en se limitant au seul solaire photovoltaïque, il sera non seulement possible de produire des quantités illimitées d’électricité, mais aussi à le faire au coût le plus faible, tout en se passant des cinq autres filières, y compris l’éolien. Etant bien entendu que les cinq autres filières pourront toujours faire l’objet de recherches et d’expérimentations pour des applications très localisées ou celles ne concernant pas la production d’électricité. En tout état de cause, il est possible de répondre à cette question en comparant les coûts actualisés de production du kWh solaire PV et de éolien par des mesures directes sur le terrain puisqu’il existe un pilote éolien de 10,1 MW depuis 2014 à Kabertène (Adrar) et plusieurs parcs solaires PV à Adrar et ailleurs.

Ces informations n’ont, à notre connaissance, pas été publiées. Si c’est l’éolien qui s’avère le plus rentable, alors pourquoi ne pas couvrir le pays d’éoliennes exclusivement et oublier le solaire ? Si, en revanche, c’est le solaire qui s’avère le plus rentable, alors il faudra oublier l’éolien et se limiter au seul solaire PV. Comme  l’Algérie est le domaine de prédilection du solaire et non pas de l’éolien, c’est cette option qui devrait prévaloir.

Potentiel électrique de l’éolien

La question qui se pose est de savoir pourquoi l’éolien et le solaire PV figurent en premiers dans le programme, alors qu’un seul des deux, le plus compétitif, aurait suffi. Nous avons déjà répondu à cette question dans un article publié il y a quelques années en précisant que l’éolien, comme les autres filières, serait de trop pour produire de l’électricité renouvelable, car l’Algérie n’est pas un pays de grands vents.  A titre de comparaison, les vitesses moyennes annuelles peuvent atteindre les 11 m/s et plus sur la côte Atlantique et dans le nord du Maroc (Atlas éolien marocain). Elles ne sont que d’environ 6 mètres/seconde dans une zone limitée autour d’Adrar.

En l’absence de toute information au sujet des coûts de l’éolien à Adrar, nous avons essayé de les calculer par analogie avec ceux de Tarfaya au Maroc, sachant que la puissance électrique des éoliennes varie en fonction du cube de la vitesse, si nous comparons la puissance, de ce parc éolien (où les vitesses moyennes annuelles sont de 7,5 m/s), avec celle d’Adrar, en Algérie (où elles ne sont que de 6 m/s), nous pouvons déduire qu’à Tarfaya la puissance est environ deux fois plus élevé qu’à Adrar.

En d’autres termes, le coût du kWh éolien à Adrar devrait être, comparativement, environ 2 fois plus élevé que celui de Tarfaya, soit $0,060, au lieu de 0,0306. On en conclut que le kWh solaire PV, estimé, quant à lui, à environ $0,02 seulement, s’annonce bien plus compétitif que l’éolien en Algérie. Quoi qu’il en soit, il est possible de vérifier ces calculs par des mesures directes sur les sites d’installation éoliennes et photovoltaïques.

Potentiel électrique de la géothermie

L’électricité géothermique possède le gros avantage d’être produite en continu, 24h sur 24, contrairement au PV et à l’éolien qui fonctionnent par intermittence en fonction de la disponibilité du soleil ou du vent. Or, il faut savoir qu’un minimum d’environ 150°C est requis pour produire économiquement de l’électricité dans les turbines à vapeur.

Ce minimum est largement dépassé dans des pays, tels que les Etats-unis (Californie), l’Italie, l’Islande, etc., ce qui est loin d’être le cas en Algérie. En effet, sur le nombre très élevé de sources thermales qui, dit-on, s’élève à 282 en Algérie, seules deux ou trois d’entre elles, comme par exemple Hammam Meskhoutine, arrivent difficilement à atteindre les 100°C.

Les autres affichent des températures bien plus basses. Pour les températures inférieures à 150°C, il est nécessaire de recourir à la technologie relativement récente du cycle binaire utilisant un fluide intermédiaire plus volatile que l’eau dans un échangeur de chaleur. En ce qui concerne les coûts du kWh géothermique, il varie d’un minimum de $0,069 à un maximum de $0,112 (Lazard), avec une tendance à la hausse pour le cycle binaire. En outre, son potentiel de production est très limité avec 0,5% de la capacité mondiale des EnR (Irena). Il ne pourra donc être compétitif ni en coût ni en quantité avec le solaire PV.

Potentiel électrique de la biomasse 

On peut définir la biomasse comme toutes les matières organiques capables de dégager de l’énergie par combustion directe ou à la suite de sa transformation en combustibles solides, liquides ou gazeux. Elle inclut notamment le bois, les biocarburants (à partir de certaines cultures) et la biométhanisation (à partir des déchets). Bien qu’elle représente une importante source d’énergie renouvelable en Europe, elle est plutôt marginale en Algérie. En effet, en ce qui concerne le bois, le pays est pauvre en forêts, contrairement au  Brésil, à l’Afrique ou à l’Europe.

La tendance est au reboisement et non pas au déboisement, d’autant plus que, outre la lutte contre la désertification, le reboisement contribue à réduire les émissions de CO2. Quant aux biocarburants, leur développement n’est pas prioritaire par rapport aux cultures vivrières qui, souvent, peinent à couvrir les besoins du pays. De toute façon, avec un potentiel de production insignifiant en Algérie et un coût estimé à $0,08/kWh en Europe (Irena), ils reviendront bien plus chers que l’énergie solaire PV.

Potentiel électrique du solaire thermique CSP

Lors de l’actualisation de 2015, le CSP, qui était prépondérant auparavant, a été complètement supprimé, car trop coûteux et trop complexe, au profit du PV. Cependant, contre toute attente, une capacité de 2000 MW CSP a été maintenue dans le programme, mais pour l’année 2020 seulement. La question qui se pose donc est de savoir pourquoi on a programmé pour cette seule année une technologie définitivement abandonnée. Curieuse anomalie ! Allait-il se produire, cette année-là, un événement exceptionnel ? Certainement pas ! La preuve est que nous sommes en 2025 et que pas le moindre solaire CSP n’a été installé en 2020 ni envisagé actuellement (2925) ni prévu plus tard. S’agissait-il d’accroître volontairement le nombre de filières pour faire plus complet ?

Potentiel électrique de la cogénération

La cogénération consiste essentiellement à récupérer la chaleur produite dans diverses installations électriques dont elle améliore l’efficacité énergétique. De ce fait, elle devrait être inclue dans le programme de l’efficacité énergétique et des économies d’énergie au lieu de l’être dans celui des énergies renouvelables.

En résumé de ce qui vient d’être exposé dans les précédents chapitres, l’Algérie a la chance de posséder une source d’énergie inépuisable, la moins coûteuse et la plus simple de mise en œuvre pour la production d’électricité grâce au solaire photovoltaïque. Pourquoi  s’encombrer d’autres filières alourdissant le programme EnR et accroissant les coûts de production électrique ?

Conclusions

Le programme des EnR en Algérie gagnerait à se limiter au seul solaire PV et à se délester des autres filières qui l’alourdissent inutilement. D’ailleurs, de par la force des choses, le PV s’est imposé de lui-même comme seule source d’électricité renouvelable, ainsi que le prouvent les projets déjà réalisés, en cours ou envisagés. Aussi, les investissements prévus pour l’éolien et éventuellement pour d’autres filières devraient être détournés au profit du photovoltaïque largement plus rentable mais insuffisant avec seulement 15000 MW prévus pour 2035. M. T.


 

 

 

 

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