Après, la prestation du spectacle Le fil rouge écrit et interprété par la comédienne et écrivaine italienne italo-algérienne Elisa Biagi, il sera programmé ce soir au niveau du Théâtre régional d’Oran. Dans cet entretien, Elisa Biagi nous parle avec sincérité et émotion de son tout premier projet artistique, placé sous le signe de la mémoire et de la reconnaissance envers sa grand-mère maternelle. Elle nous parle aussi de ses projets et aspirations. Entretien.
Vous venez de présenter au palais de la culture de Kouba, à Alger, votre spectacle Le fil rouge. Quelle est la genèse de votre spectacle ?
Il s’agit d’un spectacle écrit comme un spectacle de mémoire de fin d’études. J’ai fini mon académie de théâtre à Paris en 2023. En octobre 2023, c’était notre première représentation. C’était l’année de la finalisation du mémoire. Le texte de mon mémoire, je l’ai écrit en 2022. On nous avait laissé la liberté de choisir notre récit, c’est ainsi que j’ai pris l’initiative d’écrire mon texte et non de réadapter un texte d’un écrivain. J’ai décidé donc de raconter l’histoire de ma grand-mère Nna Nouara pendant la guerre d’Algérie.
Dans un premier temps, j’ai commencé par lire le livre de mon-grand père les mémoires du grand baroudeur, Abdelhafidh Yaha, Au cœur des maquis de Kabylie (1948-1962), Mon combat pour l’indépendance de l’Algérie publié aux éditions algériennes Koukou. Ce dernier était officier de l’ALN pendant la guerre de Libération nationale.
Ensuite, j’ai aussi travaillé sur les mémoires non écrites de ma grand-mère, à savoir la mémoire orale. Celle-ci a cette grande facilité de composer des poèmes. Je dis qu’elle est poétesse. J’ai voulu vraiment repartir par elle, par ses mémoires. Nous sommes allées, exactement, sur les lieux précis où toute la pièce se déroule pour raconter son histoire. Et faire au mieux honneur à sa mémoire.
A travers votre spectacle Le fil rouge vous partagez votre histoire et celle de votre grand-mère maternelle et de toutes les femmes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie…
Absolument. En montant sur scène, j’ai voulu raconter l’histoire de toutes ces femmes qui ont été absolument protagonistes de cette guerre. Cela raconte l’histoire de beaucoup de femmes de mon village de Thakhlijt Ath Atsou, de la commune d’Iferhounène, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Il n’y a pas uniquement l’histoire de ma grand-mère, mais il y a aussi forcément d’autres femmes qui faisaient partie de sa vie et qui ont combattu avec elle.
Votre spectacle Le fil rouge se décline sous la forme d’un voyage théâtral entre deux générations…
Il est tout à fait exact que c’est un voyage théâtral entre deux générations. Elisa Biagi, Algéro-Italienne, qui a grandi en Italie, qui raconte l’histoire de cette dualité, de ce bi-nationalisme entre l’Italie et l’Algérie ainsi que cette grande histoire d’amour et de partage entre ces deux pays. Pour moi, l’Algérie, c’est ces grands voyages qu’on faisait pendant l’été.
C’était le moment de retrouver cette sérénité, cette poétique et cet esprit révolutionnaire. J’ai vraiment voulu raconter ce qu’était pour moi ce dualisme d’être totalement, l’une et l’autre nation. Il faut dire qu’Elisa n’existerait pas sans sa grand-mère et sûrement, je ne pourrais pas avoir la personnalité que j’ai sans elle et sans ce spectacle qui m’a beaucoup appris sur sa vie.
Justement vous tissez le fil de votre propre existence avec celle du passé de votre grand-mère…
En fait, dans le spectacle, je parle de la vie de ma grand-mère entre 1954 et 1962. Entre ses 17 et 24 ans. J’ai, aujourd’hui, 24 ans. On se rejoint. Maintenant, j’ai le même âge que ma grand-mère quand la guerre d’Algérie se termine. Je ne pense pas avoir 1 /1000 de la force qu’elle avait à 24 ans. Mais en tant que femme, je peux comprendre certaines peurs, joies et insécurités qu’elle a pu éprouver. Il y a plein de choses que je ne peux pas comprendre ou encore imaginer, mais que j’essaye d’interpréter dans le spectacle pour lui rendre hommage.
Cela n’a pas été facile de monter ce spectacle sur les planches…
Il y a eu plus d’un an d’écriture, ensuite, il y a eu six mois d’expérience sur un petit plateau parisien. Je suis magnifiquement accompagné à la mise en scène par Anaïs Caroff, qui fait que ce spectacle ait trouvé une vision externe. Ce n’était pas seulement ma vision. J’avais besoin d’un appui, de quelqu’un qui comprenne et qui embrasse totalement ce spectacle.
J’ai eu la chance de travailler avec elle. Nous étions à l’académie de théâtre ensemble. C’est sa première mise en scène. On a décidé de partir sur ce voyage qui a été bien sûr assez compliqué sur les débuts parce qu’on se remet beaucoup en question, surtout quand on parle de sa propre famille. Il est nécessaire de raconter cette histoire. J’ai eu cette chance de trouver en Anaïs une personne qui a su comprendre ce projet et m’accompagner sur un monologue qui n’est pas évident et sur lequel, j’avais vraiment besoin d’objectivité externe.
Pourquoi avoir opté pour des codes du théâtre, du cinéma ainsi ou encore des images de répertoire ?
Dans le spectacle, nous avons aussi décidé d’utiliser le théâtre, le cinéma et la projection. Il y a aussi des parties qui sont filmés. Nous avons travaillé, aussi, avec le cinéma d’ombre et des images de répertoire. On essaye d’intégrer tous les moyens possibles pour que le spectacle existe, tout en gardant l’esprit de la mémoire de ma grand-mère.
On voulait vraiment que le spectacle puisse parler à tout le monde. Et pour parler à tout le monde, on avait besoin de suggérer sans imposer une vision. Ces ombres représentent, pour nous, un imaginaire précis, mais chaque spectateur a la liberté d’interpréter ces images en donnant cours à son propre ressenti. C’est ce qui rend le spectacle un peu plus universel, uniquement familial. Il est important de noter que je n’ai utilisé qu’une seule photo d’archives où on ne voit pas de visage. C’est une photo de torture mais dont on distingue uniquement les mains de la personne.
Pourriez-vous revenir sur le choix du titre de votre spectacle Le fil rouge ?
J’ai choisi le fil rouge parce que le fil représente les générations. De ma grand-mère, de ma mère et de moi. C’est une histoire de femmes qui ont lutté et qui ont transmis. Ce fil qui continue à vivre, nous liant nous toutes. Il est rouge parce que c’est la passion, le sang de la guerre et aussi l’amour.
Comment votre grand-mère a-t-elle reçu le spectacle ?
La première fois que ma grand-mère a su que je faisais une pièce sur elle, sa première réaction a été «pourquoi moi?». Ensuite, le soir où elle a vu la pièce pour la première fois, elle n’a pas dormi, elle a été touchée et émue par cet hommage. Elle est très contente que ce spectacle puisse continuer à vivre, elle m’envoie ses bénédictions tous les jours.
Comment avez-vous trouvé le retour du public algérien ?
On a eu énormément d’émotion. Les gens ont été extrêmement touchés. Je pense qu’il y a dans le spectacle quelque chose qui fait que cela touche beaucoup plus loin que mon histoire, ou l’histoire de ma grand-mère. Les gens se sentent interpellés par leurs histoires personnelles. J’ai reçu non seulement une grande émotion du public, mais également beaucoup d’amour aussi. J’ai eu beaucoup de retours positifs. J’ai été très touchée d’avoir parmi le public des femmes qui avaient un certain âge, qui savaient très bien de quoi je parlais. Elles se sont senties représentées par ce spectacle. Je suis honorée que ce spectacle ait pu leur parler et parler de leur histoire aussi.
Avez-vous un autre projet artistique ?
Absolument. Je pense que comme tout acteur, on aspire à pouvoir vivre de notre passion. Ce spectacle Le fil rouge a demandé beaucoup de temps et en même temps, je ne l’ai pas vu passer. C’est vrai que cela fait deux ans qu’on travaille dessus. Je suis très contente d’avoir dédié ces années à ce spectacle qui en avait besoin. J’avais besoin de cette expérience dans ma vie. Il faut avouer aussi que j’ai grandi avec ce spectacle.
J’espère continuer à travailler. Il y a plein de projets que j’espère réaliser. On m’a toujours appris à attendre. C’est un métier qui demande de la patience. Quand on a l’opportunité de jouer, on joue à fond pour voir ce qui se passe. On lance une bouteille à la mer pour voir ce qui se passe par la suite. Il est à noter que le premier spectacle s’est fait au sein de mon école à Paris.
Ensuite, il a été joué à Paris, à Saint-Etienne et à Marseille. En Algérie, on a joué la veille du 1 er novembre 2024 au TNA à Alger, et au Théâtre Kateb Yacine le 7 novembre 2024. Cette année, nous avons repris le spectacle au palais de la culture le 9 mars. Les prochains spectacles seront le 12 mars à Oran au Théâtre Abdelkader Alloula, le 19 mars à Tizi Ouzou au Théâtre Kateb Yacine, le 21 mars à Constantine au Théâtre Mohammed Fergani et le 25 avril à Paris au Centre culturel algérien.