Adaptée d’un conte oriental, la pièce El Wassit (l’intermédiaire), présentée mercredi dernier (7 février) au TRO, aurait pu constituer un joli prétexte pour un travail théâtral de premier ordre. Ceci d’autant plus qu’il a été produit dans un cadre associatif (avec la troupe du Murdjadjo) et donc dans un espace qui offre beaucoup plus de liberté d’action.
C’est l’histoire d’un éléphant dévastateur adopté par un sultan qu’on devine tyrannique face à une population désarmée et désarçonnée mais qui n’ose pas se plaindre par peur de représailles. Mais c’est sans compter sur la bravoure de Djeha, touché par le désastre et qui accepte le rôle de l’interlocuteur, à condition d’avoir le soutien de ses pairs.
Au moment voulu, alors que l’entretien est déjà engagé avec le tyran, ces derniers n’ont pas le courage de tenir leur promesse et le héros se retrouve seul. Jusque-là, il y a une morale de l’histoire et elle est universelle : c’est toujours très facile de parler, d’élaborer des plans, d’avancer des hypothèses, mais passer à l’acte est une tout autre histoire.
Pour sortir du contexte, mais pour montrer l’universalité du conte, le «blabla» par opposition à la nécessité d’agir est par exemple dénoncé par Greta Thunberg, la célèbre lycéenne suédoise militante active pour l’environnement (la troupe a travaillé sur le thème de l’environnement), qui a subi les foudres de certains puissants de la planète. La parenthèse mise à part, une bonne partie de la pièce a justement consisté à réfléchir comment aborder le problème devant le roi en évitant de heurter sa sensibilité ou de remettre en cause son autorité.
Dans la fiche technique, Missoum Medjahri, auteur et metteur en scène de la pièce, rappelle le contexte de la fiction : «Tamerlan amena un éléphant à Akshehir et le lâcha dans le village, où il se mit à saccager fermes, vignobles et vergers. Bien pire, il obligea la population à le nourrir. C’était devenu une véritable calamité. Les gens en eurent assez et ils appelèrent Djeha-Hodja Nasreddin pour qu’il puisse intervenir auprès de Tamerlan, à propos de cet éléphant dévastateur».
Ce sultan dynastique, qui a existé, est connu pour son génie militaire mais aussi pour sa grande cruauté, d’où les terribles craintes qu’il suscite. Ainsi, en allant le rencontrer et parler au nom des siens, Djeha joue sa propre vie.
Connu pour ses ruses autant dans le folklore oriental que maghrébin, c’est en définitive la chute qui voit Djeha se sortir d’affaire qui constitue le réel dénouement du conte et par extension de la pièce. Mais pour plus d’effet, ce dénouement inattendu nécessite une histoire courte et ramassée.
C’est le cas du conte mais pas de la pièce. On a l’impression que le travail d’adaptation a juste consisté à tirer en longueur le récit en multipliant par exemple les séquences d’élaboration des plans de parole à soumettre au souverain. Le mérite est par contre dans le travail sur la langue pour le rendre compréhensible aux yeux du public contemporain et aussi sur les costumes avec des effets visuels agréables, notamment pour le jeune public.
Au-delà, la trame classique contribue à une compréhension au premier degré de la pièce portée par une poignée de comédiens dont certains sont plus expérimentés que d’autres, à l’instar d’El Houari Louz à qui a été confié le rôle principal. Medjahri Missoum, qui interprète également un rôle dans la pièce, nie toute influence de Saâdallah Wanous, le dramaturge syrien qui a également travaillé sur le sujet. «J’ai travaillé sur le conte original avec ma propre idée et en essayant de le rendre lisible au public algérien d’aujourd’hui», indique-t-il, mettant en avant les aspects sensés être comiques, dont l’objectif est avant tout de distraire. Un comique de situation mettant en avant mais en filigrane le fait que la ruse a aussi un prix, celui de se retrouver dans une situation pire qu’elle ne l’était auparavant.
La pièce n’est pas une parabole pour montrer les mécanismes de la soumission et par opposition ceux du pouvoir, écartant de fait toute dimension politique contrairement à ce qui nous a été avancé par un des représentants de l’association. Dans le folklore local, le personnage de Djeha est aussi fortement connoté dans la mesure où ses péripéties s’apprêtent beaucoup plus à rire qu’à réfléchir.