Education nationale : Quelle Ecole pour le XXIe siècle ?

30/11/2024 mis à jour: 12:32
774

Au début de son premier mandat, dans une de ses interventions télévisées, le président Abdelmadjid Tebboune donnait un cap stratégique à l’Ecole algérienne. 

Il déclarait – entre autres : «Nous devons éloigner l’idéologie de l’école et accorder plus d’importance et d’attention au cycle primaire.» Question de bon sens que de protéger les enfants de toute idéologie manipulatrice. A partir de cette orientation, il s’agit d’offrir aux enfants du préscolaire et du primaire toutes les conditions requises pour qu’ils puissent s’épanouir, s’affirmer et accéder à l’auto-construction de leur personnalité, tant sur le plan intellectuel que moral et physique : développer à leur maximum les potentialités qui sommeillent en eux. En décodé, ce cap stratégique, ainsi décliné, interpelle les acteurs du système scolaire afin de le matérialiser sur le terrain. 

Un défi que la réforme de 2002 n’a pas pu ou su relever. Cela nous amène à aborder les tenants et aboutissants de toute politique éducative – notamment celle qui concerne le cycle de base, cycle décisif dans le cursus scolaire et le devenir social des futurs adultes. En effet, asseoir une école primaire de qualité revient à injecter l’excellence dans les cycles secondaire (y compris le moyen) et professionnel pour aboutir à une Université de pointe. Or,  toute politique éducative repose sur un choix à faire entre différentes options. Au menu, trois possibilités : l’option idéologique pure et dure, l’option scientifique et celle dite hybride, à mi-chemin entre les deux – la plus dangereuse. Dans cette Algérie du début du IIIe millénaire, la première option est inconcevable au vu du cap stratégique fixé par la plus haute instance du pays et par la Constitution. Qu’en est-il de ces trois options ?


Le tout-idéologique

L’école idéologisée a bel et bien existé, et l’exemple le plus effrayant est celle imposée par Hitler dès son arrivée au pouvoir en 1933. Elle durera une dizaine d’années, l’équivalent d’une bonne partie  du cursus scolaire, et aboutira à une hécatombe au sein de la jeunesse allemande de l’époque. Quel est son mode d’emploi ? 

Au départ, une conviction née des fantasmes d’un homme habité par une fièvre messianique : éliminer tout élément nuisible à la race germanique. Outre les éliminations physiques d’adultes et d’enfants jugés non conformes aux standards fixés, les Nazis brûleront tous les livres porteurs d’idées contraires à leur idéologie. Hitler va sommer les historiens, les archéologues et les pédagogues du pays à réécrire l’histoire du pays et élaborer de nouveaux  manuels scolaires totalement nazifiés. 

Ces scientifiques encartés iront jusqu’à affirmer que les grands conquérants du passé comme les Vikings, les Empires asiatiques mongols et de Chine ont du sang germanique.  Le système scolaire nazi utilisera ce qu’on peut appeler la «pédagogie noire» avec pour leviers essentiels les programmes et méthodes d’enseignement, les contenus des manuels scolaires et le profil d’enseignant docile et acquis à cette idéologie. Ces derniers feront dans un zèle inouï en forçant la dose de l’endoctrinement sur des enfants-otages impuissants. Et pour convaincre ses citoyens, Hitler va jouer sur leur fibre sensible, la religion. 

En cette période, les Allemands étaient de fervents croyants et pratiquants assidus. Les hommes d’Eglise seront mobilisés pour promouvoir l’idéologie nazie et l’habiller de la bénédiction divine. Le réveil à la dure réalité se paiera par une lourde facture : une soixantaines de millions de morts, des villes entières rasées et des survivants frappés de traumatismes psychiques ou physiques. Tel est le triste bilan d’une idéologie manipulatrice et castratrice. Elle formate et endoctrine des enfants et des adolescents pour les embrigader dans une funeste mission. L’école idéologisée va à contresens des exigences de la psychologie de l’enfant, de l’éthique éducative et de la morale universelle. 

Malheureusement, sur les cinq continents, le monde scolaire  n’est jamais à l’abri de l’intrusion d’idéologies mortifères   basées sur la race, la langue ou la religion et maintenant depuis peu sur le genre, avec l’idéologie wokiste. La vigilance sera toujours de mise pour ne plus vivre les dégâts qu’elles  sèment sur leur passage. Dans ce type d’école,  on oblige l’enfant à s’adapter aux exigences, souvent inaccessibles pour son âge – de l’endoctrinement. Du temps du stalinisme triomphant, c’est à partir du lycée que se déployait l’idéologie communiste, à un âge où les adolescents pouvaient assimiler les concepts liés à cette idéologie. Chez les wahhabites, c’est dès le préscolaire que les enfants sont éduqués et formatés – à commencer par les signes extérieurs d’appartenance à la mouvance.


L’option scientifique

A l’opposé de l’école idéologisée, nous avons celle qui est gérée selon les normes scientifiques et pédagogiques. L’enfant y est pris en charge dans deux volets complémentaires : son instruction et son éducation. C’est par le biais de ces deux missions que l’école contribue en grande partie au développement de sa personnalité. Il est vrai que l’éducation n’est nullement du ressort exclusif de l’institution scolaire, celle-ci la partage avec la famille. Quant à l’instruction, elle est de son domaine réservé. Toutefois, pour mener à bien cette double mission, l’école est tenue de respecter un principe cardinal : s’adapter à l’enfant… et non l’inverse. A partir du XXe et siècle, on assiste à l’avènement de l’école dite moderne avec le recours aux recommandations des scientifiques travaillant sur le monde de l’enfance et de l’adolescence. Grâce aux progrès de la psychologie de l’enfant, la pédagogie moderne s’investit dans les méthodes actives qui stimulent l’intelligence de l’élève, attisent sa curiosité et, ainsi, répondent à son besoin vital d’activités cognitives. Les leçons exclusivement magistrales et le parcœurisme y sont bannis. L’option scientifique exige que les instruments de base employés par la pédagogie moderne soient élaborés par des équipes pluridisciplinaires : des pédagogues en collaboration avec des psychologues, des pédopsychiatres, voire des chronopsychologues. 

De la sorte, l’école aura à son service des programmes et des contenus de manuels scolaires adaptés à l’âge des enfants, aux besoins et centres d’intérêt de la tranche d’âge ciblée. A-t-on idée de donner à un élève du primaire des leçons à mémoriser truffées de mots/concepts et de tournures grammaticales que seuls des élèves de fin de collège, voire de lycée peuvent comprendre – et encore ? C’est malheureusement le lot quotidien des écoliers algériens, et les contenus des manuels en sont la preuve. Comme en témoignent des parents universitaires et des enseignants qui affirment ignorer la signification de mots rencontrés dans les manuels scolaires du primaire. Ainsi, avec l’adaptation à l’enfant de l’organisation et du fonctionnement de l’école, l’élève, celui du primaire notamment, n’aura pas à endurer la «torture» de la mémorisation de longues leçons abstraites et inaccessibles à son niveau de compréhension. La devise préconisée par les pionniers de l’école moderne est explicite : «Enseigner peu, mais bien», d’où un programme  allégé et un nombre de matières réduit à l’essentiel. En filigrane de cette devise se dessine l’école du bonheur où disparaissent le stress, la pression et la peur de l’échec. L’élève se motive de lui-même sans que l’institution ne se serve de stimulants artificiels souvent contre-productifs (punitions, blâmes, avertissements, examens de fin de cycle...). Les épreuves d’évaluation, les fameuses compositions ne  sont plus des moments de tension, conflits larvés et d’angoisse – tant pour les parents que les enfants. 

L’élève aura été sensibilisé aux objectifs de toute évaluation : mesurer ses progrès, se comparer à lui-même et non au voisin. En droite ligne des données de la psychologie de l’enfant, les épreuves d’évaluation intègrent en priorité l’hétérogénéité de niveau tant du groupe classe que de chaque élève. 

Celui-ci peut être bon en langue et avoir des difficultés en mathématiques. Et pour s’adapter à cette différence de niveau, la pédagogie moderne utilise ses épreuves d’évaluation graduées dans la difficulté. La liste est longue pour aborder de façon exhaustive l’école moderne. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, des centaines de livres, enquêtes statistiques et essais pédagogiques lui ont été consacrés. La méconnaissance/ignorance de cette littérature a pour conséquence la persistance de l’échec scolaire que les adultes imputeront, à tort, à l’enfant et… non à l’institution. 

En conclusion, l’Etat algérien a déployé des sommes colossales au bénéfice du secteur de l’éducation nationale. Les indicateurs macro placent notre pays au niveau de pays développés (infrastructures scolaires, équipements et matériels didactiques, taux de scolarisation, transport scolaire, restauration…). 

Cependant, force est de constater que sur le plan micro - purement pédagogique -  les efforts ne sont pas à la hauteur des investissements. L’Algérie nouvelle a besoin d’une Ecole nouvelle gérée selon les normes scientifiques et pédagogiques universelles. Elle sera ancrée dans les valeurs universelles du Saint Coran et réhabilitera l’algérianité comme référent identitaire. Ce sont là trois  puissants antidotes à l’idéologisation, qu’elle soit pure ou hybride. Et ce défi existentiel est à portée de main : il passe par la refondation de notre système scolaire.
 

Par Ahmed Tessa , Pédagogue

 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.