Le phénomène de pollution que génère le rejet des margines et des grignons d’olive dans la nature a atteint des proportions préoccupantes dans la vallée de la Soummam. L’apparition des huileries industrielles ces dernières années n’ont fait qu’aggraver la situation. Si rien n’est fait en urgence, toute la faune et la flore hydriques vont disparaître dans nos oueds et cours d’eau, en accélérant, ainsi, l’action de l’érosion et l’envasement des lacs d’eau. Tout en polluant les nappes phréatiques et les sources d’eau. Pourtant, des solutions peu couteuses et simples à mettre en œuvre, existent. Samira Chader, directrice de recherche dans les énergies renouvelables (bioénergie et environnement) a réussi une expérience: des microalgues endémiques Chlorella et Scenedesmus qui purifient presque à 100% les eaux usées. Explication dans cet entretien.
- Lors de vos recherches menées à l’Unité de développement des équipements solaires (Udes) de Bou Ismaïl, vous avez constaté que les eaux usées stockées dans un bassin, après introduction de certaines microalgues, sont devenues entièrement ou presque claires ou filtrées. Pouvez-vous nous expliquer ce procédé ?
Avant tout, il faut situer le contexte et le cadre des travaux liés au traitement des eaux usées par les microalgues. Mon intérêt de travailler sur cette thématique est venu suite à ma mutation du Cder-Bouzaréah vers l’Udes-Bou Ïsmail, qui est une unité de recherche affiliée au Cder.
Dans cette unité, il y a toute une division de recherche intitulée Division froid et traitement de l’eau par énergie renouvelable. J’ai donc rejoint cette division et plus précisément, l’équipe Epuration et valorisation des eaux de rejet, pour justement explorer les performances épuratoires des microalgues que j’ai isolées dans le Sahara algérien et sur lesquelles reposent toutes les recherches que j’ai effectuées depuis mon recrutement au Cder en 2001.
En fait, le procédé est très simple : dans les Step (stations d’épuration) les eaux usées sont traitées pour se débarrasser des substances indésirables en soumettant la matière organique à une biodégradation par des microorganismes tels que des bactéries. La biodégradation implique la dégradation de la matière organique en molécules plus petites (CO2, NH3, PO4, etc.) et nécessite un apport constant d’oxygène.
Le processus d’approvisionnement en oxygène est coûteux, fastidieux et nécessite beaucoup d’expertise et de main-d’œuvre. Ces problèmes sont résolus par l’introduction d’une culture de microalgues dans les bassins où s’effectue le traitement des eaux usées.
Les algues libèrent l’O2 en réalisant la photosynthèse et utilisent le CO2, le NH3, le PO4, dégradés par les bactéries, ce qui implique l’élimination des polluants habituellement stockés dans les boues résiduaires. Le cycle combiné bactéries-microalgues est renouvelé par l’ajout de eaux usées chargées. La biomasse de microalgues ainsi obtenue peut être ensuite valorisée de différentes manières et dans plusieurs applications.
- Peut-on recourir à celui-ci pour filtrer les eaux de végétation d’olives ou les margines ?
Quelle que soit la nature ou le type d’eau à traiter, le procédé est exploitable et efficace moyennant une maîtrise des paramètres en rapport avec la croissance des microalgues (température, H, taux de CO2, lumière, agitation, …) en plus de la quantité de micronutriments, dégradée par les bactéries.
- Votre formule est entièrement biologique n’utilise aucun détergent, et elle est peu coûteuse, voire même rémunérante…
Tout à fait propre et sans inconvénient pour l’environnement, le procédé utilise les microalgues qui ont besoin du soleil et des nutriments présents dans les eaux traitées. Une fois le procédé terminé, les eaux traitées peuvent être réutilisées en agriculture pour l’irrigation, en industrie pour les différentes opérations de refroidissement ou de nettoyage ou rejetées directement dans la nature sans incidence sur la nappe phréatique. Quant aux boues engendrées, c’est des fertilisants organiques qui peuvent aussi être réutilisés comme biocarburants (biogaz ou autres).
- A combien peut-on estimer la durée de l’opération d’épuration dans un bassin avant de relâcher ces eaux dans la nature ?
Dans plusieurs pays dans le monde, le procédé est adopté et est devenu un créneau commercial rentable, parce que toutes les étapes sont maîtrisées et optimisées. En général, le procédé lui-même ne prend pas plus de 2-3 jours. Bien sûr, avant de relâcher ces eaux dans la nature, il faut naturellement récupérer toute la biomasse de microalgues et ceci n’est pas une opération anodine ; elle dépend de la quantité des eaux traitées, des dimensions du bassin, de sa localisation, etc. Comme je l’ai dit plus haut, c’est toute une industrie de traitement.
- Ces microalgues se multiplient si rapidement lors de leur croissance au point qu’elles deviennent encombrantes. Y a-t-il un souci de stockage ?
Il ne faut pas confondre les microalgues dont on parle avec les microalgues responsables de l’eutrophisation. Les microalgues que nous utilisons sont des algues unicellulaires dont la productivité dépend étroitement de la surface et du volume des bassins de traitement ainsi que des paramètres dont on a parlé plus haut. Aussi et comme on parle de procédé maîtrisé et contrôlé, l’invasion ne peut être envisagée et le problème de stockage ne peut être posé. Le cas échéant, la biomasse utilisée peut être utilisée pour produire de l’électricité à travers la fermentation de cette même biomasse.
- Outre la production de l’hydrogène, peut-on exploiter ces microalgues bien engraissées dans d’autres domaines ?
La production d’hydrogène est au fait l’application la plus idéale, si on s’en tient aux retombés. Seulement, la complexité du dispositif de production est très contraignante en termes de sécurité et de maîtrise des flux des gaz.
Les autres domaines d’utilisation sont nombreux. Je citerai les plus connus et les plus investis par les grandes firmes internationales : production de protéines alimentaires (alimentation humaine et animale) ; production de pigments naturels et antioxydants (phicobiliprotéines, caroténoïdes) ; production d’acides gras essentiels et lipides, composés bioactive (nature chimique diverse et activité biologique) ; exopolysccharides, molécules à haute valeur ajoutée (hydrogène, éthanol, hydrocarbones…).
Bio-express
Dr Samira Chader, directrice de recherche, a effectué ses études universitaires à l’université des sciences et de la technologie Houari Boumediène (USTHB), où elle a obtenu son doctorat et son habilitation en microbiologie des sols. Elle a enseigné la botanique en travaux pratiques, de septembre 1996 à mars 2001, à la faculté des sciences biologiques de l’Usthb.
Elle a ensuite rejoint le centre de développement des énergies renouvelables comme chercheure permanente et s’est spécialisée dans la valorisation de la biomasse comme source de bioénergie en se focalisant sur la valorisation des microalgues isolées dans différents sites, notamment dans le Sahara algérien, pour la production du biohydrogène.
L’universitaire a à son actif plus de 15 publications de rang A comme auteure et co-auteure dans le domaine des énergies renouvelables et s’intéresse actuellement au traitement des eaux usées par les microalgues.
Entre mai 2011 et septembre 2013, elle a assuré la direction de l’unité de recherche appliquée en énergies renouvelables dans la wilaya de Ghardaïa. Actuellement, elle est sous-directrice des programmes internationaux de recherche au sein de DGRST (la Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique).