Dr Mohamed El Amine Nechar. Président de l’Association nationale des médecins vétérinaires algériens : «Parler de sécurité alimentaire sans parler de sécurité sanitaire est absurde»

23/03/2025 mis à jour: 05:50
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Mohamed El Amine Nechar, président de la NAVDA

Depuis 2014, les pouvoirs publics avaient lancé une offensive contre la maladie de la fièvre aphteuse. D’énormes budgets ont été mobilisés afin de l’éradiquer. Cependant, plus de 10 ans après, la maladie persiste toujours et revient en force dans certaines zones du pays.
 

 

Selon vous, quelles sont les failles de la stratégie nationale de lutte contre la fièvre aphteuse ? 

Dix années de lutte n’ont pas suffi pour que l’administration se rende compte que sa stratégie s’est avérée être un échec, un échec total, selon les normes et mesures. Des troupeaux d’ovins, de caprins et de bovins ont été décimés, et voilà que nous assistons à nouveau au retour de la fièvre aphteuse. Nous avons exigé à moults reprises d’ouvrir une enquête sur les raisons de cet échec et d’ouvrir des consultations avec les experts et spécialistes dans la lutte contre cette épizootie. Comment est-il possible qu’on utilise le même vaccin qui ne fonctionne pas depuis dix ans ?


L’aphtovirus est-il devenu résistant aux vaccins ? (une mutation en cause ?)

Il est clair qu’il faut d’abord identifier l’identité du virus muté qui circule chez nous, et ensuite commander le vaccin en fonction de ce qui est disponible, ce qui relève de la science la plus élémentaire. Notre cheptel est en danger, et nous devons aller dans la bonne direction. Dix ans de vaccination, quid du contrôle post vaccinal, quid du statut immunitaire et quid de l’identification du cheptel qui est le point le plus important dans l’inventaire des problèmes de l’élevage en Algérie. L’efficacité du vaccin a-t-elle été réellement analysée ?  

La seule stratégie que le ministère maîtrise dans la gestion des crises sanitaires est la déclaration tardive de la maladie après qu’elle ait dévasté les troupeaux. Ensuite vient la phase d’achat des vaccins qui peut durer des mois ou des années, c’est-à-dire, après que tout le pays soit devenu un épicentre d’une épidémie, auquel cas, la vaccination n’est pas recommandée. Les isolats viraux contenus dans les vaccins ne correspondent souvent pas à ce que l’on trouve sur le terrain. Vient ensuite le stade de la vaccination aléatoire. A ce stade, la vaccination ne peut être considérée que comme une perte de temps et un gaspillage. En matière de fièvre aphteuse, nous avons cumulé deux décennies d’expérience, mais nous n’avons pas encore réussi à nous en sortir.

Que préconisez-vous en tant qu’expert vétérinaire ?

Dans tous les pays, un comité d’experts ayant une expérience de terrain suffisante et connaissant les moindres détails du domaine est mis en place afin d’élaborer une stratégie à court et moyen termes pour sortir de la crise. Après chaque campagne de vaccination, des analyses vaccinales de contrôle doivent être effectuées pour connaître l’ampleur de la réponse du troupeau au vaccin et son statut immunitaire. 
Parler de sécurité alimentaire sans parler de sécurité sanitaire est absurde. 

Sur ce, nous proposons une numérotation nationale obligatoire du cheptel pour faciliter son suivi sanitaire et statistique. En second lieu, accélérer la mise en place du doyenné vétérinaire et ouvrir des ateliers sous la supervision du doyenné après sa mise en place, avec la participation des vétérinaires de tous les secteurs pour réviser et actualiser la loi 08/88. 

Troisièmement, reconsidérer la stratégie préventive en fournissant des vaccins contre les maladies infectieuses dans le secteur privé pour réduire la charge sur le trésor public et assurer la disponibilité des vaccins tout au long de l’année. Il est également primordial d’ouvrir le champ de la formation continue aux vétérinaires dans les instituts pour qu’ils soient au diapason des développements scientifiques, des technologies modernes et de l’évolution des maladies animales. 

Il faut également lutter contre l’utilisation illégale de médicaments vétérinaires injectables qui menacent la santé animale et la santé publique. Il est plus que nécessaire de numériser et de suivre le parcours des médicaments du producteur ou de l’importateur au vétérinaire. Nous exigeons de criminaliser la possession ou l’utilisation de médicaments vétérinaires injectables sans statut légal. 

Il faut également impliquer les médecins vétérinaires praticiens dans l’élaboration des programmes nationaux de campagne de vaccination et élargir le champ de recrutement des vétérinaires dans les différentes directions et institutions de tous les secteurs concernés. Je pense qu’il est temps de réaliser des laboratoires vétérinaires régionaux dans les wilayas frontalières présentant des menaces épidémiologiques. Enfin, il faut fournir les moyens nécessaires aux vétérinaires du secteur public pour qu’ils puissent remplir leur mission. 

Propos recueillis par  Omar Arbane
 

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