Le Dr Fawzi Derrar, virologue et directeur général de l’Institut Pasteur d ‘Algérie(IPA), revient dans cet entretien sur l’importance de la vaccination massive contre la Covid-19 avec le renforcement des mesures barrières. Pour lui, le variant Omicron sera prédominant dans les prochains jours et la maîtrise de cette crise sanitaire dépendra étroitement du taux de couverture vaccinale. Il appelle au renforcement et au respect des gestes barrières, notamment le port du masque, particulièrement par les enfants, car «le virus Omicron fait d’eux des amplificateurs de la Covid-19».
- La circulation fulgurante du variant Omicron a poussé de nombreux pays à revoir leurs stratégies de lutte contre la pandémie. Comment peut-on s’adapter à cette nouvelle situation en Algérie ?
Effectivement, le variant Omicron a ébranlé tous les pays, notamment ceux de l’Europe, et nous observons actuellement un changement dans la dynamique de la pandémie Covid-19.
Rappelons qu’au départ en 2020, on était parti sur un virus responsable de pneumonie atypique (touchant le tissu pulmonaire), aujourd’hui nous faisons face, dans le monde, au variant de ce virus qui touche essentiellement l’appareil respiratoire supérieur avec moins de sévérité, mais avec un pouvoir de transmission extraordinaire. Au 23 novembre 2021, nul ne pouvait prédire l’allure qu’allait donner le variant sud-africain Omicron 15 jours plus tard.
Cela pour expliquer que nous constatons plus une dynamique virale avec une adaptation du virus aux différentes situations jusque-là. Globalement, le monde en général a réussi à faire face à la pandémie grâce à une vaccination massive et à contrôler le risque du SARS-CoV-2, puisque les courbes des cas graves, de réanimation et de décès contrastent vraiment avec la courbe explosive du nombre de cas.
En parallèle, le variant Omicron reste dangereux pour les sujets non vaccinés, puisque le virus persiste plus longtemps et les symptômes peuvent apparaître plus tard, contrairement aux sujets correctement vaccinés chez qui l’incubation est très courte, deux jours, comparée au Delta, alors que les non-vaccinés restent asymptomatiques un certain temps avec un pouvoir de contamination plus important.
Il est clair que les mesures sanitaires stratégiques mises en place constituent le socle et la pierre angulaire pour la maîtrise du risque lié à l’exposition au Sars-CoV-2 et ses variants.
Il est question donc de la dose de rappel qui a permis d’augmenter le taux de protection vaccinale à 90% par rapport à Omicron, alors qu’on partait au départ sur une réadaptation des vaccins au vu de la baisse de cette protection après les deux injections administrées, l’instauration du pass vaccinal, renforcement des mesures de protection à l’intérieur et à l’extérieur durant la phase aiguë de la transmission et allégement des durées de confinement après infection en adéquation avec les caractéristiques du variant circulant.
Il faut que nos chers concitoyens comprennent par là qu’il est fondamental de revenir vers une adhésion massive à la vaccination et un respect strict des mesures barrières afin de rendre les mesures stratégiques plus efficientes.
- La quatrième vague s’annonce d’ores et déjà avec une hausse des cas d’hospitalisation et la saturation des services de réanimation. Comment expliquez-vous cela, d’autant que l’Omicron semble moins virulent ?
Il faut savoir qu’actuellement, il y a une co-circulation des variants Delta et Omicron.
Ainsi, à ce jour, le variant Delta représente 67% des variants circulant dans notre pays, tandis qu’au 30 décembre dernier, il représentait 80%, contre 33% pour le variant Omicron qui ne représentait que 10% à la même date.
Ce qui est un fait unique depuis l’apparition de la pandémie où deux variants préoccupants circulent en même temps. Ce qui explique que nous enregistrons toujours des cas graves et des décès qui sont essentiellement le fait du variant Delta.
Mais, attention, je dois préciser que la contamination par le variant Omicron chez les personnes non vaccinées, dont le risque de développer des formes graves, est plus élevée comparativement aux personnes correctement vaccinées.
- Pourquoi les enfants sont-ils plus infectés par l’Omicron que par les autres variants du virus ?
Les enfants sont connus pour être des propagateurs en puissance de certains virus respiratoires, tels que les virus influenza, VRS et les coronavirus saisonniers. Cela s’explique aussi par le fait que leur système immunitaire n’est pas encore mature en matière de réponse aux virus.
D’autres paramètres spécifiques font que le virus reste plus longtemps chez les enfants et donc ils excrètent le virus pour une durée plus longue. Malgré cela, les enfants font des formes moins sévères de l’infection que les adultes.
Cela est probablement lié aux récepteurs ACE2 moins exprimés chez cette frange de la population ainsi que d’autres facteurs. En plus de sa capacité intrinsèque de transmission phénoménale et les caractéristiques retrouvées chez les enfants, le virus Omicron fait d’eux des amplificateurs de la Covid-19. C’est pourquoi il est important de renforcer et respecter les gestes barrières et notamment le port du masque chez eux et surtout en milieu scolaire .
- Quelles sont vos prévisions quant au pic de cette quatrième vague ?
Le variant Omicron sera prédominant dans une quinzaine de jours et sera le variant qui va rythmer la pandémie chez nous par la suite et l’emmener au pic de l’épidémie.
Maintenant tout dépendra du taux de couverture vaccinale qui sera déterminant, voire crucial pour la sortie de cette crise. Il faut savoir que ce virus vivra avec nous des années et des années, d’où l’importance de cette vaccination qui nous permettra de contrôler cette infection virale pour les prochaines années et réduire sa morbi-mortalité, notamment les sujets à risque qu’il faudra probablement vacciner par des doses de rappel, comme la grippe.
C’est le meilleur scénario que l’on peut espérer. Alors prenons nos responsabilités, dès maintenant, et vaccinons-nous massivement, afin rendre les voyants au vert le plus vite possible.
- De nombreux chercheurs et épidémiologistes affirment que le variant Omicron peut constituer l’opportunité d’une immunité collective et la fin de la pandémie. Qu’en pensez-vous ?
Ces hypothèses avancées par les scientifiques sont peut être possibles, mais à condition que les taux de couverture vaccinale soient élevés, auxquels s’ajoutera une capacité de défense post-infectieuse qui renforcera cette immunité. Ce qui pourrait être suffisant pour prévenir les formes graves de la maladie et qu’il va falloir renforcer avec des rappels pour maintenir un niveau d’immunité important et continuer à respecter certaines mesures sanitaires en cas de vague.
- D’autres spécialistes redoutent l’apparition de nouveaux variants favorisés par l’Omicron. Etes-vous d’accord ?
Exactement et c’est une très bonne remarque. Mais je ne dirais pas que l’apparition d’autres variants sera favorisée par l’Omicron. J’ai bien souligné plus haut qu’au 23 décembre 2021, personne ne pouvait prévoir la trajectoire prise par la pandémie avec l’Omicron au moment où beaucoup de variants existent dans le monde aussi (variants sous surveillance VUI).
Rappelez-vous toujours, plus le SARS-CoV-2 circulera, plus la probabilité d’apparition de nouveaux variants est élevée. C’est pourquoi, nous insistons sur les bienfaits de la vaccination avec des taux de couverture satisfaisants.
Ce qui impactera directement sur l’évolution du virus tout en maintenant les mesures de freinage dans la communauté, comme le port de masque obligatoire, pass sanitaire respecté et distanciation. Ce sont ces moyens de prévention, à eux seuls, qui permettront de diminuer à coup sûr la diffusion et la circulation virales communautaires.