A la tête de sa start-up NafsiyaTech, Djalila Rahali a organisé et mené à bout l’événement «She’s in Tech Challenge», une compétition en ligne conçue pour encourager l’entrepreneuriat féminin en Algérie et dont la finale a eu lieu récemment en présentiel à Oran. Elle est également pionnière dans le domaine de la cyberpsychologie ayant entamé sa carrière en 1999. Elle nous livre dans cet entretien les conditions ayant présidé à l’organisation de ce «marathon technologique» mais aussi des éléments en rapport avec sa spécialité.
Propos recueillis par Djamel Benachour
- Vous venez juste de clôturer la première édition de «She’s in Tech Challenge» dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat féminin. Dans quelle mesure votre expérience personnelle a-t-elle pesé sur l’organisation d’un tel événement ?
Tout d’abord, j’ai fait de ce challenge un défi personnel comme femme entrepreneure, fondatrice et directrice générale d’une startup labellisée, en l’occurence NafsiyaTech, organisatrice de cette compétition internationale puisque la diaspora y était incluse. Pendant toute l’année du déroulement de cet événement, qui n’est pas un «hackathon» mais un vrai marathon technologique féminin, tant il a duré une année, je suis, en tant que gestionnaire, passée par d’énormes défis qui ont été amplifiés par les vagues pandémiques, le décès de quatre proches, le manque de moyens humains en ligne, etc. Mais, au final, toutes ces contraintes ont été bénéfiques car elles m’ont aussi permis d’acquérir davantage de savoir-faire que je transmettrai certainement, via mes formations, aux femmes qui veulent entreprendre, aux lauréates et à celles qui veulent se lancer dans l’événementiel.
Ensuite, mon background de cyberpsychologue depuis deux décennies, ma transdisciplinarité avec l’intérêt accordé à la psychologie, la technologie, la santé et le management de projets ont fait mûrir une vision et contribué à tracer une stratégie non pour me démarquer mais pour mieux cerner les concepts et mieux entrevoir l’écosystème entrepreneurial dans le digital. Le plus important était de savoir comment relier tout cela à la femme algérienne, toutes catégories confondues, c’est-à-dire incluant la femme rurale, la femme au foyer et la femme de la diaspora qui veut aider son pays.
- Dans quelle mesure l’événement a répondu à vos attentes en termes de participation, mais aussi de qualité des projets soumis à l’appréciation du jury?
Nous avons reçu 87 projets, ce qui est énorme par rapport à d’autres challenges. En tant que psychologue ayant une connaissance de la mentalité des femmes algériennes, nous avons décelé une certaine crainte à se lancer dans l’entrepreneuriat. En général, toutes les catégories de femmes, qu’elles soient étudiantes, femmes au foyer, employées ou femmes diplômées au chômage, font face à des freins mais qui sont plutôt d’ordre socioculturels. Cela dit, nous avons reçu d’excellentes idées et d’excellentes propositions de projets sur notre plateforme dédiée à cet événement. Le «mindset» entrepreneurial dans la catégorie femmes est à développer car la femme reste encline à donner sans contrepartie. Donc, pour en faire une businesswoman, il faut de la formation et un bon mentorat.
- Vous êtes spécialiste en cyberpsychologie et vous aviez donc déjà une certaine connaissance du cyberespace. Partant de là, aviez-vous au préalable décelé des potentialités chez la femme algérienne lui permettant de relever de tels défis, c’est-à-dire non seulement concevoir des projets mais aussi être active sur le numérique ?
En parlant de la cyberpsychologie, vous parlez certainement des cybercomportements que j’analyse quotidiennement dans le cyberespace et surtout sur les réseaux sociaux où les femmes ont tendance à écrire, commenter, publier et partager tout autant que les hommes. Elles sont tout aussi nombreuses à acheter sur Internet via les réseaux sociaux et à proposer leurs produits (gâteaux traditionnels, habillement et couture, travaux artisanaux, etc.) sauf qu’elles préfèrent rester derrière l’écran par crainte de se mettre en avant. Il faut dire aussi que notre société n’est pas encore assez accueillante vis-à-vis de femmes qui créent leur propre business et qui vont vers la création de leurs propres entreprises. Elles sont considérées comme n’étant pas assez fortes pour supporter la gestion d’un projet. C’est sans doute à cause de ce genre de stéréotypes que certaines femmes n’osent pas casser ces barrières alors qu’elles peuvent être porteuses d’idées de projets potentiellement bénéfiques en termes de rentabilité et de création d’emploi.
- En dehors de cette initiative et dans le cadre de votre spécialité, vous avez déjà étudié les notions d’addiction (à Internet, aux réseaux sociaux, aux jeux vidéo notamment en ligne, etc.) mais aussi d’autres dangers provenant du cyberespace (criminalité, harcèlement, comportements déviants, etc.). Pouvez nous nous éclairer sur les aspects ?
Dans sa première tranche, votre question n’est absolument pas en dehors de mon initiative car en cyberpsy, je suis convaincue que beaucoup d’aspects passant pour une addiction sont en réalité des prémices pour un vrai métier. L’addiction à Internet, aux réseaux sociaux, aux jeux vidéos, etc., n’est pathologique que quand l’individu cesse de vivre socialement et professionnellement, ceci veut dire que l’addiction ne se mesure pas en nombre d’heures de connexion comme beaucoup le supposent. C’est pour cela que la meilleure solution est de chercher avec l’utilisateur ou l’utilisatrice si il ou elle ne peut pas en tirer profit, en faire un métier, apprendre d’autres disciplines, etc.
Pour ce qui est de la criminalité, c’est une autre histoire, mais c’est aussi souvent en rapport avec le manque de vigilance.
La cybercriminalité n’a pas de genre mais les femmes, plus que les hommes, passent pour des victimes faciles tant elles sont sensibles aux approches courtoises ou celles qui paraissent bienveillantes alors qu’au fond, elles ne le sont pas. Pour le cas spécifique à la jeunesse, c’est inquiétant quand on parle de vulnérabilité vis-à-vis de ces fléaux que cela soit de l’addiction, de la criminalité, du cyberharcèlement ou du «sexting», du cybersexe et j’en passe. En milieu éducatif, en 2018, j’ai eu à concevoir un projet international de lutte contre le cyberharcèlement et ce que j’ai découvert était (et l’est toujours) très inquiétant. J’en ai déduit qu’il faut absolument introduire une nouvelle matière dans nos écoles, celle de la «Safe Tech» ou Technologie Saine, et où les techniciens en informatique peuvent être de bons enseignants.
- Sinon, et de manière plus générale, avez-vous une idée de ce que pourrait être la différence (si elle existe) entre les hommes et les femmes en Algérie en termes de centres d’intérêt ? Quel usage fait-on de tous ces nouveaux outils ? Pour vous donner un exemple, mais c’est un constat d’un non spécialiste et en dehors de tout cliché relatif au rôle que la société assigne à la femme : énormément de vidéos portant sur les recettes de cuisine sont présentées en majorité par des femmes (peut-être au foyer et qui évitent de montrer leurs visages)…
Justement, je viens de répondre en partie à cette question et votre constat est correct dans la mesure où la femme est encore sous le joug des conventions sociales qui l’obligent souvent à ne pas se montrer dans l’espace public, y compris virtuel. Mais d’un autre côté, il faut comprendre que cela la protège des risques de cyberharcèlement.
L’idéal est de former les femmes sur les moyens de défense. C’est-à-dire, utiliser la force du cyberespace pour protéger les gens et mettre en valeur ses avantages car on a tendance à toujours pointer du doigt les inconvénients alors qu’Internet est le plus beau cadeau que l’humanité n’a jamais eu depuis la création de l’homme.
Les femmes ne doivent donc pas se contenter de montrer qu’elles sont de bonnes cuisinières sur les réseaux sociaux, mais démontrer qu’elles ont d’autres compétences techniques, technologiques, artistiques, etc. à faire valoir. Elles doivent le faire en force en allant entreprendre pour apporter de la valeur ajoutée à leurs familles, à leur société et à leur pays.