Dialogues / Malek Bensmaïl : «Le cinéma du réel, c’est une forme de pensée critique poétique que la fiction

30/07/2023 mis à jour: 00:52
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-Le cinéma du réel, ça signifie quoi pour vous ? C’est juste un slogan ou une vraie question ? 
 

Le slogan appartient aux politiciens et à aux publicitaires. Non, le cinéma du réel a la capacité de traduire la réalité sociale, politique, culturelle, d’un territoire, d’un pays. Le cinéma du réel révèle, plus que la fiction, le fossé (ou les failles) entre la réalité sociale et le mythe. Le documentaire questionne ainsi les mythes avec des personnages du réel qui sont souvent magnifiques, généreux, sincères et parfois affreux et méchants. Une société a besoin de se regarder, de se voir à l’écran, sans prisme. Nous avons besoin de comprendre nos failles et de produire des images nous-mêmes, sur nous-mêmes. Enregistrer le réel, c’est créer une sorte d’album de famille, un imaginaire aussi et dans le même temps, une mémoire audiovisuelle. 
 

-Au-delà des tabous, de la censure et des difficultés budgétaires, faut-il faire des films basés sur la réalité ou au contraire la fuir pour être plus libre et plus constructif ? 

Je pense les deux. Il s’agit avant tout de cinéma. Ce sont les financiers qui ont compartimenté les genres dans des cases. Fiction ou réel documenté, c’est une grammaire, un outil. Dans la fiction, c’est le scénario qui fait récit, alors que dans le documentaire, c’est le vécu qui fait le scénario. Je pourrai dire que le documentaire est une fiction pas comme les autres…

Pour rappel, le cinéma est né d’abord avec des images réelles des frères lumières filmant l’entrée en gare d’un train et où les spectateurs, pris de panique, ont fuit la salle ! Puis on a fictionné le réel, avec l’exemple Nanouk l’Esquimau de Robert Flahery (1922). Flaherty pense que que pour révéler la réalité, il faut parfois la tordre, l’organiser. 
 

-Vous faites de la fiction, du documentaire, du docu-fiction, quelle piste vous semble la plus prometteuse pour l’avenir du cinéma algérien, si tant est qu’il y a un cinéma algérien ? 

Le docu-fiction, je n’y crois pas. Le docu-fiction, c’est quelle que part 50% moins de réel et 50% moins de fiction. Fictionner le réel, c’est autre chose. Je suis plus connu pour le cinéma documentaire car je m’y suis consacré entièrement depuis les années 90 pour raconter nos délires, nos failles, nos violences, notre auto-dérision, notre réel, qui pour moi, nourri notre imaginaire collectif. Et c’est quelle que part le manque de cinéma du réel en Algérie (qui s’arrange aujourd’hui) qui fait que les récits de nos fictions restent obsédés par les mythes. Le cinéma du réel, c’est une forme de pensée critique poétique que la fiction contourne, elle, par des métaphores...
 

-Votre projet en cours sur Kamel Daoud est-il réel ? Kamel Daoud lui-même est-il réel ? Où en est l’état d’avancement de l’œuvre ? 

C’est justement une belle œuvre sur le faux-semblant, le vrai du faux. Récit réel ou inventé. Fiction ou réel, raï, bar et histoires absurdes. Le roman de Kamel Daoud était parfait dans la continuité de mon travail ; questionnements sur nous. Dans mon adaptation, le réel de nos violences pas si lointaines est mis en confrontation avec le désir de roman/fiction sur un autre passé cruel, celui de la colonisation.  Le film est en cours de préparation pour le tournage des scènes d’époques qui aura lieu bientôt. 

Comme j’aborde plusieurs époques avec des reconstitutions de décors et costumes, le film restant couteux, nous avons du mal à boucler le budget et avons besoin cruellement de soutiens privés et publics. Le film sera un bel hommage à notre grand et regretté comédien Ahmed Benaïssa, dont le film sera sa dernière apparition à l’écran.  
 

Propos recueillis par Chawki Amari
 

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