Deuil cinématographique : Annulations, maintiens et reports

29/10/2023 mis à jour: 18:53
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Affiche du film Ghaza Strophe réalisé par Samir Abdallah et Khéridine Mabrouk en 2009 sous les bombardements, qui racontent «les récits de dizaines de témoins ghazaouis de la guerre israélienne contre Ghaza nous font entrer dans le cauchemar palestinien. Malgré cela, nos amis Ghazaoui nous ont offert des poèmes, des chants et même des « Nokta*… ». photo : dr

Que faire ? D’abord des films, des documentaires, ou faire la guerre ou manifester ou encore prier, se mettre en colère ou prendre des cachets. Surtout ne pas regarder la télévision, mais voir des films peut-être. 

C’est un fait, la guerre contre les Palestiniens a désarmé beaucoup d’Algériens et contrairement à ses écrivains, l’immense majorité de ses cinéastes sont favorables à la Palestine malgré un sale temps pour les festivals, après l’annulation pour Covid des rencontres de 2020 à 2022. 

Une nouvelle série a commencé, d’abord, le Festival méditerranéen du film de Annaba, annoncé en grande pompe après 5 ans d’absence avec des budgets conséquents et un casting de haut niveau, prévu pour le 3 novembre prochain mais reporté pour cette 4e édition «en raison de la situation au Moyen-Orient et principalement en Palestine», selon le communiqué du ministère de la Culture. Mais comme la guerre ne s’arrêtera pas, rien n’indique qu’il aura lieu, d’autant que le cinéma italien était prévu à l’honneur pour le festival, pays qui vient de s’abstenir au vote pour un cessez-le-feu à l’ONU. 

De toutes les façons, le ministère de la Culture avait annoncé «la suspension de toutes les activités à caractère festif jusqu’à nouvel ordre». Prévu pour cet été, le célèbre FIFO, Festival international du film d’Oran, qui n’a plus eu lieu depuis 2018, a aussi été annulé malgré la nomination d’un commissaire en mars 2023 mais pour une autre raison : problème de budget et de dettes impayées. 

A l’international, ce sont surtout les JCC Carthage, Journées cinématographiques programmées du 28 octobre au 4 novembre, haut lieu du cinéma mondial, qui n’ont pas été reportées mais simplement annulées à cause de Ghaza. 

Fondé en 1966, le plus vieux festival d’Afrique et du monde arabe n’aura pas lieu pour la première fois depuis son histoire, soulevant des critiques de la part de plusieurs personnalités, syndicats et organisations du cinéma, qui ont dénoncé cette décision unilatérale injuste envers les équipes qui ont travaillé pendant des mois sur cette édition. «Stupide», a résumé le journaliste, critique de cinéma et écrivain, Khémais Khayati, qui a rappelé que «l’Arabie Saoudite organise son festival de la mer Rouge, Fès organise son festival», un festival de musique, alors que vendredi dernier s’ouvrait la 23e édition du Festival national du film à Tanger et se clôturait le même jour la 12e édition du Festival de Oujda des films maghrébins avec le prix de la meilleure actrice pour l’Algérienne Soula Bahri, dans l’excellent film (de l’Algérien) Salah Issaad ainsi qu’une distinction spéciale pour le réalisateur (algérien) Hamid Benamara et son film Kyoko, la saison des vendanges des rêves. 

Pour nombre d’observateurs, c’est d’autant plus incompréhensible que 12 films palestiniens étaient sélectionnés à Carthage, entre autres Jenine 2023 du Palestinien Mohammad Bakri en première mondiale. 

Pour les Algériens, on pensera surtout à Imane Salah, sélectionnée aux JCC pour Tassaloul (hors jeu) et Merzak Allouache, qui devait y présenter son dernier film, Ma kan walou. Un titre bien tombé, il n’y a rien. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que des festivals sont annulés ou reportés, plusieurs d’entre eux ont été annulés au Maroc par exemple suite au séisme qui a frappé en été et même le fameux Festival du rire de Marrakech de Djamel Debbouz a été annulé pour cette année à cause d’obscures raisons de réhabilitation du Palais où il devait se dérouler… à 80 euros la place, ce qui n’est pas très marrant. 
 

ON PEUT MÊME ANNULER LES ANNULATIONS

A Laayoune au Sahara occidental, le Festival du film documentaire a été aussi annulé à cause d’une polémique sur un documentaire portant atteinte aux Reguibats (tribu à cheval sur l’Algérie, le Maroc, le Sahara occidental et la Mauritanie). Même chose en Turquie où le festival de l’Orange d’or d’Antalya, vieux de 60 ans et prévu en octobre, a été annulé à cause d’un documentaire polémique, Le décret, qui revient sur les purges organisées au lendemain de la tentative de coup d’Etat contre Erdogan en 2016. Même en France, le 15 octobre à Inzinzac en Bretagne, la deuxième édition de la Journée du cinéma palestinien a été annulée sur décision préfectorale «pour des raisons de sécurité», évidemment liées à ce qu’il se passe en Palestine. 

Ce n’est pas terminé, le Festival du film italien d’Annecy a été annulé cette année pour cause de budget, à Laval, le festival Ecrans Mixtes, créé il y a 13 ans, a aussi été annulé sous la pression d’opposants au programme LGBT+ proposé cette année. Enfin, même à Hollywood, la 27 édition de l’American French Film Festival a été annulée à cause de la grève des scénaristes. 

Organiser un festival n’est donc pas aussi simple, et pour revenir à l’Algérie, il reste le FICA, Festival international du film d’Alger, qui s’est tenu début décembre l’année dernière. Sa 12e édition va-t-elle être annulée ou reportée ? Aucune date n’est annoncée, et les organisateurs, dont le commissaire Mehdi Benaïssa, n’en savent rien : «On prépare tout comme si le festival était maintenu et on attend l’ordre venu d’en-haut», explique l’un d’eux. 

Faut-il le maintenir pour rendre hommage aux Palestiniens, comme le souligne la réalisatrice Sofia Djama qui rejoint en ce sens les Tunisiens ? «Le bon sens aurait voulu justement maintenir les festivals avec une billetterie qui deviendrait une caisse solidaire pour le Croissant-Rouge par exemple et la commémoration des ambassades dz des tribunes à l’internationale pour porter la cause palestinienne», souligne-t-elle. Pour ou contre, écran bleu ou noir, chacun devrait pouvoir choisir, tout comme pouvoir choisir son film.

 A la seule condition que les cow-boys ne soient pas présentés comme les gentils et les Indiens les méchants.

 

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