Des sociétés citoyennes et un nouveau schéma de développement : Saïed présente les grandes lignes de son plan de redressement socioéconomique

28/03/2022 mis à jour: 02:07
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Le président tunisien Kaïs Saïed / Photo : D. R.

Récupération de l’argent détourné sous Ben Ali et son investissement dans les régions défavorisées, dans le cadre de la réconciliation pénale. Des sociétés citoyennes pour la gestion de ces projets. Populisme ou révolution en marche ; c’est à l’avenir de le révéler.

Le président Kaïs Saïed veut que la Tunisie passe, durant son pouvoir, «de l’Etat-providence de la dernière décennie au peuple providentiel, pouvant créer des richesses et relancer l’économie, via les sociétés citoyennes», comme l’assure l’entourage du Président. 

La décennie des islamistes d’Ennahdha et de leurs alliés successifs a mis le pays à genoux, au bord de la faillite. Le président Saïed veut accorder des moyens au peuple, notamment la jeunesse, pour créer des projets et faire redémarrer l’économie. Il utilise la réconciliation pénale pour récupérer les fonds nécessaires.

Onze ans après la chute de Ben Ali, les délits des hommes d’affaires corrompus n’ont pas encore été réglés. «Les concernés subissent les escroqueries des réseaux de chantage durant la dernière décennie», déplore Samir Majoul, le président de la centrale patronale Utica, qui y voit «une alternative pour accorder des quitus aux concernés, vis-à-vis de la société et du système économique», ce qui veut dire que les patrons sont d’accord sur ladite démarche. Pour le président Saïed, «l’argent du peuple revient au peuple et c’est à lui d’établir ses priorités dans les projets qu’il va choisir».

Il est vrai que, par rapport aux termes vagues dans le projet initial du président Saïed, le texte final a mis l’accent sur la nécessité de coordonner entre les localités, afin d’éviter les doublons dans les initiatives. 

«L’idée est certes nouvelle et pourrait réussir si elle est bien suivie, de la conception à la réalisation et au suivi», selon l’économiste en chef de l’UGTT, Sami Aouadi, qui précise que «l’environnement des affaires est très pourri, ce qui risque de peser lourd lors de l’exécution de pareils projets».

Il est vrai que la petite et la grande corruptions gangrènent le système économique tunisien, sans qu’aucun gouvernement n’ait pu les freiner. 

«Le système est tellement pourri que l’on préfère donner un pot-de-vin de 200 dinars (60 euros) par container de marchandises que de laisser traîner ses marchandises importées pendant des semaines et des semaines», raconte un homme d’affaires tunisien, adoptant l’anonymat.

«En Tunisie, au port de Radès, le plus important du pays, on continue à inspecter la contenance des containers sans scanner, pour permettre la touche humaine corrompue», regrette-t-il, en attirant l’attention sur le fait que «le déchargement des bateaux traîne pendant des semaines, occasionnant des pénalités de retard, parce que l’on tourne à raison de 12 à 14 containers/heure, le taux le plus faible de la Méditerranée». 

Cela pose évidemment la question de savoir si le président Saïed va s’attaquer à ce fléau de corruption dans les ports et sur la manière avec laquelle les sociétés citoyennes vont agir.

Corruption

Des pans entiers de l’industrie tunisienne ont été détruits par l’importation anarchique de produits chinois et turcs. «Ils concurrencent les produits locaux, qui sont taxés à la douane, alors qu’ils ne paient rien», regrette Nafaa Enneifer, membre du bureau exécutif de l’Utica, qui demande à l’Etat de «sauver son industrie locale». 

«Les dernières évaluations montrent que cette anarchie dans l’importation a poussé plusieurs usines à fermer et que le pays est en voie de désindustrialisation», ajoute Enneifer, qui constate aussi que «le marché parallèle s’empare de plus du tiers du commerce, sans payer aucune redevance à l’Etat».

La problématique de la corruption a été certes régulièrement soulevée par le président Saïed, toutefois, huit mois après son coup de force, aucune véritable attaque de front n’a été opérée contre ce fléau. 

Pis encore, les observateurs constatent que les réseaux de corruption organisent leurs ripostes, si l’on en juge par certaines pénuries auxquelles la Tunisie n’était pas habituée par le passé, comme pour la farine, la semoule, le riz ou le sucre.

«La dernière période est marquée par des signaux de faiblesse de l’Etat, notamment au niveau du contrôle de ses décisions à propos de la limitation des prix de certaines denrées, comme les œufs ou les volailles», remarque l’économiste Mohamed Haddar, qui demande de «renforcer l’appareil de l’Etat, si l’on veut obtenir des résultats contre la corruption».

Et à l’ancien membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Mustapha Ben Ahmed, de conclure que «le Président doit disposer de moyens pour ses projets, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption et j’en doute fort.» 

En attendant, la Tunisie continue à manger son pain noir. 

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