Des juristes s’expriment sur les mesures décidées par la CIJ contre Israël : «C’est un véritable séisme juridique et politique»

11/02/2024 mis à jour: 01:28
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Les mesures de la CIJ constituent pour de nombreux juristes un basculement historique - Photo : D. R.

Les juristes estiment, dans une déclaration commune, que l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) est une «rupture avec 75 ans d’impunité dont avait jouit le seul membre des Nations unies enfanté par l’organisation internationale (Israël, ndlr)».

Les mesures conservatoires constituent un basculement historique.» C’est ce qu’affirment,  dans une déclaration commune, Me Jean Fermon, secrétaire général de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD), Rudolf El Kareh, professeur des universités, sociologue et politologue, et Hassan Jouni, professeur de droit international, expert auprès d’organisations internationales, membre du bureau de l’Aijd, pour lesquels les mesures de la Cour internationale de justice (CIJ) «constituent un basculement historique».

Ils vont loin en disant que ces mesures «sont loin d’être l’expression d’une justice internationale diminuée comme ont pu le laisser croire certains commentaires désappointés ou ignorants, mais aussi de manière perverse, certains milieux politiques partie au procès, leurs appuis et leurs médias, surtout préoccupés d’en amoindrir l’impact».

Mieux encore. Ils les qualifient de   «véritable séisme juridique et politique»  et de «rupture avec 75 ans d’impunité dont avait jouit le seul membre des Nations unies enfanté par l’organisation internationale et qui s’était senti autorisé, protégé par ses soutiens, à s’installer dans une situation d’exceptionnalité lui permettant de se situer hors la loi et les lois internationales, de se délier des obligations du droit commun, et d’estimer qu’il n’était crédité que de droits».

Pour les quatre juristes, il s’agit d’«une victoire judiciaire et politique» pour l’Afrique du Sud. «Cette décision constitue, dans le contexte, un basculement historique.» Observons d’abord, sous l’angle du droit, par quelques exemples, l’argumentaire de la Cour.

Lorsque celle-ci pose la question de savoir s’il est plausible que les Palestiniens de Ghaza sont victimes de génocide, elle décrit, au paragraphe 46, de son ordonnance l’ensemble de l’opération militaire israélienne en se référant aux «très nombreux morts et blessés», «la destruction massive d’habitations», «le déplacement forcé de l’écrasante majorité de la population» et «les dommages considérables aux infrastructures civiles».

Les auteurs de la déclaration rappellent que la Cour s’est référée aux déclarations du président Herzog, du ministre de la Défense Gallant, etc. avant de déduire de la combinaison de ces éléments, d’abord, que le «droit des Palestiniens de Ghaza d’être protégés contre les actes de génocide est bel et bien en jeu et, qu’en conséquence, la CIJ doit ordonner des mesures provisoires».

Ils  soulignent que lorsqu’on associe «les éléments à la base du raisonnement de la Cour avec les décisions prises contre Israël, on constate clairement que la CIJ exige d’Israël de prendre toutes les mesures destinées à prévenir et sanctionner l’ensemble des actes tombant sous le coup de l’article 2 de la Convention sur le génocide. En l’occurrence le fait de tuer les Palestiniens de Ghaza.

Et, dans cet ordre d’idées, le ministère sud-africain de la Justice a eu tout à fait raison de tirer la conclusion suivante : «La seule possibilité pour Israël de respecter les décisions ordonnées par la CIJ est de mettre fin à toutes ses opérations militaires.» Les auteurs de la déclaration  ajoutent, par ailleurs, que le fait de placer la plainte sud-africaine sous l’article 2 «est en soi une légitimation de la résistance à l’acte génocidaire».

La recevabilité sous l’article 2 a d’autres conséquences. Elle ne laisse plus aucun doute quant à l’obligation de tous les autres Etats parties à la Convention contre le génocide de réaliser tout ce qui est en leur pouvoir afin de prévenir et d’empêcher que les actes délictueux se poursuivent et surtout que l’acte de génocide ne se produise.

Cela signifie que les Etats qui soutiennent Israël ont, dès à présent, l’obligation de cesser ce soutien sous quelque forme que ce soit, (politique, militaire, financier, etc.), et doivent tout mettre en œuvre afin d’empêcher celui-ci de commettre les actes qualifiés par la CIJ comme «des actes comportant des indications sérieuses» selon lesquelles il s’agirait «d’actes de génocide».

«Les réactions d’Israël ne sont pas de bon augure»

Les mêmes juristes trouvent qu’à la dimension politique, morale et culturelle «vient désormais s’ajouter la dimension juridique. Mais là également l’ingénuité n’est pas de mise, et encore moins la sacralisation béate du droit».

Pour eux, «la justice est un combat et le droit n’est pas nécessairement la justice. Que ce soit l’Afrique du Sud qui ait assumé d’ester auprès de la plus haute instance judiciaire internationale, instance éminemment politique, puisqu’elle émane des Etats, eux-mêmes constitutifs de l’Organisation des Nations unies dans ses fondements mêmes, revêt une formidable charge symbolique».

A rappeler que le système d’apartheid en Afrique du Sud ne s’est pas effondré par la grâce d’une simple décision de justice. Ce système d’oppression du XXe siècle est tombé grâce à l’action des peuples, ajoutée à des mesures adoptées par des instances juridiques internationales, à un immense mouvement de boycott et à des séries de défaites militaires de l’armée d’apartheid sud-africaine sur de nombreux théâtres de confrontation du continent africain, dans le sillage du mouvement global de libération nationale aidé de ses soutiens internationaux.

Il en va de même, a fortiori, lorsqu’il s’agit d’une colonisation de peuplement et de substitution qui porte le génocide dans ses gènes. Cependant, pour les trois experts du droit,  les réactions d’Israël aux décisions de la Cour «ne sont pas de bon augure». Ils expliquent : «Ignorons les chantages émotionnels et les invectives devenus chose banale.

Notamment celles visant les Nations unies, le secrétaire général et leurs instances dirigeantes.» Le fait le plus grave survenu depuis le 26 janvier est l’agression délibérée dirigée contre l’Agence de l’Onu pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), le dernier mécanisme permettant de maintenir la vie à Ghaza, et la suspension suspecte des subventions régulières adoptée par certains Etats aux orientations évidentes, les USA, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, l’Italie...

La rapporteuse spéciale des Nations unies pour les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a été claire : «Ces suspensions violent la décision de la CIJ et pourraient même violer la Convention pour la prévention du crime de génocide. » La CIJ a ordonné de «permettre une aide humanitaire efficace» pour les habitants de Ghaza (…). Cette décision revient à désobéir ouvertement à l’ordre de la CIJ.

C’est une décision qui entraînera des responsabilités légales. Leur conclusion est : «Sous cette perspective, les enjeux des mesures conservatoires de la CIJ sont immenses. Il en va tout autant de la vie d’un peuple, le peuple palestinien, que de l’existence même d’un système international de justice.» 

 

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