Des finances publiques saines et incontournables pour la lutte contre l’inflation et le renouveau économique dans le monde et en Algérie

10/10/2023 mis à jour: 02:18
3136

D’expansionnistes pendant la pandémie, les politiques budgétaires sont en train d’être resserrées et réorientées à travers le monde en appui du processus de désinflation et de la réorganisation des chaînes d’approvisionnement.

Entre 2020-2021, tous les gouvernements dans le monde adoptaient des politiques budgétaires expansionnistes pour protéger leurs populations et leurs entreprises des effets négatifs de la pandémie et également des chocs de l’offre consécutifs à la réouverture des économies dès la mi-2021. 

A partir de 2022, dans un contexte de forte inflation structurelle (liées à la désorganisation structurelle de l’offre globale), de hausse des coûts d’emprunt (ajustement des taux d’intérêt pour contrer l’inflation), d’une détérioration des perspectives de croissance et de risques financiers élevés, les gouvernements sont en train de resserrer leurs politiques budgétaires pour accompagner des politiques monétaires restrictives et lever les contraintes structurelles qui pèsent sur les chaînes d’approvisionnement, y compris par le biais de nouvelles politiques industrielles. 

Pour ce qui est de l’Algérie, le levier des finances publiques a également été utilisé pour combattre les impacts négatifs du double choc sanitaire et pétrolier de mars 2020. Toutefois, alors que les prix du pétrole sont orientés à la hausse sous l’effet de la réouverture de l’économie mondiale et de la guerre en Ukraine, la politique budgétaire reste expansionniste dans un contexte de forte inflation due à des facteurs internes et externes. 

Le risque macroéconomique majeur auquel le pays est confronté est la crise du coût de la vie (et la reconstruction de l’économie nationale) dont la résolution implique, inter alia, tout un resserrement ciblé et rationnel de la politique budgétaire (d’autres mesures sont bien entendu cruciales). Discutons de ces questions. 
 

Le rôle de la politique budgétaire et des déficits dans la gestion macroéconomique d’un pays. Le budget est un outil essentiel pour gérer les finances publiques et la situation macroéconomique d’un pays en général. Le déficit budgétaire (dépenses publiques excédant les recettes en général) a des implications diverses, y compris l’activité économique, les taux d’intérêt, le taux de change, la dette publique domestique et externe, l’inflation, la compétitivité extérieure et le commerce extérieur. 
 

La nature du déficit et sa viabilité à moyen terme sont donc des questions cruciales, impliquant des choix entre financement (s’il reste contenu dans des limites que le pays peut prendre en charge sans rupture des fondamentaux du pays), ajustement (par le biais de réformes budgétaires en cas de déficit ayant des causes structurelles) ou une combinaison des deux formes afin trouver un équilibre entre le besoin de concilier la viabilité des finances publiques et la croissance économique. 
 

Entre 2020-2023, la politique budgétaire au niveau mondial est passée d’expansionniste pour résister aux effets de la pandémie à restrictive pour appuyer la lutte contre l’inflation. 
 

Point 1 : Les politiques budgétaires expansionnistes. Entre 2020-2021, les gouvernements à travers le monde ont dépensé 18% du PIB pour soutenir les ménages et les entreprises sous confinement en raison de la pandémie ainsi que la reprise économique.
 

Point 2 : Normalisation des politiques budgétaires et réduction des dettes publiques. Avec la fin de la pandémie à fin 2021, les gouvernements ont mis fin aux mesures exceptionnelles de soutien budgétaire, allégeant ainsi leurs dettes publiques et les déficits qui avaient réduit leurs marges de manœuvre. En 2022, près des ¾ des pays ont durci aussi bien leur politique budgétaire que leur politique monétaire, contribuant ainsi à réduire : (1) la dette mondiale à 92% du PIB (8 points de pourcentage au-dessus des niveaux en 2019) ; et (2) les déficits primaires aux niveaux d’avant la pandémie.
 

Point 3 : Restrictions au niveau budgétaire à partir de la mi-2022 du fait de l’épuisement des marges de manœuvre budgétaires après deux années de pandémie et de la lutte contre l’inflation. Vu d’une part le contexte économique détérioré (inflation structurelle, hausse des coûts d’emprunt, endettement lourd, détérioration des perspectives de croissance, élévation des risques financiers), d’autre part du besoin de financer les objectifs de développement et la transition climatique (besoin de 3000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 selon le FMI), les gouvernements ont resserré leurs politiques budgétaires pour appuyer la politique monétaire, dont les objectifs sont désormais de réduire l’inflation et favoriser la stabilité financière et permettre aux banques centrales de relever moins fortement les taux d’intérêt, ce qui contribuerait à contenir le coût des emprunts publics et à maîtriser les vulnérabilités financières.
 

Point 4 : Les gouvernements doivent toutefois protéger les groupes vulnérables. Parmi les arbitrages sur les plans budgétaires, les gouvernements devraient donner la priorité à la protection des groupes vulnérables grâce à un soutien ciblé (sans pour autant sacrifier la lutte contre l’inflation) à travers une panoplie d’outils fiscaux (programmes de maintien de l’emploi, filets de sécurité sociale évolutifs et mieux ciblés en tirant parti des technologies numériques et soutien exceptionnel aux entreprises). 
 

L’Algérie. Des finances publiques trop liées au marché des hydrocarbures ce qui contraint la croissance économique et alimente l’inflation.   
 

Une situation budgétaire globale liée à la volatilité des prix du pétrole et du gaz. Entre 2017 et 2022, si la part des recettes pétrolières a augmenté de 11,5% du PIB à 19,4 % du PIB, celle des recettes fiscales a suivi un trend inverse en baissant de 13,9% du PIB à 10,7% du PIB. Avec des dépenses rigides, en particulier les dépenses courantes, et l’impact significatif des variations des prix du pétrole et du gaz sur les recettes totales, l’équilibre financier global de l’Algérie est étroitement lié aux fluctuations des prix internationaux du pétrole et du gaz. 

De ce fait, l’Algérie a enregistré fréquemment des déficits au cours de ces dernières années, et plus particulièrement depuis 2017 (8,4% du PIB) à 11,9% en 2020 (dont 0,6 points de pourcentage au titre de la lutte anti-Covid) avant de baisser à 7,2% en 2021 et passer à un surplus de 2,2% du PIB en 2022 (grâce à la hausse des prix des hydrocarbures). Les formes de financement des déficits budgétaires contribuent, en partie et avec un lag (écart), à alimenter l’inflation et réduire la croissance économique (du fait de l’effet d’éviction). L’inflation est passée de 2,4% en 2020 à 10,2% en 2022. 

En plus des variations du PIB réel hors hydrocarbures (et de la faiblesse de l’offre), de la hausse de la masse monétaire, de la dépréciation du taux de change et des dysfonctionnements de la distribution, l’inflation est également alimentée par la fréquence des déficits et les formes de leur financement. 

 Au cours des vingt dernières années, les déficits budgétaires ont été au détriment de la croissance et de la stabilité des prix par le recours à l’épargne budgétaire, aux tirages sur les comptes des entités publiques au Trésor, à la création monétaire (2017, 2018 et 2019), à la diminution des dépôts de l’état et autres entités publiques (2020), à l’investissement d’une partie des fonds propres de la Banque d’Algérie (BA) dans des obligations du Trésor à trois ans, aux avances temporaires au Trésor de la part de la BA et au programme spécial de refinancement, une opération impliquant la BA, l’Etat, les banques privées et le Trésor (2021).   Les chocs externes, la volatilité croissante et l’imprévisibilité des prix du pétrole ces dernières années ont donc accentué les vulnérabilités des finances publiques. 

Citons : 
 

(1) la faiblesse des recettes fiscales (10,7% du PIB en 2022 par rapport à un optimum de 19% du PIB) ; 
(2) la rigidité des dépenses courantes en salaires et transferts (61% des dépenses totales et 89 % des dépenses courantes) ; 
(3) l’inefficience des dépenses en capital ; et (4) l’absence d’équilibre entre viabilité budgétaire et croissance économique dans la gestion du déficit budgétaire comme expliqué ci-dessus. A cela, ajoutons les risques liés aux garanties implicites et explicites accordées aux entreprises et banques publiques, le déséquilibre financier du système de retraites et le poids financier des administrations locales.  Des mesures adéquates (mais limitées) ont été prises récemment pour reprendre le contrôle des finances publiques. Citons : (1) l’adoption du premier budget-programme en 2023 suite à l’adoption de la loi organique (mise en place par la constitution de 1996) portant lois de finances du 2 septembre 2018 ; 
(2) une nouvelle procédure pour réduire le lag dans la publication des lois de règlement de 3 ans (N-3 jusqu’en 2022) à un lag de 2 ans (N-2 pour les lois de règlement des exercices budgétaires 2023, 2024 et 2025) et un lag de 12 mois (N-1 pour les lois de règlement de l’exercice budgétaire 2026) ; 
et (3) la réactivation du cadre budgétaire à moyen terme couvrant la période 2023-2025. Cet édifice institutionnel va dans la bonne direction mais il faudra aller encore plus loin en renforçant la crédibilité du processus budgétaire pour le mettre au service de la croissance et de la désinflation. 
 

Algérie : la reprise du contrôle des finances publiques est incontournable pour appuyer la stabilité économique, contribuer à la croissance économique et favoriser l’emploi. 
 

Définir un cadre budgétaire sain et équitable sur le plan intergénérationnel (au bénéfice des générations futures) et des objectifs de viabilité budgétaire précis. 
 

Pour un pays disposant de ressources naturelles comme l’Algérie, l’indicateur qui rend compte de la santé des finances publiques est le ratio déficit global hors pétrole/PIB hors pétrole. Pour ce qui est de la trajectoire pour un retour à des finances publiques saines, et parmi les 3 approches existantes, celle du revenu permanent (comme cadre d’analyse intergénérationnel des dépenses au vu de la durée de vie des ressources naturelles) suggère un ratio déficit global hors pétrole/PIB hors pétrole de 10%. 
 

Un ajustement budgétaire significatif est incontournable pour restaurer la viabilité des finances publiques sur le moyen terme et faire face à la décarbonisation.  En 2022, ce déficit global hors pétrole a atteint 24,4% du PIB hors pétrole (FMI). En 2023, la remontée des prix du pétrole devrait contribuer à le maintenir plus ou moins au même niveau. De ce fait, le retour à la viabilité des finances publiques impliquera un ajustement budgétaire progressif de 14 points de pourcentage du PIB hors pétrole. Un effort considérable qui a besoin d’être étalé sur une période de 5-8 ans afin d’éviter l’austérité et un ajustement brutal pouvant compromettre la croissance et déclencher la déflation. 
 

Les réformes à mettre en place. Il serait souhaitable de : 
 

(1) se doter d’une stratégie globale et cohérente à long terme de croissance élargie et inclusive qui appuierait, en outre, une politique de désinflation ;  (2) de mettre en place des réformes profondes portant sur les recettes fiscales (politique fiscale, administration fiscale et douanière et avantages fiscaux), les dépenses courantes (rationalisation de la masse salariale et les subventions et transferts), des dépenses en capital (simplifier et renforcer l’efficience de la chaîne de gestion institutionnelle des investissements publics) et la structure de financement des déficits (combiner des sources variées stables afin d’éviter de bloquer la croissance économique) ;
et (3) des instruments de pilotage et des institutions de suivi et de gestion des finances publiques. 
Le renforcement du cadre budgétaire à moyen terme.  
 

(1) abandonner l’approche descendante du CBMT pour mieux intégrer les stratégies de dépenses des ministères ; 
(2) s’assurer que le champ du CBMT intègre toutes les opérations financières de l’administration financière pour disposer d’une vision globale de cette dernière ; 
(3) bien maîtriser les déterminants des coûts des programmes et actions sur la base de stratégies sectorielles détaillées ; 
(4) maîtriser les risques budgétaires à travers un travail d’évaluation de leurs impacts ; et 
(5) renforcer les capacités statistiques de l’administration financière couvrant les budgets et leur exécution (dont le tableau des opérations financières de l’Etat), la trésorerie et tous les états financiers. 
 

Les axes de réflexion au titre de la préparation de l’avant-projet de budget-programme pour 2024. 
La note d’orientation est détaillée et se place dans une perspective de remise en ordre des finances publiques sur le moyen terme. A juste titre, elle donne des orientions claires pour renforcer le recouvrement des recettes, rationaliser et améliorer la qualité et l’efficacité de la dépense publique et promouvoir la transparence.  Attendons donc le projet de loi de finances pour 2024.

 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international
 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.