Délinquance : Barbie arretée à chéraga en tenue de poupée chinoise

20/08/2023 mis à jour: 06:22
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Photo : D. R.

L’histoire a fait le tour d’Algérie puis du monde, un film de poupées est interdit pour «atteinte à la morale». Enquête sur le thriller de l’été.

Timing particulier, le 14 août s’ouvrait à Chéraga un nouveau multiplex, TVM, dans un centre commercial moderne, Garden City, au grand bonheur des cinéastes, spectateurs et distributeurs. Au programme, des films en sortie simultanée avec les USA et l’Europe, Oppenheimer ou le dernier Mission impossible et bien sûr Barbie.

Annoncé puis retiré, Barbie n’est plus au programme dès l’ouverture du cinéma, et le lendemain, 15 août, tous les autres films étaient retirés, les gentils agents de TVM avouant qu’ils n’ont rien compris à la manœuvre.

N’est resté ce jour-là aux amateurs de cinéma que La dernière reine qui n’a jamais aussi bien porté son nom, ironie du sort, c’est bien ce film qui avait été déprogrammé du festival du film engagé d’Alger en décembre sous la pression de l’ambassade turque à Alger, puis reprogrammé plus tard.

Mais que s’est-il passé ? Tout a commencé par quelques post sur les réseaux sociaux, entre autres celui du 12 août de Abdelali Mezghiche, journaliste culturel et ex de l’ENTV, également membre d’une commission artistique au ministère de la Culture, qui a chauffé le bendir et propagé la polémique qui n’en n’était pas une, puisque le film tournait depuis 3 semaines, avec 50 000 entrées déjà.

S’interrogeant sur la commission de visionnage qui l’a autorisée alors que le film est interdit au Koweit, au Pakistan, en Jordanie, en Arabie Saoudite aux Emirats et en Egypte, ce qui est faux en partie, il avoue au passage qu’il n’a pas vu Barbie. Le lendemain, à la veille de l’inauguration du multiplex, la direction du ministère envoie un courrier aux salles et au distributeur pour interdire le film, la ministre étant en congé.

Dans la foulée, le distributeur retire les autres films à part La dernière reine à cause de visas d’exploitation qui ne sont pas prêts, la commission de visionnage du ministère ayant donné son accord, y compris pour Barbie  en attendant le visa qui traîne souvent à cause de la bureaucratie et décale de fait la sortie en simultané mondial.

Bref, au centre commercial Garden City, les spectateurs sont déçus, mais le magasin de jouets Ben Toys propose un nouvel arrivage de poupées Barbie, entre 8000 et 13 000 DA, produit phare de Mattel qui la fabrique en Chine, société qui est aussi coproductrice du film Barbie.

Toujours à Garden City, on trouve des t-shirts Barbie, des chaussures Barbie, des cartables Barbie pour la rentrée mais pas de film Barbie, retiré sans aucun communiqué officiel du ministère compétent. L’inauguration du premier multiplex d’Alger a été bien gâchée, et la redynamisation du cinéma commence mal avec ce très mauvais signal adressé aux investisseurs et producteurs.

Les pays qui ont peur d’une poupée

Succès planétaire à plus de 1 milliard de dollars, ce qui en dit long sur le QI général de l’humanité, il faut pourtant relativiser, l’Algérie n’est pas le seul pays à censurer des films, et si le Koweit l’a retiré, ce n’est pas encore le cas du Liban, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite.

Aux Philippines, un examen du film a duré une semaine et un débat entre plusieurs ministères a été lancé dans ce pays à 92% chrétien, ce qui annule de fait la simpliste explication «barbus contre Barbie». Enfin au Vietnam, il a été interdit à cause d’une carte géographique d’enfant présentée dans le film où une ligne définit une zone contestée avec la Chine.

En Algérie, les cinéastes locaux ont dans leur majorité condamné la censure, même si une bonne partie d’entre eux qui vit en France n’a pas condamné l’interdiction de fait de Sound of silence, fiction sur les réseaux oligarchiques pédophiles.

Mais pour Barbie Algérie, les accusations de «offensant et attentatoire à la morale» ou «homosexualité» sont-elles fondées ? Il suffit en fait de sortir du centre commercial et d’aller au cybercafé du coin où le film est disponible en streaming et de le visionner, épreuve pénible pour une œuvre assez mauvaise dont on a du mal à comprendre le succès.

Minute 1, dans un remake de 2001 l’odyssée de l’espace, des fillettes cassent leurs poupées. La suite est en rose bonbon, dans un monde imaginaire plus ou moins dirigé par les poupées, un monde féérique bien qu’aucun des personnages n’ait d’organes génitaux, minute 26, Barbie et Ken quittent leur monde et entrent dans la réalité, minute 40, Barbie est traitée de fasciste, d’anti-écolo, de capitaliste et d’antiféministe, vague critique du patriarcat, la femme n’est pas un objet, encore moins une poupée, même si une poupée est aussi un objet.

Minute 60, coup d’Etat à BarbieLand, les hommes (les Ken) prennent le pouvoir, la Cedeao ne dit rien, minute 89, le film sombre dans une comédie musicale, Ryan Gosling frisant le ridicule, puis suit un vibrant et bref hommage aux femmes qui travaillent, élèvent leurs enfants, font la cuisine et le ménage.

Fin du film, Barbie sort de son corps de poupée et devient (presque) un être humain, tombe enceinte, ce qui laisse à penser (aucune image ou dialogue ne le montre) qu’elle a été dotée d’organes génitaux. C’est tout.

Honteux d’interdire un tel film, qui ne contient aucune scène de sexe, aucune atteinte à quoi que ce soit, aucun message sur l’homosexualité et même aucun gros mot, si tant est que ce soient des motifs d’interdiction.

Ceux qui sont à l’origine de cette ridicule censure du film ne l’ont donc pas vu.

Résultat 1, le fabricant Mattel, après le carton du film à l’écran, va relancer les ventes de ses poupées en chute de 23% depuis le début de l’année et va produire 14 films tirés de ses marques, dont Polly Pocket ou Hot Wheels.

Résultat 2, le multiplex fraîchement inauguré n’a rien gagné, le distributeur non plus, pas 1 dinar, et le gérant du cyber d’à-côté a gagné 100 DA.

La morale ? Chaque Algérien(ne) peut aller voir le film sur Internet, où celui qui gagne à la fin s’appelle Google. 

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