Défis démographique, économique et géostratégique et réformes structurelles en Algérie

03/10/2023 mis à jour: 02:07
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Les réformes structurelles sont incontournables en Algérie pour se doter d’un nouveau modèle de croissance économique et social inclusif et faire face aux nouvelles réalités géostratégiques. 

Une croissance économique faible (depuis des décades), une inflation des prix à la consommation et un endettement interne très élevés, des pressions sur le budget et le secteur externe (les récentes hausses de prix du pétrole créent un peu d’espace mais ne règlent rien) et des rigidités structurelles pèsent négativement sur le contexte macroéconomique actuel et les perspectives économiques à moyen et long terme du pays. 
 

Face à cela, l’Algérie doit évoluer en tenant compte : (1) de marges de manœuvre limitées en termes de politiques publiques, (2) d’une multiplicité d’objectifs de politique économique et (3) de changements structurels massifs au niveau mondial qui impactent l’économie du pays d’aujourd’hui et de demain. Les seuls leviers d’action pour construire la nouvelle économie dont le pays a besoin sont les réformes structurelles. 
 

Elles seules pourront contribuer à diversifier l’activité économique, améliorer le climat des affaires, prendre en charge les dommages structurels causés par la pandémie et adapter le pays aux grands enjeux géostratégiques et macroéconomiques internationaux de l’heure. Discutons de ces points. 
 

Pourquoi des réformes structurelles ?  
 

Les objectifs majeurs : (1) augmenter le potentiel d’offre à long terme : produire plus et mieux pour stimuler la production et la consommation, (2) accroître la résilience de l’ économie : c’est-à-dire sa capacité de réponse ou de rebond suite à des chocs externes (fréquents dans le monde contemporain) et (3) favoriser les arbitrages de politique économique face à des nouveaux défis stratégiques (exemple : consacrer des ressources pour maintenir des énergies fossiles pour les besoins du court terme ou bien miser sur les énergies du futur).  

Le besoin de hiérarchisation des réformes: Une étude récente du FMI propose de retenir les priorités suivantes : (1) en premier lieu toutes les réformes ciblant les rigidités structurelles les plus contraignantes pour libérer la croissance: 

(i) la gouvernance : gouvernance politique et économique ; qualité du cadre règlementaire ; efficience de l’administration ; prééminence du droit ; et contrôle de la corruption) ; (ii) le cadre réglementaire :  cadre administratif; impartialité de l’administration et coûts de la bureaucratie; et (iii) le secteur extérieur : libéralisation du compte courant, contrôle des capitaux, barrières tarifaires et non tarifaires et contrôles de change; ouverture financière ; et libre circulation des investissements ; et (2) en second lieu les réformes renforçant l’efficience des marchés du crédit et du travail : (i) marché du crédit : conditions d’octroi du crédit aux investisseurs privés ; contrôles sur les taux d’intérêt ; structure juridique des banques et des entreprises économiques ; et (ii) marché du travail : conditions de recrutement et libération de la main-d’œuvre et degré de centralisation du processus de négociation centralisée. 
 

Une bonne exécution des réformes structurelles est en mesure d’ouvrir la voie à : (1) un renforcement de la croissance économique : du fait de : (i) l’amélioration de la concurrence au niveau des marchés des biens et services et de la monnaie et des changes ; la hausse de la productivité du travail ; l’amélioration de l’offre de travail et l’investissement et la stimulation de la demande à court terme et (2) une amélioration des variables macroéconomiques intermédiaires : consécutive aux réformes portant sur la formation des prix et le contrôle des coûts de production (secteur réel),  les finances publiques (secteur budgétaire), les marchés financiers (meilleurs rendements obligataires), et le renforcement des canaux de transmission financiers (politique monétaire) et du secteur extérieur  (renforcement de la compétitivité extérieure, attrait des investissements directs étrangers et renforcement de la résilience du secteur extérieur aux chocs). 
 

Algérie : des réformes macroéconomiques et structurelles sont incontournables pour libérer la croissance, favoriser l’emploi et combattre la précarité.  
 

Point 1 : La situation actuelle :   
 

1. Un blocage de la croissance et de l’emploi en dépit d’investissements publics considérables. La croissance économique est passée de 3,3 % entre 2000-2019 à -5,1 % en 2020 (pandémie) avant de remonter à environ 3,5 % entre 2021-2022. Pendant cette période, le taux d’investissement annuel moyen avait atteint 32, 5 % du PIB et environ 36 % du PIB entre 2020-2022. Avec une consommation de crédits d’environ $440 milliards entre 2000-2019, la croissance aurait dû atteindre au moins 7%. 
 

Une perte de richesse d’environ $100 milliards. Pour ce qui est de l’emploi, les montants investis ont permis de créer 3,7 millions d’emplois par rapport à 7,9 millions d’emplois anticipés si les investissements publics avaient été réalisés efficacement (soit un manque à gagner de 4,2 millions d’emplois). De plus, le coût unitaire de chaque emploi créé est de $116,200 en moyenne (le double de la norme internationale applicable à l’Algérie). Enfin, notons que ces manques à gagner en termes de croissance et d’emplois ont entrainé la perte d’au moins 1-1,5 point de pourcentage du PIB de recettes fiscales nouvelles. 
 

Au cours de la même période, le chômage est passé, selon la Banque mondiale, de 29,77% en 2000 à 10,5 % en 2019 pour remonter à 12,25 % en 2020 et chuter à 11,55 % en 2022. En même temps, la population du pays est passée de 30,7 millions en 2020 à 45,6 millions en 2023, ce qui a limité la croissance du PIB par tête d’habitant qui a plafonné à $4246 en 2016 avant de retomber à $4153 en 2019, $3873 en 2020 et $3996 en 2022.  

Les facteurs de blocage de la croissance : 

En plus de la faible productivité du mix capital/travail et d’un développement technologique lent, notons en particulier : 

(1) l’inadéquation des politiques macroéconomiques : illustrées par des tendances à fin 2023 suggérant : 

(i) un creusement du déficit budgétaire hors hydrocarbures qui devrait se situer aux alentours de 25 % du PIB hors pétrole (par rapport à une norme de 10-12% du PIB hors pétrole, 

(ii) un tassement du surplus du compte courant de la balance des paiements qui passerait de 16 % du PIB en 2022 à 8-10% du PIB du fait d’un léger recul des recettes d’exportations du pétrole, (iii) une inflation qui devrait rester élevée à 10 % (par rapport à 1,9 % en 2019), source d’une crise aigüe du coût de la vie en raison de tensions sur l’offre de biens et de services, l’imperfection des réseaux de distribution et la dépréciation du dinar algérien et (2) des rigidités structurelles : dont une économie caractérisée par une part importante de l’état dans la formation de la valeur ajoutée (40%) et une forte domination des hydrocarbures dans l’activité réelle, la fiscalité et les exportations ; une prééminence des entreprises et banques publiques, un climat des affaires affaibli par des obstacles structurels internes qui ne favorisent pas le véritable entreprenariat, et une faible ouverture commerciale et financière et (3) des financements très limités par rapport aux besoins nécessaires pour reconstruire un nouveau modèle de croissance : le financement des chocs successifs depuis 2014 à nos jours a privé le pays de ressorts financiers domestiques et extérieurs indispensables pour construire seul un nouveau modèle de croissance. Dans ces conditions, il va falloir se tourner vers l’extérieur pour la mobilisation des ressources dont le pays aura besoin pour financer les réformes. Ce qui impliquera la préparation de bons dossiers d’emprunts, la disponibilité d’une feuille de route pour intéresser des partenaires (bilatéraux, entreprises internationales et institutions régionales et multilatérales).

Point 2 : Pourquoi faire des réformes ? Deux grands défis majeurs : (1) libérer la croissance économique au moment où la part du pétrole ira en baissant sur le moyen terme du fait du mouvement international de décarbonation, (2) faire face au bond démographique du pays : la population de l’Algérie devrait atteindre 60,9 millions en 2050, soit une forte augmentation de 15,1 millions de personnes en l’espace d’un quart de siècle, avec une hausse de la part de la tranche de la population en âge de travailler et (3) s’ajuster économiquement pour protéger le pays d’un paysage économique mondial instable du fait de prix plus élevés, d’une volatilité accrue sur les marchés financiers, de la fragmentation de l’économie en blocs concurrents et de la relocalisation des IDEs, du vieillissement des populations, de la montée effarante des dettes publiques de nombreux pays dans le monde et de la transition vers une économie plus verte.

Point 3 : L’Algérie doit booster sa croissance potentielle pour atteindre 7-8% afin d’absorber le stock de chômeurs actuels (environ 1,5 million de chômeurs dont une grande partie en longue durée, ce qui est un élément préoccupant) et absorber les flux annuels de demandeurs d’emplois (environ 250 000). Cet objectif est à la portée du pays (vu ses dotations en ressources naturelles et humaines) pour peu que des réformes bien définies et articulées dans une vision 2050 soient étalées dans le contexte de stratégies décennales servant de base à des plans d’action réalistes et quantifiés triennaux glissants.

Point 4 : quels axes de réformes structurelles? Conformément à une vision 2050 devant hisser le pays au rang de pays émergent, il serait souhaitable que le pays se dote d’une stratégie à long terme à trois niveaux qui viserait consécutivement à mettre en place des réformes cohérentes et bien séquencées autour de trois axes: (1) un axe macroéconomique devant assainir les fondamentaux économiques : ce dernier est incontournable.

 Il implique un budget sous contrôle, une inflation maitrisée et un déficit de la balance des paiements raisonnable, éléments nécessaires pour favoriser l’investissement, ouvrir la voie à la croissance, créer des emplois et réduire les inégalités sociales, (2) un axe structurel complémentaire et cohérent avec l’axe macroéconomiques : avec un double objectif : 

(i) renforcer la qualité de la politique macroéconomique (réformes sur les recettes, les dépenses, le processus et cadre budgétaire pour réhabiliter le budget en tant qu’outil de gestion macroéconomique et les statistiques macroéconomiques), (ii) relancer l’investissement privé productif, inclure les femmes dans le marché de l’emploi, améliorer l’accès au financement, mettre en place un système financier moderne et lutter contre la corruption pour rétablir la confiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics et s’approprier les réformes, et renforcer la résilience de l’économie aux chocs extérieurs et intérieurs et (3) un axe sectoriel : visant à moderniser et diversifier l’économie algérienne en pariant sur le vert, le bleu et le numérique afin d’accroitre la productivité et les activités à forte valeur ajoutée.

Point 5 : Comment exécuter les réformes structurelles ? (1) se doter d’outils de projection, de pilotage, d’évaluation et de contrôle, notamment :  (i) un cadre macroéconomique à moyen terme (qui fixe des objectifs chiffrés macroéconomiques et structurels) sur le moyen terme, (ii) un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) qui définit, sur la base d’hypothèses économiques réalistes et sur une période minimum de trois ans, l’évolution de l’ensemble des dépenses et recettes des administrations publiques, le besoin ou la capacité de financement de ces dernières, des éléments de financement et un niveau global d’endettement financier de l’état (des agrégats de pilotage très importants) et (iii) des cadres de dépenses à moyen terme : établis sur la base du CBMT et décomposant sur une période minimum de trois ans les grandes catégories de dépenses publiques, par nature, par fonction et par ministère. 

Un complément indispensable d’une très grande efficacité qui injecte une dose puissante de discipline dans les finances publiques, (2) des instruments de mesure des performances passées et de projection (indicateurs économiques, financiers et sociaux ou tableau de bord). Ils sont essentiels pour calculer et prévoir les performances économiques actuelles et futures et (3) un suivi de l’exécution des réformes : ce qui demande un cadre institutionnel adapté, qui comprendrait notamment un comité technique de mise en œuvre des réformes (CTR), regroupant des représentants des diverses administrations économiques et opérant sous l’autorité d’un comité politique stratégique (CPS) dont le rôle est de définir la stratégie et amender, le cas échéant, les politiques et programmes d’action. Le CTR produit mensuellement un tableau d’indicateurs économiques et financiers de base et des rapports trimestriels sur l’exécution des réformes. 

Ces documents sont transmis au comité politique afin de briefer les autorités politiques, la nation et les partenaires. 

Un décret présidentiel définira la composition, les modalités de fonctionnement et les sources primaires de statistiques qui alimenteront le CTR. Un autre décret présidentiel définira les missions, les modalités de fonctionnement ainsi que la composition du CPS. 

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international

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