La question de la présence des Africains dans la ville de Sfax, cité côtière située à 270 km au Sud de Tunis, a suscité davantage d’intérêts ces dernières 48 heures avec le décès d’un autochtone poignardé par des Africains, selon des caméras de surveillance. Sfax accaparait déjà les attentions puisque c’est à partir de ses côtes que partent la majorité écrasante des tentatives de migration irrégulière.
Et ce n’était point par hasard que le Président tunisien Kais Saïed a fait un déplacement le 10 Juin 2023 et rencontré des Subsahariens dans leur marché sous les remparts de la vieille ville.
Saïed voulait lancer des signaux à la veille de la venue de la présidente de la commission européenne Von Der Leyne en Tunisie pour débattre de la question migratoire.
Deux semaines plus tard, le 25 juin, le parti Destourien y a organisé une manifestation contre la présence chaotique des Subsahariens.
La ville de Sfax couvait donc une énorme tension ces derniers mois entre locaux et subsahariens, alors que le courant passait normalement entre les deux communautés depuis les débuts de l’arrivée des Africains dans la ville à partir de 2013.
Le facteur principal de la montée de la tension serait, selon Habib, militant de la société civile, que «les habitants de la région ne trouvent plus d’intérêt dans la présence d’Africains dans leur ville». Habib explique qu’au début, en 2013-2014, les «Africains» étaient dociles, bosseurs, disciplinés et respectueux des autochtones.
«Ils représentaient une manne aussi bien pour les usines qui les faisaient travailler au noir, que pour les mafias de la migration clandestine, qui leur organisaient des traversées», ajoute le militant des droits de l’homme.
Plein de dépassements ont été enregistrés à l’encontre de cette population, comme l’exclusion du travail sans paiement, les abus sexuels, alors que les victimes ne pouvaient porter plainte, étant en situation irrégulière.
Pourquoi Sfax ?
Le Président Saïed s’est interrogé dans son allocution lors de sa réunion du 4 Juillet, avec le ministre et les hauts cadres du ministère de l’Intérieur, sur les raisons derrière le choix de la ville de Sfax.
Il a accusé des réseaux mafieux d’exploitation de la misère de ces populations déportées et d’atteinte à la paix civile en Tunisie. La réponse au président tunisien serait complexe puisqu’elle réunit plusieurs facteurs.
D’abord, concernant le début de leur présence, c’était une réponse au besoin à Sfax d’une main-d’œuvre bas prix face au souci d’un gagne-pain chez ces Africains. Cela a commencé en 2013-2014 avec les fuyards du camp de Choucha des réfugiés venant de Libye. Les intérêts étaient partagés au début.
La situation a ensuite évolué, notamment ces deux dernières années avec une meilleure connaissance des lieux de cette communauté africaine qui s’est organisée et devenue maîtresse de son sort. Les Africains planifient désormais seuls leurs traversées vers l’Italie.
Des pages Facebook sont désormais dédiées aux diverses activités. Les Africains disposent d’un marché sous les murailles de la vieille ville ainsi que de crèches pour leurs enfants. Ils disposent même d’une instance assimilée à un tribunal et ils appliquent les châtiments infligés aux fautifs.
L’équilibre du départ a été donc rompu entre les locaux et cette population devenue encombrante en ces temps de crise, selon Habib. Les locaux ne trouvent donc plus d’intérêts derrière cette présence encombrante, d’où les récentes tensions.
Le Président tunisien a tracé les grandes lignes de sa politique en la matière, en insistant que «la Tunisie n’est ni une terre de transit ni d’accueil à ces populations et que leur présence doit se faire dans le cadre de la loi tunisienne». Kais Saïed a surtout insisté sur la nécessité de respecter les législations en matière de location et emploi des étrangers.
Lesquels propos ont été régulièrement répétés par Saïed depuis février dernier. Il les a affirmés à la présidente de la commission européenne, Von Der Leyne, et à la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, lors de leurs passages à Tunis. Mais, quelle serait la solution ?
Les événements de février dernier suite aux craintes suscitées par les propos du Président tunisien à l’encontre des Africains, montrent clairement, qu’au-delà des paroles, les gouvernements africains ne sont pas disposés à rapatrier leurs citoyens venus en Tunisie.
Après plein de tapage médiatique, seuls 287 Ivoiriens et 135 Maliens ont été rapatriés. Les concernés, eux-mêmes, ne veulent pas rentrer chez eux.
Ils ont fait un sit-in devant les locaux de l’UNHCR pour les rapatrier dans les pays du Nord. Or, ils ne sont pas considérés comme des réfugiés, selon les normes de l’organisation onusienne.
Il y a donc un véritable problème nécessitant l’apport de tous les intervenants, à partir des pays pourvoyeurs de migrants irréguliers, les pays de transit et les pays du Nord, potentielles destinations.
D’où la proposition de Giorgia Meloni d’organiser une conférence internationale sur la migration irrégulière.
Pareille conférence pourrait mettre les premiers jalons d’une réponse, si l’on puisse résoudre la question de fonds nécessaires au développement des pays du Sud.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami