Ravi aux siens de manière imprévue malgré quelques soucis de santé, l’homme a consacré toute sa vie au théâtre dans sa conception la plus large, c’est-à-dire, incluant les aspects formation, organisation d’événements et de festivals, etc.
Son engagement était total et entier et même, pourrait-on dire, désintéressé dans la mesure où il ne courrait ni derrière les feux de la rampe ni derrière les avantages.
Ses interventions dans les débats, ayant trait au théâtre en particulier ou à la vie artistique en général, démontre une hauteur de vue mais surtout une honnêteté intellectuelle qui fait qu’il était toujours à l’aise dans les débats contradictoires, des qualités que ses pairs lui reconnaissent.
Il avait une vision inclusive de «la culture nationale», car il était et depuis longtemps contre toute forme de marginalisation, y compris durant la période du parti unique. Il faut dire qu’il a été à la bonne école en tant que sociétaire du célèbre TTO, le théâtre des travailleurs d’Oran, 44 ans durant.
Fondé en 1977 par son animateur principal Laidi Ahmed, ce théâtre était à un moment l’antichambre du TRO et était très actif y compris en termes de production d’œuvres originales. Fadel a participé en tant que comédien principal à tous les travaux réalisés à cette époque, à l’instar de Oued El Khir, El Guetna, Laryah, Zman, etc.
En 1986, fort de son expérience en tant que comédien, il passe à la réalisation avec El Amouadj faisant à son tour participer ses camarades de la troupe avant de passer, juste après, à l’écriture pour, au bout du compte, se retrouver avec pas moins de 16 pièces dont ses préférées Zhaymar et El Fidai auxquelles il ajoute Djenat madjnoun. Des œuvres à dimension humaine et universelle indéniable.
C’est justement la dimension humaine caractérisant le défunt qui l’a amené à sauvegarder la troupe du TTO après le départ de son animateur principal. «La troupe a failli se disperser et c’est lui qui a tout fait et réussi à la maintenir en activité», se remémore Mohamed Mihoubi, son complice, très peiné. «Je revois aujourd’hui les plus de 40 ans que nous avons passés ensemble au sein de cette association. J’avais 10 ans et lui environ 14 quand nous avons débuté.
Fadel était d’abord un très bon comédien et il faut le voir, avec sa voix hors du commun, interpréter devant nous des passages de Homk Salim de Alloula ou de la pièce El Khobza pour s’en convaincre. Son amour pour le théâtre était immense et son talent d’écriture était doublée de sa maitrise de la langue, notamment cette troisième langue théâtrale faisant la jonction entre l’arabe classique et le parler populaire.» Avec l’ouverture démocratique de la fin des années 1980, le TTO est devenu l’association El Amel qui a élu domicile dans les mêmes locaux situés sur la rue Mbarek El Mili et dont, en toute logique, Fadel en est devenu le président.
Les deux complices travaillaient la main dans la main pour monter des spectacles en inversant parfois les rôles entre écriture et interprétation. On ne mesurera jamais assez la contribution de cette association à animer la scène oranaise durant et après la décennie noire.
Certes, les portes du TRO lui étaient souvent ouvertes mais les initiatives de l’association étaient aussi nombreuses que diverses pour ne citer que les journées du rire et les huit éditions d’un festival de théâtre ayant permis à des troupes d’amateurs venant de plusieurs régions du pays de se présenter à Oran.
Cela n’a pas toujours été facile mais les relations nouées dans le monde artistique et les rapports de confiance établis ont permis d’organiser des événements avec très peu de moyens. Fadel avait aussi des talents en tant qu’organisateur.
Aussi, comme au temps du TTO, l’association El Amel, sous sa présidence (mais ça continue), a largement rempli sa mission dans le domaine de la formation. «Beaucoup de jeunes qui ont percé dans le domaine sont passés par cette école mais il faut toujours garder à l’esprit le fait que même si on en fait pas un métier où qu’on n’arrive pas à réussir, la formation dans le domaine du théâtre est toujours utile à la construction de l’individu», explique Tayeb Ramdane, comédien et metteur en scène.
Il est un des acteurs du syndicat des comédiens de théâtre et de cinéma de la wilaya d’Oran que dirigeait jusque-là le défunt, soucieux de la condition sociale des artistes et confortant ainsi son humanisme profond. Il avait participé à la journée d’information autour de la promulgation du statut particulier de l’artiste organisée il y a un peu plus d’un mois au palais de la culture Zedour Brahim.
En parallèle, Fadel a également entamé une expérience cinématographique en réalisant des courts métrages qui ont été programmés dans certains festivals à l’échelle nationale mais il n’a pas laissé de côté sa passion pour le théâtre car, en plus d’avoir déposé un projet pour une pièce dans le but de bénéficier d’une subvention du ministère de la culture, il avait également envisagé de monter un spectacle basé entièrement sur le mime.
Il est du genre à ne pas se plaindre et parmi ses amis proches en dehors du cercle des artistes, Hamid, bouquiniste, évoque «un homme dévoué, connu pour son franc parler, mais qu’on n’a pas considéré à sa juste valeur».