Grâce à ses vastes ressources ovines, l’Algérie possède un potentiel considérable pour devenir un acteur clé dans l’industrie mondiale du cuir. De grandes quantités de peaux de mouton sont générées à longueur d’année avec une production exceptionnelle le jour de l’Aïd. Malheureusement, une partie infime de ces flux générés aboutit dans des installations de valorisation entraînant une déperdition d’une matière première à grande valeur ajoutée pour l’économie nationale.
Certains attribuent cette défaillance à une mauvaise organisation de la collecte, donc à la commune. Les peaux de mouton sont classées comme déchets spéciaux et nécessitent une gestion différente de celle des déchets ménagers. Bien que la commune soit responsable de l’hygiène publique, elle ne peut être tenue seule responsable de cette situation en l’absence d’une réelle implication de nombreux autres acteurs.
Cette situation est principalement due à la non-implémentation effective de la filière des peaux de mouton. Une filière implique également une gouvernance, des aspects techniques et organisationnels, des considérations économiques et des responsabilités partagées entre différents acteurs. Il est donc nécessaire de comprendre les enjeux et les contraintes pour mieux agir. Cette contribution vise à éclairer les décideurs pour la mise en place effective de la filière des peaux de mouton et l’organisation de leur gestion, notamment celle issue du sacrifice de l’Aïd.
Critères Essentiels pour une Valorisation Réussie des Peaux de Mouton !
Pour garantir que les peaux de mouton soient aptes au recyclage, elles doivent répondre à des critères techniques essentiels, assurant ainsi la préservation de leur qualité et intégrité durant le sacrifice, la collecte, le transport et le traitement.
Actuellement, le sacrifice tel qu’il est pratiqué ne permet pas de respecter ces critères, constituant ainsi le principal obstacle à la valorisation des peaux de mouton dans les unités de production de cuir. Par conséquent, la majorité des peaux récupérées durant la journée de l’Aïd ne seront probablement pas aptes pour un processus de valorisation.
Pour être recyclables, les peaux de mouton doivent être dépourvues de saleté, de fumier et d’autres contaminants, car toute matière étrangère peut entraver le processus de recyclage et réduire la qualité du produit final. De plus, les peaux doivent être correctement conservées, généralement par salage ou refroidissement, pour empêcher la croissance bactérienne et la décomposition, garantissant ainsi leur bon état jusqu’au traitement.
L’épaisseur et la flexibilité des peaux sont également des critères de qualité. Les peaux doivent avoir une épaisseur uniforme et conserver leur flexibilité, car les variations d’épaisseur peuvent entraîner des résultats de traitement incohérents, tandis que la flexibilité est essentielle pour les étapes de fabrication ultérieures. De plus, les peaux recyclables doivent pas présenter de trous, de coupures et d’autres dommages physiques, car ces défauts peuvent compromettre leur intégrité et leur utilisabilité.
La teneur en graisse et en chair doit être minimisée ou éliminée, car une teneur élevée peut poser des problèmes lors du traitement chimique et affecter la qualité du matériau recyclé. La teneur en humidité doit également être contrôlée pour éviter une déshydratation excessive et une humidité excessive, qui peuvent toutes deux entraîner la détérioration des peaux. Le pH doit être régulé pour prévenir la détérioration et assurer la compatibilité avec les processus de recyclage et les produits chimiques utilisés.
Il est également nécessaire que les peaux ne soient pas exposées à des produits chimiques nocifs, y compris les pesticides et les sels inorganiques, qui peuvent affecter leur qualité ou sécurité pendant le recyclage.
En respectant ces critères techniques, le recyclage des peaux de mouton peut être réalisé de manière efficace, conduisant à la production de produits recyclés de haute qualité.
Défis et opportunités de la valorisation des peaux de mouton issues du sacrifice traditionnel
La tradition culturelle et religieuse du sacrifice de moutons engendre une participation massive des citoyens, créant ainsi un potentiel élevé de production de peaux de mouton. L’habitude de pratiquer le sacrifice à domicile renforce cette production.
Par ailleurs, la présence d’un parc industriel demandeur de peaux de mouton assure une demande stable et importante pour ces matières premières. Cependant, l’absence d’organisation en matière d’abatage techniquement viable et l’inefficacité des systèmes de collecte des peaux posent un problème majeur.
Le non-respect des normes sanitaires et techniques lors des sacrifices impacte la qualité des peaux, entraînant ainsi une perte significative de matériaux qui pourraient être utilisés par l’industrie du cuir. Résultat, la majorité des peaux de mouton finissent dans les décharges publiques.
Le développement d’une filière économique autour de la valorisation des peaux de mouton représente une opportunité notable, notamment par le biais de partenariats avec les industriels du cuir pour investir dans des infrastructures de proximité.
Toutefois, plusieurs défis peuvent entraver ce développement. La résistance possible au changement des habitudes traditionnelles de la population constitue un frein potentiel. De plus, le manque de coordination entre les parties prenantes pour l’organisation de la filière est un obstacle non négligeable. Enfin, la production exceptionnelle de peaux de mouton en une seule journée pose un défi logistique majeur pour les communes, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour y faire face.
Organiser la filière des peaux de mouton en Algérie : Les préalables
Pour structurer efficacement cette filière et tirer profit de ce potentiel, il est nécessaire d’adopter une démarche concertée et adaptée au contexte national.
Tout d’abord, il faut instaurer et diffuser des normes techniques et sanitaires strictes pour l’abatage, la collecte, le transport et le traitement des peaux de mouton. Ces normes garantiront que les peaux produites répondent aux exigences des marchés nationaux et internationaux, augmentant ainsi leur valeur commerciale.
Encourager l’innovation en soutenant la recherche et le développement de nouvelles technologies est fondamental. La mobilisation des start-up pour l’identification de solutions à l’abattage traditionnel, par la conception et le déploiement d’un parc d’abattoirs mobiles et de proximité, peut transformer la filière.
Mettre en place des politiques incitatives pour encourager les éleveurs et les industriels à investir dans la filière des peaux de mouton est nécessaire. Ces incitations peuvent inclure des subventions, des allégements fiscaux et des prêts à faible taux d’intérêt.
De telles mesures stimuleraient les investissements et dynamiseraient la filière.
Favoriser les partenariats entre les secteurs public et privé est une autre stratégie clé. Encourager les collaborations pour attirer des investissements, améliorer les infrastructures et apporter des compétences et technologies modernes est indispensable pour le développement de la filière. Ces partenariats peuvent également faciliter le transfert de savoir-faire et l’accès à de nouveaux marchés, assurant ainsi une croissance durable et inclusive pour la filière des peaux de mouton en Algérie.
En mettant en œuvre ces axes majeurs, l’Algérie peut non seulement renforcer sa position dans l’industrie des peaux de mouton, mais aussi créer de nouvelles opportunités économiques et sociales et améliorer la durabilité de cette filière vitale.
Du sacrifice à la valorisation : Une feuille de route pour une filière des peaux de mouton durable et respectueuse des traditions
Pour structurer efficacement la filière des peaux de mouton en Algérie, plusieurs actions prioritaires doivent être entreprises de manière coordonnée et harmonieuse.
Tout d’abord, il sera nécessaire de développer des campagnes de communication qui valorisent l’importance culturelle et économique d’une bonne gestion des peaux de mouton. Ces campagnes doivent sensibiliser la population aux bénéfices économiques et sociaux d’une gestion effective des peaux.
L’implication des imams et de la société civile est nécessaire pour faciliter l’acceptation des nouvelles pratiques par la population. En s’appuyant sur l’aspect culturel du sacrifice, ces acteurs peuvent motiver les citoyens à adopter des approches plus respectueuses et efficaces. Les messages de sensibilisation doivent intégrer les valeurs culturelles pour être plus percutants.
Ensuite, il est indispensable de mettre en place des programmes de formation et d’accompagnement pour les citoyens et la société civile, afin d’améliorer les pratiques de sacrifice et les rendre techniquement viables.
La création de partenariats entre les communes et les industriels du cuir est essentielle pour financer des espaces d’abattage de proximité dans les zones à forte production, réduisant ainsi les pertes et améliorant la qualité des peaux collectées. La mise en place d’un système local de collecte et de valorisation des peaux, incluant des points de collecte et des unités de prétraitement locales ou régionales, est également prioritaire pour alimenter efficacement l’industrie du cuir.
Pour garantir la conformité aux normes sanitaires et environnementales, il est impératif de renforcer la réglementation et les contrôles. La mise en place de régulations strictes et de mécanismes de contrôle assurera le respect des standards requis. La réactivation du rôle des bureaux d’hygiène communaux est toute indiquée.
Enfin, l’implication des industriels du cuir est une condition sine qua non pour relever durablement les défis de la filière. Leur expertise technique et leurs contributions financières seront des atouts majeurs pour développer les infrastructures nécessaires et créer une véritable filière économique autour de la valorisation des peaux de mouton.
En adoptant une feuille de route autour de ces axes stratégiques, il sera possible de transformer la gestion des peaux de mouton en une activité économiquement viable. Cette approche permettra de renforcer et d’alléger la mission des communes en matière d’hygiène publique, tout en accompagnant les citoyens dans le respect des traditions culturelles et en répondant aux besoins des différentes parties prenantes.
Pour aller de l’avant !
L’actuelle gestion des peaux de mouton, particulièrement mise à l’épreuve lors de l’Aïd, représente une opportunité non exploitée pour l’économie nationale. Cette situation résulte principalement d’une organisation insuffisante de la collecte et du prétraitement des peaux, ainsi que de l’absence d’une filière structurée et bien gouvernée.
Pour surmonter ces défis, il est fortement recommandé d’élaborer une feuille de route stratégique et de mettre en place une gouvernance adaptée pour piloter et mettre en œuvre la filière des peaux de mouton. Cette démarche permettra non seulement de valoriser cette matière première précieuse mais aussi de renforcer la mission des communes en matière d’hygiène du milieu durant les fêtes de l’Aïd.
Les pouvoirs publics ont créé, en 2002, l’Agence nationale des déchets afin de promouvoir les filières des déchets (cf. article 67 de la loi 01-19) et d’accompagner les collectivités locales (cf. article 5 du décret exécutif 02-175). Pour mettre en œuvre et réguler la filière des peaux de mouton, l’Agence nationale des déchets est l’outil de l’État désigné pour assurer la coordination entre les différentes parties institutionnelles, opérationnelles et économiques.
Par Karim Ouamane , ancien DG de l’AND