Il faisait encore nuit quand Etidal Al Masri est arrivée devant une boulangerie du sud de Rafah, dans l'espoir d'obtenir suffisamment de pain pour nourrir ses proches, tous chassés de leurs maisons par les bombardements.
Cette mère de famille a fui la région nord de Beit Hanoun, pour chercher refuge dans une école gérée par l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), mais elle a du mal à se procurer le minimum pour se nourrir. «Ayez pitié de nous, je suis ici depuis ce matin et à cause de toute cette pagaille, mon tour n'est pas encore arrivé», lance-t-elle à l'adresse d'un des vendeurs dans la boulangerie. «Nous dormons les uns sur les autres dans l'école, parce qu'il y a énormément de personnes déplacées», ajoute Mme Al Masri.
Plus de la moitié des habitants de la bande de Gaza, soit 1,4 million de personnes, ont quitté leurs logements depuis le début de la guerre, le 7 octobre. Une quarantaine de boulangeries ont été détruites par les frappes aériennes israéliennes durant la même période, selon le service de presse du gouvernement du Hamas. Des centaines de personnes attendaient, hier matin, devant la boulangerie Al Quds à Rafah, a constaté un journaliste de l'AFP.
Outre les bombardements, le fonctionnement des boulangeries était entravé par le manque de carburant qu'Israël refuse de laisser entrer dans la bande de Ghaza, en dépit de nombreux appels des organisations humanitaires. «Vous pouvez faire la queue pendant des heures et au bout du compte, vous pouvez ne pas avoir de pain», se lamente l'un des clients dans la file, Mohammed Qaranawi, qui héberge 25 personnes chez lui.
Selon le président de l'association des propriétaires de boulangeries de la bande de Ghaza, Abdoul Nasser Al Ajrami, 60% de ces commerces essentiels sont hors service. «Nous avons du mal à nous approvisionner en farine, en gaz et en électricité», a-t-il déclaré, «beaucoup d'employés ne peuvent tout simplement pas se rendre aux boulangeries à cause des bombardements».
Pour Souleimane Al Houli, propriétaire d'une boulangerie, les scènes de foule se bousculant dans l'espoir de se procurer du pain «sont pires que ce que nos grands-pères ont vécu pendant la Nakba», terme qui désigne l'expulsion de plus de 760 000 Palestiniens de leurs terres lors de la création d'Israël en 1948. «Je suis bouleversé, je ne peux pas donner du pain à tout le monde.
La boulangerie fonctionne manuellement et ne produit que 30 fournées par heure... C'est bien moins que ce dont les gens ont besoin», déclare ce boulanger. Aïcha Ibrahim, 39 ans, affirme avoir fait la queue devant deux autres boulangeries «depuis 5 heures et demie du matin», avant de venir tenter sa chance devant celle de M. Houli. Le Programme alimentaire mondial a qualifié, vendredi, les conditions de vie à Ghaza de «désespérées à un point inimaginable». «Le PAM comptait sur 23 boulangeries pour nourrir 220 000 personnes par jour et seulement deux sont fonctionnelles», a déclaré la porte-parole Shaza Moghraby aux journalistes.
Alors que des convois d'aide humanitaire ont atteint Ghaza- leur volume étant néanmoins jugé terriblement insuffisant par l'ONU- aucun carburant n'a pu être importé. Sami Salman Al Houli, un employé de boulangerie, raconte que des milliers de personnes commencent à se masser aux portes du commerce à partir de cinq heures du matin.
«Nous ne pouvons servir que 300 personnes seulement», témoigne le trentenaire, «j'essaie de donner un sac de pain seulement à chaque client pour servir le plus grand nombre possible». «Je suis terrifié à l'idée que notre boulangerie soit frappée comme d'autres l'ont été à Ghaza-ville et ailleurs», confie-t-il.