Première réunion avant-hier de la commission économique et sociale pour la Constitution de la Nouvelle République. Le clan du président Saïed avance ; l’opposition essaie d’organiser sa riposte. La centrale syndicale UGTT tâtonne.
La commission consultative, économique et sociale pour la nouvelle République a tenu, avant-hier, sa première réunion, sous la présidence du doyen Sadok Belaïd. «42 personnalités étaient présentes sur les 45 invitées, malgré les diverses pressions», a constaté Belaïd, en remarquant que «la porte est toujours ouverte à leur participation et leurs contributions». La prochaine réunion est prévue pour samedi 11 juin.
Toutes les personnalités présentes ont été appelées à formuler, sur une page et dans les 72 heures, leurs conceptions économiques et sociales de la Tunisie dans 40 ans ainsi que les institutions pour réussir.
Le doyen Sadok Belaïd, président de la commission consultative pour la nouvelle Tunisie, est chargé de remettre un projet de Constitution au président Saïed, avant le 22 juin courant, pour permettre une campagne d’explication du contenu du référendum, prévu le 25 juillet 2022. L’appel des citoyens au vote a été publié au JORT le 26 mai, soit avant les 60 jours réglementaires.
Concernant la commission consultative, le doyen Belaïd a expliqué aux médias, après la réunion d’avant-hier, que «cette structure était chargée de préparer une Constitution et non pas de conduire un dialogue national, tel qu’évoqué par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ; le différend est politique entre l’UGTT et le pouvoir. Mais, l’UGTT reste toujours la bienvenue à l’élaboration de cette Constitution».
Cela n’a pas empêché Belaïd d’expliquer sa démarche. «Si chacun va commencer à poser des conditions, je n’aurai jamais pu regrouper 42 personnes et se réunir durant quatre heures», a-t-il dit.
Concernant le prétendu populisme dans le projet de Constitution, le doyen Belaïd a assuré : «Je présenterai le texte que je jugerai le mieux adapté et le meilleur pour le pays. J’ai moi-même un regard critique sur tous les systèmes et le chef de l’Etat n’a jamais évoqué la gouvernance par les bases.»
Par ailleurs, le doyen Belaïd a révélé que des experts tunisiens de renommée internationale ont été sollicités pour proposer le meilleur modèle économique pour le pays, et ils ont tous soumis leurs propositions.
Parmi les présents, comme l’ex-député Mongi Rahoui, présent dans tous les Parlements après 2011, a siégé à la réunion, malgré le refus du parti Watad, auquel il appartient.
Le président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), Jamel Messallem, était également présent, suite à l’aval du conseil national de la LTDH. La centrale patronale, Utica, était représentée par son président, Samir Majoul, tout comme l’Union nationale de la femme, représentée par sa présidente, Radhia Jerbi. C’est dire que des acteurs actifs sont présents dans cette commission.
Opposition
La marche de Saïed vers son référendum du 25 juillet s’accompagne toutefois de réactions opposées, exprimées par l’UGTT, favorable au mouvement du 25 juillet 2021 mais absente lors de la réunion de la commission économique du référendum.
Le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi, l’une des lieutenants de Zine El Abidine Ben Ali, s’oppose, lui-aussi, avec des partis au pouvoir durant la récente décennie, notamment les islamistes d’Ennahdha, au prochain référendum.
Toutefois, la centrale syndicale, UGTT, exprime son soutien à la dissolution du Parlement et se dissocie des anciens gouvernants, les accusant des maux vécus par la Tunisie durant la décennie après 2011. L’UGTT veut participer plus activement à l’édification de la nouvelle Tunisie.
Par contre, l’opposition articulée autour des partis politiques s’attache aux institutions dissoutes par le président Saïed, comme le Parlement, le Conseil supérieur de la magistrature ou l’ancienne ISIE, et appelle à un dialogue national et des élections anticipées.
A cet effet, le Front de salut national, constitué par Ennahdha et des partis satellites, est favorable à l’élaboration d’un programme d’urgence et l’installation d’un gouvernement de salut national, selon les dires d’Ahmed Nejib Chebbi, président de ce front.
Par ailleurs, le président d’Ennahdha et ex-président du Parlement, Rached Ghannouchi, a considéré, dans une déclaration hier à Radio mosaïque, à Sfax, en marge des festivités du 41e anniversaire de la naissance de son parti, que «la principale tâche du moment, c’est de libérer la Tunisie du putsch et revenir à la Constitution et au respect de la loi».
Ghannouchi a ajouté que le président Saïed et Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre, constituent les deux faces d’une même monnaie. «Les deux se rejoignent dans l’exclusion et le rejet de ceux qui ne partagent pas leurs points de vue», a-t-il assuré.
Pareils propos, en changeant de cibles, ont été repris par Hamma Hammami, le leader du Parti des travailleurs (PT). «Rien n’a changé lors du passage de l’ère Ben Ali à la dernière décennie d’Ennahdha», a-t-il déclaré, lors d’une réunion du Front national contre le référendum, composé du PT, extrême gauche, avec Ettayar, Ettakattol, Al Joumhouri et Al Qotb, des formations de centre gauche.
Pour sa part, Abir Moussi considère qu’«Ennahdha et Kaïs Saïed constituent les deux faces du même médaillon». C’est dire combien l’opposition au président Saïed est divisée, lui donnant des chances sérieuses pour réussir son référendum.
Appel à une grève d’une semaine des magistrats à partir d’aujourd’hui
Le conseil national de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), tenu samedi 4 juin, en présence d’une partie des 57 juges récemment révoqués, a appelé à une grève d’une semaine, à partir d’aujourd’hui.
L’AMT a appelé à bloquer le service de la justice, en réaction aux récentes décisions du président de la République, l’accusant de «chercher à asservir la justice».
Certains parmi les juges révoqués ont pris la parole, accusant les décisions présidentielles de partialité, «parce que nous n’avons pas appliqué les consignes», ont-ils commenté, en insistant sur leur opposition à «la méthode de travail des représentants du pouvoir politique et des forces de police».
L’appel à la grève de l’AMT a rencontré l’opposition des partisans du président Saïed dans le secteur, qui ont appelé à l’application des dispositions de l’article 9 du décret n°2022-11 du 12 février 2022, relatif à la création du Conseil supérieur provisoire de la magistrature, qui affirme qu’il était interdit aux magistrats de tout ordre de faire grève.
«Toute action collective organisée susceptible de troubler ou d’entraver le fonctionnement régulier des juridictions est interdite», selon le décret. Attendons pour voir que se passera-t-il dans les tribunaux tunisiens aujourd’hui, puisque l’AMT a appelé ses adhérents à des sit-in. M. S.