Crise politique en Tunisie : Le président Saïed dissout l’ISIE, l’opposition dénonce

27/04/2022 mis à jour: 00:53
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Photo : D. R.

Polémique en Tunisie concernant l’amendement par décret de la loi sur l’ISIE. Les anciens élus dénoncent une mainmise du président Saïed sur l’instance électorale, d’autres assurent que le nouveau décret permet plus d’indépendance qu’auparavant.

Le président Kaïs Saïed a mis fin, le 21 avril, au suspense concernant l’instance électorale qui va superviser les prochains scrutins en Tunisie, en instituant le décret 22/2022. Saïed a décidé la dissolution de l’actuel bureau de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) ainsi que l’amendement de plusieurs articles de la loi 23/2012, portant sur la création et la composition de l’Instance.

Comme ce fut le cas avec le changement au niveau du Conseil supérieur de la magistrature, le président Saïed a fait un mix d’une majorité de personnes nommées par leurs corporations, avec d’autres désignées par la présidence de la République, selon un profil prédéfini. Ainsi, l’ISIE sera composée de sept membres. Trois sont désignés par le président de la République, parmi les membres des anciens comités directeurs de l’instance.

L’un d’eux sera nommé président. Trois autres membres sont des magistrats, judiciaire, administratif et financier, nommés par le président de la République, suite à une proposition de trois noms de leurs conseils respectifs. Le dernier membre est un ingénieur informatique désigné selon la même procédure. Le Centre national d’informatique (CNI) propose trois noms et le président Saïed choisit l’un d’eux.

Les membres de l’ISIE sont désignés pour un seul mandat de quatre ans, non renouvelable. «Le président de la République, l’autorité de nomination, n’a pas le droit de révoquer», ce qui constitue une garantie d’indépendance, selon Sami Ben Slama, membre de l’ISIE de 2011, qui ajoute que «les instances suivantes étaient à la merci de marchandage entre les partis, puisque le Parlement disposait à la fois des droits de nomination et de révocation». Pour sa part, Zaki Rahmouni, membre également de l’ISIE de 2011, insiste, lui-aussi, sur l’importance de la séparation de l’autorité de la nomination de celle de la révocation.

Polémique

«C’est une garantie d’indépendance des membres de l’ISIE, garantie en 2011 et qui a disparu dans la loi 23/2012», souligne-t-il. Rahmouni et Ben Slama ont régulièrement accusé Ennahdha d’avoir saboté l’ISIE de 2011. «Les islamistes et leurs différents partenaires ont tout fait pour mettre en place des instances à leur merci», pensent-ils.

Les islamistes d’Ennahdha ont directement condamné la décision de dissoudre l’ISIE, comme ils l’ont fait pour le Conseil supérieur de la magistrature. «Ce décret s’inscrit dans la continuité de la destruction de l’Etat, la mainmise sur toutes les autorités, le sabotage des acquis démocratiques et le mépris envers le peuple tunisien et sa révolution», a déclaré Ennahdha dans un communiqué.

Le Parti des travailleurs, dirigé par Hamma Hammami, a, lui-aussi, condamné cette décision, en accusant le président Saïed de «chercher à s’emparer de tous les pouvoirs et de compromettre l’avenir démocratique de la Tunisie», rappelant que «des pans entiers de la Constitution ont été suspendus, alors que les contre-pouvoirs ont été démantelés, au nom de la lutte contre la corruption».

D’autres partis, comme La Tunisie en avant, ont exprimé leur satisfaction de la dissolution de l’ISIE, «ni indépendante ni impartiale», lit-on dans leur communiqué, qui considère la dissolution comme «un pas important sur la voie de la mise en place d’un processus électoral transparent». Pour sa part, le parti Alliance pour la Tunisie a soutenu, lui-aussi, la décision présidentielle puisque «les membres démis ne sont pas indépendants».

Par ailleurs, Sami Tahri, le porte-parole de la centrale syndicale UGTT, s’est montré indifférent par rapport à la dissolution de l’ISIE, en insistant sur le fait que «la loi électorale nécessite une révision de fond en comble».

L’UGTT est plutôt favorable au coup de force du président Saïed et ne veut pas de retour à l’avant-25 juillet. Des questions restent toutefois posées à moins de 90 jours du référendum ; le temps presse et rien n’est encore prêt, même pas la commission d’experts qui va transformer en questionnaire pour le référendum, la consultation populaire tenue en ligne du 15 janvier au 20 mars.

L’opposition crée une coalition anti-Saïed

Un ancien opposant sous la dictature de Zine El Abidine Ben Ali a annoncé, hier, la création d’un front regroupant plusieurs partis pour «sauver» la Tunisie de sa profonde crise après le coup de force du président Kaïs Saïed.

Figure politique de gauche, Ahmed Néjib Chebbi, 78 ans, s’oppose à ce qu’il décrit comme un «coup d’Etat» du président Saïed, qui accapare les pouvoirs depuis le 25 juillet. Lors d’une conférence de presse à Tunis, ce vétéran de la scène politique a annoncé la création du «Front de salut national» avec l’objectif d’unir toutes les forces politiques, afin de rétablir le processus démocratique et constitutionnel garantissant les libertés et les droits dans le pays. «Nous voulons le retour à la légitimité et à la démocratie», a-t-il dit.

La priorité de ce Front est de sauver une économie «en profonde récession» en raison d’une situation politique «pourrie» qui repousse les investisseurs, a ajouté M. Chebbi. Composée de cinq partis politiques parmi lesquels le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saïed, et de cinq associations, cette coalition ambitionne d’attirer d’autres formations politiques et des personnalités «influentes» avant de lancer un dialogue national sur des réformes destinées à «sauver le pays», selon M. Chebbi.

Il a préconisé la mise en place d’un «gouvernement de salut» pour diriger la Tunisie pendant une «période de transition» jusqu’à la tenue de nouvelles élections. R. I.

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