L’historien Benjamin Stora met en garde, dans un entretien accordé au journal l’Humanité, contre les instrumentalisations par la droite et l’extrême droite de la crise diplomatique en cours entre Alger et Paris. «(…) La litanie des reproches adressées par Bruno Retailleau (ministre français de l’Intérieur, ndlr) à l’Algérie, entre autres sur le refus des OQTF, signale une instrumentalisation à des fins de politique intérieure qui avait rarement atteint un tel degré», a-t-il dit.
Membre de la commission mixte d’historiens algéro-française, dont les travaux sont gelés aujourd’hui, M. Stora rappelle que, depuis l’indépendance en 1962, la question algérienne s’est toujours invitée dans les campagnes électorales, la vie politique et intellectuelle française. Il en donne certains faits marquants par ordre chronologique.
En 1973, la vague de crimes racistes et l’attentat à la bombe contre le consulat d’Algérie à Marseille (qui avait fait 4 morts et 12 blessés graves – ndlr) «ont entraîné une crise diplomatique très grave», déclare-t-il à l’Humanité. Deux ans plus tard, la visite de Valéry Giscard d’Estaing, premier chef d’Etat français à fouler le sol de l’Algérie indépendante, s’est très mal passée : elle a entraîné un long refroidissement.
Il explique que la relation entre les deux pays s’est réchauffée avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, mais, «de nouveau, elle s’est dégradée en janvier 1992, quand François Mitterrand a condamné l’arrêt du processus électoral», ajoute-t-il. En février 2005, poursuit-il, le vote par l’Assemblée nationale française d’une loi exaltant les «aspects positifs» de la colonisation a torpillé le projet de traité d’amitié entre les deux pays, porté par Jacques Chirac après sa visite à Alger, deux ans plus tôt.
«Il faut citer, encore, en 2007, la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, qui n’a pas hésité à jouer sur la nostalgie de l’Algérie française pour siphonner les voix du Front national, dont c’était le vieux fonds de commerce», soutient Benjamin Stora.
A une question sur le cheminement politique de Bruno Retailleau, qui s’inscrit dans ce sillage, l’historien considère celui-ci de «pur produit de cette mutation de la droite républicaine amorcée par Nicolas Sarkozy».
«Siphonner les voix du Front national»
Au sujet des accords migratoires de 1968, Benjamin Stora évoque, dans cet entretien, une première tentative de les dénoncer en 2012. «A quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle en 2012, Nicolas Sarkozy avait failli se laisser convaincre par son conseiller, Patrick Buisson, issu de l’extrême droite, de dénoncer les Accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie», fait-il savoir.
Et d’apporter son analyse autour de cet accord : «La bataille sur 68, c’est la bataille sur les Accords d’Evian. C’est une remise en cause de la politique du général de Gaulle sur la question de l’indépendance algérienne. Et dans cette bataille, la frontière qui existait entre droite et extrême droite est progressivement effacée.»
Questionné sur la voie à suivre pour sortir de la crise entre Alger et Paris, M. Stora a indiqué n’être «ni diplomate ni ministre». «Le dialogue n’est pas rompu avec mes collègues historiens algériens. Il faut impérativement préserver cet espace de discussion, souhaite-t-il.
Pour le reste, l’espace commun entre la France et l’Algérie continue d’exister au gré des crises : il est ancré dans la vie et dans l’histoire longue.»
M. Abdelkrim