Les Etats-Unis vont nouer des relations avec la junte militaire au Niger, reconnaissant de fait la prise de pouvoir de l’armée lors d’un coup d’Etat en juillet, a rapporté hier le Financial Times. «Nous nous engageons dans la région de manière cohérente avec nos lois afin de pouvoir continuer à garantir la sécurité dans la région», a dit Judd Devermont, directeur des Affaires africaines au Conseil de sécurité nationale, cité par le Financial Times et repris par Reuters.
La France, qui ne reconnaît pas la junte ayant renversé le président Mohamed Bazoum, s’est résolue, quant à elle, à engager le retrait de ses troupes du Niger ce mois-ci. Washington joue donc la carte du pragmatisme au Niger. Alors que les premiers éléments de la force française au Niger, soit 1400 hommes au total, sont arrivés au Tchad voisin, les Etats-Unis semblent prêts à composer avec la junte militaire qui a pris le pouvoir en juillet dernier pour déposer le président Mohamed Bazoum, élu en 2021 sur un programme de lutte contre la corruption.
Les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ainsi que de la Guinée, ont été renversés ces dernières années par des juntes militaires. La perte de régimes démocratiques a, selon des observateurs, limité la capacité de Washington à s’engager au Sahel, où des groupes islamistes liés à Al Qaïda et au groupe Etat islamique ont infiltré des pans entiers du territoire et mené de multiples attaques meurtrières. «Si nous quittons le Niger, il ne s’agit pas seulement de la sécurité des Nigériens. Il s’agit également des conséquences pour le Ghana, le Togo et le Bénin», a déclaré au Financial Times Judd Devermont, directeur des Affaires africaines au Conseil de sécurité nationale. «C’est une région qui, malheureusement, connaît une véritable expansion de l’extrémisme. Et il se rapproche maintenant des frontières, voire déborde des frontières des pays littoraux», a-t-il ajouté.
Le Niger est en effet particulièrement ciblé par les groupes terroristes. Sept soldats ont été tués jeudi 28 septembre dans l’ouest du Niger (Tillabéri) lors d’une attaque terroriste, et cinq autres sont morts dans un accident de la circulation au cours d’une intervention en réponse à cette attaque, a annoncé le ministre de la Défense dans un communiqué. La région de Tillabéri est située dans la zone dite des «trois frontières» entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali, et est un repaire pour les groupes armés terroristes (GAT), notamment ceux de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Sur un autre plan, l’unité «phantom» de l’armée burkinabè en coordination avec des vecteurs aériens du Burkina et du Niger ont neutralisé plusieurs terroristes dimanche dans la zone dite des «trois frontières» entre le Mali, le Burkina et le Niger, a indiqué l’Agence d’information du Burkina (AIB), citant des sources sécuritaires.
Dans l’après-midi du dimanche 22 octobre 2023, l’unité «phantom» de l’armée burkinabè, avec ses vecteurs aériens, basés à une quinzaine de kilomètres au nord de Markoye, a éliminé une centaine de terroristes, dans la zone de Goungam en territoire burkinabè. Les vecteurs aériens nigériens ont également tué les terroristes à Lélétan, en territoire nigérien. Selon la presse, les autorités militaires du Burkina Faso et du Niger se sont félicitées de la parfaite coordination qui a prévalu durant cette mission à succès.
Par ailleurs, l’armée burkinabè a détruit une base de terroristes, dans la grande forêt de Mihity, près de Banh, qui se préparaient à lancer une attaque dans le Loroum. Plus largement, les nouvelles autorités du Niger se disent prêtes à dialoguer avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et attendent la solidarité de la Communauté dans la lutte contre le terrorisme, a déclaré le général Mohamed Toumba, qui, depuis le coup d’État au Niger, occupe le poste de ministre de l’Intérieur. «Pourquoi pas ? Nous, nous sommes là pour faire le dialogue. Que cela puisse vous surprendre, c’est peut-être nous qui sommes des hommes de dialogue.
Ce n’est plus la Cédéao qui a bandé les muscles et qui veut attaquer le Niger», a indiqué M. Toumba en réponse à une question de RFI. Concernant une éventuelle opération militaire de la Cédéao au Niger, il a répondu : «Ce qui est certain, c’est qu’une telle entreprise serait périlleuse pour la Cédéao.» «Nous voulons plutôt avoir leur solidarité en venant nous aider à combattre ces terroristes. Parce qu’il ne faut pas qu’ils oublient que le Niger est un verrou [contre le terrorisme].
Aujourd’hui, créer le désordre au Niger, c’est aussi recevoir ces terroristes à leurs frontières, ça c’est clair et net», a expliqué M. Toumba. Il a également condamné les sanctions imposées par la Communauté à l’encontre du Niger, les jugeant «très dures».
L’UE se rapproche de sanctions contre le régime militaire
L’Union européenne a adopté hier un cadre juridique lui permettant de prendre des sanctions contre le régime militaire arrivé au pouvoir au Niger par un coup d’Etat fin juillet. Les Vingt-Sept avaient fermement condamné la prise de pouvoir le 26 juillet au Niger par les militaires, qui retiennent depuis captif le président élu Mohamed Bazoum. Dans la foulée du putsch, l’UE avait suspendu son aide budgétaire au pays sahélien et cessé toute coopération sécuritaire. Le régime juridique validé hier par les ministres des Affaires étrangères de l’UE réunis à Luxembourg offrira un cadre pour «sanctionner les individus et entités responsables d’actions qui menacent la paix, la stabilité et la sécurité au Niger», a précisé le Conseil européen dans un communiqué. Sont également visés ceux «dont les actions portent atteinte à l’ordre constitutionnel, à la démocratie et à l’Etat de droit, ou constituent de graves violations ou abus des Droits de l’homme». De telles sanctions consistent généralement en un placement sur une liste noire qui entraîne un gel des avoirs dans l’UE, une privation d’accès à des financements venus d’Europe et une interdiction d’entrer sur le territoire européen. «Avec la décision d’aujourd’hui, l’UE (...) envoie un message clair : les coups d’Etat militaires ont un coût », a déclaré le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell. Ce régime de sanctions prévoit une exemption pour l’aide humanitaire et «les activités répondant aux besoins humains fondamentaux», a-t-il précisé. Le Niger est déjà sous le coup de lourdes sanctions économiques et financières imposées par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) fin juillet. R.I.