Les tensions au niveau de la région sahélienne préfigurent d’importantes reconfigurations géopolitiques et géoéconomiques mondiales entre 2024/2030, rendant urgent des stratégies d’adaptation. C’est que la région sahélienne connaît d’importants trafics qui alimentent le terrorisme facteur de déstabilisation, mais l’analyse de ces trafics pour une compréhension objective doit s’inscrire dans le cadre global du crime organisé .
Le fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes. La lutte contre le crime organisé et la corruption, qui concerne tous les pays sans exception, n’est pas une question de lois ou de commissions, montrant clairement que les pratiques au niveau mondial contredisent le juridisme et les discours.
Il est illusoire de s’attaquer à ce fléau mondial sans un système d’information fiable en temps réel utilisant les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle qui a un impact à la fois sur la gestion du segment sécuritaire, des entreprises, des intuitions et de nos comportements. Une importante enquête sur plus de 150 pays réalisée par d’éminents experts internationaux (juristes, économistes, politologues et experts militaires), parrainée par l’ONU en octobre 2021, mettant en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial, estimé à 84 680 milliards en 2020 et, selon la Banque mondiale, devrait dépasser les 100 000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne, entre 2020 et 2022, 1 700 et 4230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d’environ 600 milliards de dollars, les crises économiques amplifiant le trafic, issu du commerce illégal sous toutes ses formes : drogue, armes, traite d’êtres humains, déchets toxiques, métaux.
Se basant sur douze indicateurs de résilience : leadership politique et gouvernance, transparence et responsabilité du gouvernement : – coopération internationale, – politiques et législations nationales, – système judiciaire et détention, – forces de l’ordre, intégrité territoriale, – lutte contre le blanchiment d’argent, capacité de réglementation économique, soutien aux victimes et aux témoins, prévention et acteurs non étatiques, l’étude arrive à six conclusions.
1re conclusion : plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible. 2e conclusion : de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés. 3e conclusion : la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde. 4e conclusion : les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés. 5e conclusion : les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé (dont octroi opaque de l’octroi de marchés publics). 6e conclusion : de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime organisé.
2.-Concernant le Sahel, je recense sept niveaux de trafics (conférence du professeur Abderrahmane Mebtoul sur ce sujet - Alger - à l’Institut miliaire de documentation et de prospective 2019 (sur les liens entre sphère informelle et trafics) et à l’invitation de l’Etat- major de la Gendarmerie nationale sur le crime économique organisé 2021).
Premièrement, nous avons le trafic de marchandises de tous genres.
Deuxièmement, nous avons le trafic d’armes. Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics
Troisièmement, nous avons le trafic de drogue.
La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne implique toute l’Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement.
Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ou à l’exploitation par le travail. Le trafic de migrants qui est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires.
Cinquièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières, telles que les diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortels pour les consommateurs.
Sixièmement, nous avons la cybercriminalité. Elle est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d’information et peut déstabiliser tout un pays, tant sur le plan militaire, sécuritaire qu’économique. Il englobe plusieurs domaines exploitant notamment de plus en plus Internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays. Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l’activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais. Septièmement, en synthèse, nous avons le blanchiment d’argent.
C’est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit, en fait, de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir légalement par la suite. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi Offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent.
En conclusion, la lutte contre le crime organisé, les différents types de trafics et le terrorisme au niveau de la région sahélienne implique, outre une coopération internationale pour unifier le renseignement sans lequel l’action opérationnelle risque d’être inefficiente, et une nouvelle gouvernance afin de mettre fin à cette inégalité planétaire et à une minorité au niveau interne dilapidant les ressources par la corruption, enfantant la misère et donc le terrorisme.
L’objectif stratégique est de traduire en termes concrets les potentialités de cet espace, pour être en mesure de relever avec succès les défis innombrables qui nous sont lancés par le monde moderne étant à l’aube de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur les nouvelles technologies et les défis de la transition numérique et énergétique. La stabilité du Sahel interpelle, à la fois, tout le continent Afrique mais également toute la communauté internationale.
Par Abderrahmane Mebtoul , Expert international, Docteur d’Etat