Cinémathèque d’Oran : Mémoire de scène, une «fiction» en hommage à la résistance des artistes

06/05/2023 mis à jour: 03:55
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Abderahim Laloui, réalisateur du film Mémoire de scène

Plusieurs années après sa réalisation et la présentation de son avant-première à la salle El Mougar, le film Mémoire de scène, de Abderahim Laloui a été projeté, mercredi soir, à la salle répertoire d’Oran de la Cinémathèque algérienne. 

Dans le cadre d’une tournée nationale, l’événement a eu lieu en présence d’un grand nombre d’acteurs ayant participé au film pour ne citer que Adar Mohamed, une des grandes figures, toujours en activité, du théâtre algérien, Faouzi Saïchi dirigé dans a carrière par de grands réalisateurs, dont les apparitions sur le petit et le grand écrans restent mémorables, Aziz Boukrouni, qui s’est lancé dans une carrière d’acteur et qui a réussi à se faire une place remarquable dans la filmographie nationale de ces dernières années, Amel Wahbi, une grande chanteuse qui fait ici ses premiers pas, etc. 

Pour le film, c’est un casting et une distribution de premier choix, car à ceux-là il faut ajouter les deux grandes dames et talentueuses que le cinéma algérien a perdu entre-temps et que sont Chafia Boudraa et Farida Saboundji, mais aussi ceux qui n’ont pas pu effectuer le déplacement, comme Abdellah Aggoune, célèbre médecin dans la vie, pour avoir notamment raconté son expérience de praticien dans les conditions difficiles vécues durant la décennie noire du côté de Blida. Il s’agit justement de décennie noire et l’intérêt accordé à cette équipe vient du fait que la thématique principale développée dans ce film, qui s’appuie sur des faits réels concerne d’abord la résistance des artistes et des intellectuels face aux idées obscurantistes et pour certains, comme on le sait, c’était au péril de leur vie. 

Les actions visant à interdire les spectacles ou fermer les lieux de culture menées par les éléments de ce qui deviendra l’ex-FIS, ont commencé bien avant l’arrêt du processus électoral de 1992 et bien avant l’ouverture démocratique qui a suivi octobre 1988, notamment dans les universités où les accrochages entre étudiants étaient fréquents. L’idée du film est généreuse, car tout le long du récit, on n’a pas cessé de prêcher la paix, fait symbolisé par le personnage central montré en train de nourrir régulièrement des pigeons et, par delà, une colombe, symbole universel imaginé et rendu célèbre par l’artiste Picasso. Juste avant la projection, le réalisateur prévient qu’«il faut lire entre les lignes ou entre les images» pour mieux appréhender son film qui traite grosso modo d’une troupe de théâtre en train de monter un spectacle (adaptation de Tartuffe de Molière, symbole du «faux dévot») mais dont la présentation est compromise par l’arrivée des islamistes radicaux qui ont d’abord mis la main sur les APC et commencé à interdire les activités culturelles. 

Le metteur en scène de la troupe est dénommé Azzedine, un autre symbole fort, si on devait se référer à Medjoubi, car d’autres sont cités nommément, à l’instar de Abdelkader Alloula, ou alors Tahar Djaout pour introduire la célèbre citation qu’on lui connaît et qu’il a repris à un poète palestinien (évoqué dans le film). L’autre symbole peut concerner les scènes d’ouverture filmées dans les ruines d’un théâtre romain, une espèce de réappropriation des lieux mais c’est sans doute aussi pour dire que cette activité théâtrale existait depuis longtemps et que même sous domination, les populations locales la connaissait. D’autres symboles sont moins évidents. Le film étant tourné à Sétif, on peut apercevoir en arrière-plan la statue de Aïn Fouara, une œuvre devenue symbole de la ville qui n’a pas échappé à un attentant terroriste. Un autre exemple : dans une scène montrant l’arrestation d’un groupe terroriste par les services de sécurité, un citoyen s’est interposé à la vue de ce qu’il croit être une femme pour dire : «Pourquoi vous opprimez (le terme exact ‘’tahagrou’’, intraductible) les femmes ?» 

Ce à quoi le policier répond en soulevant la partie du djilbab, montrant le visage d’un homme (c’était un déguisement): «Tu appelles-ça une femme ? Laissez-nous faire notre travail s’il vous plaît.» Cette dernière réplique n’est pas anodine, car on peut considérer qu’elle revoie à la situation qui prévalait à l’époque concernant la position des puissances occidentales et les pressions exercées sur l’Algérie en ce qui concerne sa politique de lutte contre le terrorisme. Le générique de début précise au spectateur que l’intrigue se déroule dans une période d’avant les événements du 11 septembre 2001 et que l’Algérie luttait alors toute seule contre ce fléau. 

Mais ce n’est pas là le sujet du film qui se garde, selon le réalisateur, d’adopter un point de vue politique ou idéologique. «Les faits évoqués sont réels, ni plus ni moins», assure-t-il. Les images d’archives prises telles quelles, à l’instar de l’annonce à la télévision de la démission du chef de l’Etat de l’époque «dans l’intérêt de la nation» abonde dans ce sens. Les génériques de films sont des sources d’information et c’est dans cette perspective qu’on apprend que le personnage de la femme pilote d’avion chez Air Algérie est en réalité un hommage rendu aux deux premières pilotes femmes qui ont eu à prendre les commandes en 1982 et c’était, précise-t-on, une première pour le Continent mais aussi le monde arabe, mais dont la formation remonte aux années 1970. 

Cette parenthèse mise à part, tout en reconnaissant la sincérité de la démarche autant du réalisateur que des acteurs, on peut dire que le film pèche justement par cette multiplication de symboles et de clins d’œil. Mais c’est comme si on essayait de reconstituer un puzzle (on connaît l’image globale) mais on ne disposant que de quelques pièces. A force de vouloir tout dire, le risque est de tomber dans la superficialité et c’est le cas dans une certaine mesure car il faut vraiment s’armer de patience avant que l’émotion ne prenne. 

C’est facile pour les gens qui ont vécu la période, car chaque image peut soulever des flots de souvenirs et d’émotions enfouis mais pour le reste, cela ne suffit pas. Le film n’est pas entraînant, car s’il a l’ambition d’agir sur le deuxième ou le troisième degré, le premier n’est pas convaincant. A certains égards, en ajoutant un récit en voix off, le film peut très bien s’apparenter à un documentaire. Il s’agit pourtant bien d’une tragédie au sens théâtral du terme, mais les concepteurs du film n’ont pas su adapter les codes du genre pour en faire une œuvre artistique au sens réel du terme. 

A cela il faut ajouter certains anachronismes. Le film évoque un incident réel survenu au TRO, une fausse alerte à la bombe qui a créé un mouvement de panique dans la salle qui s’est vidée en un laps de temps record. La reconstitution est intéressante, car elle peut traduire l’état d’esprits des gens à l’époque, un état d’esprit miné par une peur et des angoisses permanentes d’où la réaction instantanée. Cet événement a été placé avant l’annonce de la mort de Alloula alors qu’il a eu lieu en 1996, deux ans après l’assassinat par les terroristes du célèbre dramaturge algérien. En plus, le contexte évoqué précédemment mis à part, le spectacle donné se jour-là n’était pas du genre flamenco tel que montré dans le film mais c’était à l’occasion de la présentation d’une pièce de Fouzia Aït El Hadj, une comédie musicale qui se rapportait à l’âge d’or de la civilisation musulmane (justement!) en Andalousie. 

Un spectacle pour l’Entertainment», comme disent les américains mais qui ne fait pas l’unanimité, car on était dans une période où le théâtre algérien cherchait encore une alternative suite au remue-ménage ayant suivi la chute du mur de Berlin et la cacophonie que cela a généré et qui dure encore. 

 

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