Spécialiste reconnu de littérature du Maghreb, Charles Bonn est décédé mercredi.
Son héritage est immense : essais, thèses, recueils, colloque…
Il est l’un des plus grands connaisseurs des littératures francophones du Maghreb. Charles Bonn est décédé chez lui, mercredi 6 novembre, à Lyon, à l’âge de 82 ans. Professeur émérite à l’Université Lyon II, ce natif de Lipsheim (Bas-Rhin, France) a enseigné dans les universités de Constantine, Fès et Leipzig. Il était le fondateur du programme Limag et du site limag.com.
Dirigeant de nombreuses thèses sur les littératures maghrébines, il a organisé plusieurs colloques, dont celui de Cerisy-la-Salle en septembre 2021– sur La Mise en scène des genres dans l’œuvre de Mohammed Dib. Pourtant, rien ne prédestinait ce Lyonnais à devenir le spécialiste reconnu qu’il est devenu à s’intéresser aux auteurs francophones.
«Mon premier contact avec cette littérature n’était pas prévu. Il a fallu que je sois nommé par hasard au tout début de ma carrière d’enseignant en 1969 à l’université de Constantine, poste que je n’avais pas demandé, mais qui me séduisait bien, pour me permettre de découvrir l’existence même de cette littérature, totalement absente alors, et pour longtemps encore, de l’enseignement littéraire en France», se rappelle celui dont l’engagement anticolonialiste remonte à ses années d’étudiant, responsable UNEF à l’université de Strasbourg, en 1961-62 – Charles Bonn, littérature algérienne, itinéraire d’un lecteur, entretien avec Amel Maafa, Ed, El Kalima, 2019. Livre dispensable au stand de l’éditeur au SILA.
Désarçonné par l’ «exigence littéraire» de Kateb Yacine, qu’il a lu à son arrivée à Constantine, le jeune enseignant fera progressivement connaissance avec la littérature algérienne. Mais l’auteur du cru dont la «rencontre fut la plus importante» pour Charles Bonn est incontestablement Mohammed Dib.
«Territoires étroits de la littérature du Maghreb»
«(…)Il eut une influence énorme sur ma vie personnelle autant que professionnelle, à une époque de grande crise intime chez moi. Et quinze après sa mort, il reste celui dont j’admire le plus l’œuvre trop peu connue, dont la portée dépasse infiniment la localisation maghrébine qu’une critique parfois paresseuse lui a trop souvent accolé», relève-t-il.
D’ailleurs, dans son hommage à l’essayiste disparu, l’association La Grande Maison de Tlemcen parle de la «contribution exceptionnelle» du défunt : «Sa contribution exceptionnelle à la valorisation de la culture maghrébine et son engagement passionné ont laissé une empreinte indélébile dans le monde littéraire.»
Guy Dugars, autre éminent spécialiste de littérature maghrébine, parle avec émotion de la «disparition brutale» de son collègue et ami Charles Bonn qu’il connaissait «depuis plus de 40 ans et nos années de coopération au Maghreb».
«Nous avons ensuite souvent travaillé ensemble, que ce soit pour des colloques, des publications (il m’avait fait confiance pour publier son «Itinéraire d’un lecteur» chez El Kalima Editions) ou des soutenances de thèses (Il fut du jury de ma thèse d’Etat dont il a publié la bibliographie dans la collection «Etudes littéraires maghrébines» qu’il dirigeait chez l’Harmattan, et c’est aussi lui qui a présidé le jury de thèse de Hamid Nacer Khodja). Nous nous voyions régulièrement – pas assez souvent à son gré – dans son bel appartement sur les hauts de Lyon et il aurait aimé faire découvrir au Cévenol que je suis son pied-à-terre ardéchois où il avait tant travaillé ces dernières années. En ce moment de tristesse, mes pensées vont à ses proches, tout particulièrement à ses enfants», écrit-il sur sa page Facebook. Ahmed Cheniki, essayiste très pointilleux, parle de «celui qui a le mieux et le plus fait connaître» la littérature maghrébine : «Charles Bonn est parti. Il a, je crois, bien vécu, lui qui a fréquenté, avec une singulière assiduité, les territoires étroits de la littérature du Maghreb. Il a peut-être été celui qui a le mieux et le plus fait connaître les littératures du Maghreb. Avec Jean Déjeux, il a réussi à numériser des textes, à récupérer des thèses et des mémoires et de nombreux travaux et à proposer une riche bibliographie. Qui ne connait pas son site, Limag ? (littérature maghrébine) qui s’intéresse aux travaux sur le Maghreb. Il y a de tout, des thèses, des mémoires, des livres, des interviewés, des articles...
Un passage obligé pour tout spécialiste des littératures et des arts du Maghreb.» Catherine Dib reposte sur sa page Facebook des images du spécialiste disparu avec ses mots : «Une page se tourne mais les livres restent et son amour de la littérature aussi.»
Extrait :
«Charles s’est battu sur tous les fronts »
« On le voit, Charles s’est battu sur tous les fronts. Et s’il fut le formateur (le directeur de thèse) le plus prolifique parmi nous, c’est, bien sûr, pour la qualité de sa recherche et de son enseignement, mais, c’est probablement, aussi, parce qu’il a su mettre au service de ces deux causes des outils de démultiplication de leur audience. Son sens de l’organisation et l’absence, chez lui, de toute réticence à effectuer des tâches matérielles et administratives dévoreuses de temps et peu exaltantes à exécuter, l’ont aidé à constituer le réseau le plus important en recherches maghrébines. Il a créé un centre de recherche dans chaque université où il fut affecté, il a monté des conventions d’échanges avec ses homologues, notamment dans les universités du Maghreb, il a organisé ou participé aux plus importants colloques en la matière. Aussi évoque-t-il avec une légitime satisfaction ce réseau de relations humaines et intellectuelles qu’il a su tisser sa carrière aidant. » [Nadjet Khadda, postface, littérature algérienne, itinéraire d’un lecteur…, Al Kalima »