Caftans et costumes algériens : Un patrimoine occulté et spolié

03/07/2022 mis à jour: 00:03
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Photo : El Watan

Une véritable bataille culturelle est menée par un pays voisin pour accaparer le patrimoine algérien et se l’attribuer dans des expositions organisées à l’étranger.

Quand on parle de culture, l’identité et l’histoire s’évoquent systématiquement, permettant à chaque pays de se positionner et d’agir dans un espace politique déterminé. La culture sous tous aspects est devenue, ces dernières décennies, une arme incontournable, voire une stratégie primordiale adoptée par de nombreux pays dans des guerres diplomatiques.

En Algérie, le train de la culture n’avance pas convenablement pour protéger un riche patrimoine racontant les nombreuses civilisations ayant marqué ce territoire à travers les siècles. Malheureusement, une fortune culturelle matérielle et immatérielle est délaissée et déjà accaparée par d’autres nations.

On cite l’exemple du caftan algérien, méconnu par la jeune génération et introuvable dans les magasins. L’image offerte dans le marché algérien est révoltante, où l’on ne parle que du caftan marocain importé et considéré comme une référence de qualité, alors qu’elle représente une autre culture.

Pourtant, l’Algérie avait toujours son caftan. Selon, Fouad Azzi, styliste spécialisé dans le costume traditionnel algérien, il est urgent de revoir notre propre production. «Il y a une multitude de caftans algériens qu’on ne porte plus, et il faudrait qu’on revoie ça, en faisant des reproductions à l’identique, ou des créations en s’inspirant de ces anciennes pièces », a-t-il déclaré à El Watan. Et de poursuivre que le caftan n’est qu’un exemple parmi d’autres habits et costumes qui n’existent plus pour diverses raisons. Il citera « El Ghelila », une tenue décente et respectueuse des femmes algériennes.

Selon Azzi, cette dernière a figuré dans l’œuvre de deux photographes européens, entre 1908 et 1910 touchant à nos mœurs. Ce qui a provoqué le rejet de cette tenue par la communauté musulmane à une époque donnée.

En 1990, ce costume a repris sa place, après avoir été relancé par la maison Azzi. «Pour les fillettes, le costume s’appelle Frimla et pour les femmes il devient Ghelila », a-t-il souligné. D’ailleurs, dans la logique de la préservation du patrimoine, le styliste constantinois a organisé une exposition au Palais du Bey au mois de mai dernier à l’occasion du mois du patrimoine, à travers laquelle des pièces très anciennes collectionnées par la famille Azzi, datant d’un siècle ou plus, ont été découvertes par le public.

Cette exposition n’avait pas concerné uniquement l’objet et le costume constantinois, mais aussi le Tlemcénien, l’Algérois, le Kabyle, le Chaoui et celui du Sud. Notre interlocuteur estime que cet événement était un clin d’œil pour mettre en exergue la diversification et la richesse de notre patrimoine ; mais surtout c’était un appel à un véritable réveil.

«Il faut donner une renaissance à notre culture qui est irremplaçable et irrécupérable. Il faut immortaliser notre patrimoine avec les écrits et la photo des pièces et des expositions à but non lucratif, sinon on va beaucoup perdre», alerte Fouad Azzi. Et d’indiquer qu’El Ghelila, exposée au Palais du Bey, a été authentifiée de 1924. Et d’ajouter que cette tenue figurait également avec son patronage dans le fameux livre Le Costume musulman d’Alger 1830-1930. L’ouvrage a été édité et imprimé en 1930, et c’était la première fois que les patronages devenaient publics.

Qui est le responsable de cette perte patrimoniale ?

Malheureusement, cet escamotage patrimonial est actuellement banalisé par la population, tout comme par les pouvoirs publics. Un état de fait permettant à d’autres pays de s’attribuer une bonne partie de notre culture et histoire dans des émissions télévisées, à travers des films soi-disant historiques et même dans des expositions à l’étranger. Cette auto-exclusion a permis un remplacement progressif et bien planifié du patrimoine algérien.

L’exemple, qui ne peut être banal, est celui du caftan marocain qui a «conquis» le marché algérien. « À une époque donnée, il y avait le Nord africain. Il y avait l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. On se côtoyait, il y avait une circulation libre et éventuellement une interaction culturelle. Mais il est nécessaire d’évoquer l’histoire.

La France, lorsqu’elle a voulu garder une main dans le Nord africain, a pris l’Algérie, qui est le centre des richesses et de l’authenticité », a argué Fouad Azzi. Et de lancer avec insistance : « Le caftan est algérien…algérien…algérien. Je le répète trois fois. » Notre interlocuteur n’a pas manqué d’éclairer que sa position n’était pas de priver les Marocains du caftan, qui est aussi leur patrimoine. Mais, il a exigé un retour nécessaire à l’origine, où on avait en Algérie le caftan du Cadi (juge) à l’époque ottomane. Ce caftan, qui existait à Constantine, a toute une histoire, sur sa coupe, sa broderie, quand et comment le porter.

Le styliste révolté affirme avoir vu un caftan constantinois exposé dans un musée à l’étranger au nom des Marocains. «On a tout fait, avec preuves palpables et des photos à l’appui, pour rectifier cette erreur et maintenant il est exposé au nom de l’Algérie. L’équipe du musée, restant neutre et positive, a joué le jeu en changeant la légende du Caftan », a-t-il rappelé. Cette lutte demeure toujours insuffisante, face au désir du gain rapide des commerçants algériens favorisés par la facilité d’importation des tenues vestimentaires. Une importante partie de ces commerçants font inconsciemment la promotion d’autres cultures au détriment de la culture algérienne.

Durant son entretien accordé à El Watan, Fouad Azzi appelle la société civile à s’impliquer davantage et se lancer dans l’organisation des expositions à but non lucratif. «Ce qui est important, c’est qu’il faut aimer et se donner pour son pays. Il n’y a pas que l’argent qui compte, il y a beaucoup plus important qui est sa patrie et sa culture. Il faut être intransigeant», a-t-il insisté rappelant l’énorme trésor culturel de l’Algérie, qui n’est pas limité uniquement au caftan. Il est temps pour les citoyens d’en prendre conscience. Fouad Azzi évoque des circonstances l’ayant marqué durant sa carrière de styliste, citant le défilé de mode de l’année de l’Algérie en France en 2003.

Selon ses dires, un grand couturier avait dit : «Je me suis fait avoir pendant tout ce temps. Je croyais que l’Algérie n’avait que le karakou ». Avant de quitter les lieux, raconte Azzi, il avait demandé à ce que la collection de 65 tenues de 22 stylistes algériens soit protégée. Malheureusement, une proposition balayée d’un revers de main par un responsable algérien. « Je lui ai dit qu’on leur a offert un bien sur un plat en argent. Ma phrase a provoqué le fou rire de ce responsable. On est en train de perdre notre patrimoine que nous ne pouvons plus récupérer comme le caftan. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire», a regretté le couturier constantinois.

Un autre souvenir lui traversa l’esprit. Il s’agit de l’événement mondial du caftan marocain, qu’on organise soit à Paris ou à Marrakech, caractérisé par une «folle spoliation» des costumes algériens. Des mannequins défilaient avec la Gandoura constantinoise et le karakou. Pis encore, ce mauvais souvenir a été apostrophé par un autre, où la céramique de la sommité algérienne Boumehdi, qui est une référence, a été exposée dans un pavillon libyen en tant qu’un patrimoine de la Libye.

L’Algérie ne protège pas ses artistes. «J’étais contraint d’intervenir pour leur dire si vous avez Boumehdi aussi ? L’œuvre est signée ! On m’a dit oui il est de la Libye », a-t-il déploré. Aujourd’hui, une guerre houleuse est menée sur les réseaux sociaux entre Algériens et Marocains sur les origines de certains costumes, dont le caftan avec la publication de photos algériennes très anciennes.

La gent féminine, protectrice du patrimoine

Contrairement aux hommes, ce sont les femmes qui participent à la protection et à la préservation du patrimoine vestimentaire algérien, dans les fêtes de mariage. Même avec un peu de modifications et de modernisation, l’authenticité persiste toujours.

Mais cela reste insuffisant. «La maison Azzi s’est orientée, depuis trois décennies, dans deux collections. L’une concerne le patrimoine national, où on garde la coupe et le style, et les travaux tout en innovant dans la broderie, les motifs et l’ornement.

L’autre collection concerne la création, donnant un produit qui s’adapte aux besoins féminins avec une touche orientale, mais surtout se conformant aux traditions algériennes, sans dépasser certaines limites », a fait savoir M. Azzi, rappelant le concours national sur la réhabilitation des tenues, organisé il y a des années par le ministère du Tourisme et de l’Artisanat avec la participation de plus de 600 couturiers. 

La collection hommes était féerique. C’est la raison pour laquelle notre interlocuteur a appelé à ouvrir des centres de formation pour tout ce qui est traditionnel et artisanal et l’implication de l’État pour la préservation du patrimoine algérien. 

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