Budget et monnaie pour lutter contre l’inflation persistante dans le monde et en Algérie

17/07/2023 mis à jour: 07:35
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La lutte contre l’inflation mondiale sera longue et impliquera une coordination entre politiques macroéconomiques (budget, monnaie et taux de change) et structurelles dans le monde et en Algérie. En effet, alors même que l’ajustement des taux d’intérêt a enregistré une certaine pause aux Etats-Unis et que le choc énergétique de 2022 semble avoir été absorbé pour le moment, l’inflation sous-jacente à fin juin 2023 reste élevée (4,8% aux Etats-Unis et 5,4% dans la zone euro, contre des objectifs respectifs de 2%). 
 

La persistance de l’inflation, après plus de dix-huit mois de resserrement des conditions financières, reflète un nombre de facteurs macroéconomiques et structurels. La lutte contre l’inflation dans les mois à venir impliquera des arbitrages difficiles entre stabilité des prix, activité économique et stabilité financière. Pour ce faire, les banques centrales se doivent d’adopter des stratégies cohérentes s‘appuyant sur des politiques monétaires plus élaborées en tandem avec des politiques budgétaires favorisant la baisse de l’inflation (recettes et dépenses). 
 

Les approches que prendront les autorités au cours des mois à venir vont impacter les investisseurs (les marchés financiers restent optimistes), les marches du travail (le marché demeure serré), les producteurs, les travailleurs et les retraités (tous trois handicapés par l’incertitude). Pour ce qui est de l’Algérie, la lutte contre l’inflation devra s’inscrire dans le contexte d’une stratégie à moyen terme articulée autour de mesures budgétaires, monétaires et structurelles complémentaires. Discutions de ces questions importantes. 
 

L’inflation mondiale persiste. Les facteurs explicatifs incluent :  (1) la fragmentation géoéconomique qui favorise la montée de chaînes locales d’approvisionnement plus coûteuses ; (2) la mise en place de politiques budgétaires expansionnistes pour répondre à toute une gamme de dépenses nouvelles allant de la décarbonisation à la défense ; (3) des marchés du travail sous pression qui entraînent une hausse des salaires (sans pour autant compenser les fortes baisses des salaires réels de ces dernières années) et donc une augmentation des coûts du travail ; (4) la persistance d’une forte demande entretenue par un stock d’épargne des ménages qui reste toujours élevé ; (5) un resserrement insuffisant des conditions financières (malgré la forte augmentation du taux directeur nominal) qui entrave la transmission de la politique monétaire ; et (6) une baisse de la production potentielle et de la productivité en raison de la pandémie. 
 

La robustesse du marché du travail et le passage à l’inflation par les coûts : Une inflation élevée reste toujours difficile à faire baisser d’autant que cette dernière est entretenue désormais par une hausse du coût du travail liée au besoin de rattrapage de la baisse massive des salaires réels occasionnée par la pandémie (1,2% de croissance à fin juin 2023). Face à cette nouvelle donne, les entreprises doivent réduire leurs marges bénéficiaires (qui ont grimpé en flèche au cours des deux dernières années en compensation de la hausse attendue des coûts de main-d’œuvre). En cas de résistance de la part des entreprises et si l’économie reste résiliente, le marché du travail serré et l’inflation en baisse, les travailleurs seront en position de force pour exiger des hausses de salaires et maintenir leur pouvoir d’achat. Une telle dynamique ralentirait la réduction de l’inflation qui serait alors alimentée non plus par la hausse de la demande mais par les coûts du travail. 
 

L’inflation sera désormais partie intégrante du paysage macroéconomique mondial. Deux raisons : (1) les changements structurels affectant l’offre globale : liés à la pandémie, la guerre en Ukraine, les politiques de repli sur soi de nombreux pays et les nouvelles restrictions sur le commerce et les investissements directs étrangers. Tous ces facteurs augmentent les coûts de production et accentuent les vulnérabilités des pays moins résilients et plus sensibles aux chocs de l’offre ; et (2) les effets du changement climatique (chocs naturels) et les difficultés de la transition envisagée dans le cadre de l’accord de Paris compliquent l’approvisionnement énergétique, créent des pressions inflationnistes et forcent les banques centrales à des arbitrages plus difficiles.
Les performances de l’économie chinoise influencent l’inflation mondiale. 
 

Le ralentissement de l’activité économique a fait chuter l’indice des prix à la production à fin juin 2023 (5,5% en variation annuelle) et affaibli le yuan. Si l’essoufflement des moteurs de la croissance chinoise persiste au cours des mois à venir, il faudra alors s’attendre à une baisse de la demande de la Chine en matières premières et d’une chute des prix de ces dernières sur les marchés internationaux. Ceci entraînera des fluctuations à court terme des prix à la consommation aux Etats-Unis. A contrario, si un programme de relance budgétaire est mis en place, cela pourrait conduire à une hausse des prix des matières premières et à un inversement du mouvement de baisse des prix à la consommation aux Etats-Unis
 

Comment lutter contre l’inflation qui persiste ? deux axes : gestion de la demande et de l’offre et accroissement du chômage (avec risque de récession).  Gestion de la demande et de l’offre : implique une nécessaire combinaison politique monétaire – politique budgétaire pour assurer un retour à la stabilité des prix. Cette combinaison est incontournable quand les taux d’intérêt se situent à des niveaux si bas que la politique monétaire à elle seule devient inopérante. De ce fait, en tandem avec des interventions énergiques et opportunes de la part de la banque centrale, le recours à la politique budgétaire a deux objectifs : (1) atténuer certains effets secondaires de la lutte contre l’inflation par la politique monétaire et booster l’efficacité de cette dernière en matière de stabilité des prix; et (2) réduire la demande globale et par contrecoup les pressions inflationnistes (augmentation des impôts ; limitation des dépenses publiques ; diminution des emprunts de l’Etat auprès des banques centrales). Cette approche est la plus opérante. 
 

Cependant, si les autorités financières ne disposent pas de marge de manœuvre budgétaire et/ou de soutien politique pour activer le levier du budget, les banques centrales devraient conduire une politique monétaire plus prudente afin de ne pas déstabiliser les banques et créer des tensions systémiques. Dans ce contexte, les banques centrales pourraient alors opter pour un retour plus lent à l’objectif de réduction d’inflation, Dans ce cas, cette option doit être justifiée par le biais de paramètres rigoureux devant préserver la crédibilité de la banque centrale et éviter de perdre du temps précieux dans la lutte contre l’inflation. In fine, le pilotage de la lutte contre l’inflation persistance demande savoir-faire technique et politique. 
 

Chômage en hausse et recul de l’activité économique. Avec la baisse des marges bénéficiaires qui ont été un facteur inflationniste important, les banques centrales doivent désormais faciliter un équilibre du marché du travail pour ramener l’inflation à 2%. Ceci implique pour une hausse des taux de chômage de 1,8 points de pourcentage aux Etats-Unis, de 3,7% à 5,5% en 2024. Cet écart ne sera atteint qu’au prix d’une récession. La reprise du contrôle de l’inflation est possible mais elle demandera du temps, la réconciliation d’objectifs qui se neutralisent et des choix politiques extrêmement difficiles.
 

Algérie : La maîtrise de l’inflation qui a fait un retour marqué demande un renforcement de la politique monétaire et un programme global de réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles. Expliquons.

L’inflation a quadruplé entre 2020-2022 : Elle est passée de 2,4% en 2020 à 7,2% en 2021 et 10,2% en 2022 en raison d’une baisse de la demande liée à la pandémie, du creusement du déficit budgétaire global, de la hausse de l’inflation mondiale et de la désorganisation des circuits de distribution internes et externes. Pour le moyen terme, en l’absence de réorientation des politiques macroéconomiques et de réformes structurelles, l’inflation devait s’accélérer pout se situer aux alentours de 13-15% entre 2023-2026.    

L’inflation a une triple origine : (1) réelle et monétaire :  les moteurs de l’inflation à court terme sont les changements dans la masse monétaire et des prix des biens importés tandis que les variations de prix à long terme sont liées aux évolutions de la masse monétaire et du PIB réel non pétrolier. 

Pour ce qui est des élasticités, une étude du FMI fait ressortir : (i) une augmentation de 1% de la masse monétaire entraine une augmentation de 0,3% du niveau général des prix ; (ii) une hausse de 1% de la production réelle hors hydrocarbures entraîne une baisse de 0,2% du niveau général des prix ; (iii) une augmentation de 1% des prix importés contribue à une augmentation de 0,2% des prix intérieurs; et (iv) une dépréciation de 1% du taux de change effectif nominal a un effet limité de 0,1% sur les prix intérieurs. 
 

L’impact à long terme est encore plus faible. La masse monétaire reste donc un des éléments déterminants de l’inflation ; et (2) structurelle : les pratiques frauduleuses, l’absence de concurrence, la concentration et le foisonnement des intermédiaires contribuent à l’inflation.

Les outils de gestion de l’inflation ne sont pas efficients. En effet, l’efficacité du canal de transmission de la politique monétaire est affaiblie par : (1) l’environnement typique d’un pays pétrolier; (2) la volatilité des prix du pétrole ; (3) Le peu d’impact des taux directeurs sur les taux des prêts bancaires et d’épargne et également sur les autres taux du marché, notamment les bons du Trésors en raison de l’offre insuffisante et la forte demande; et (4) les rigidités structurelles : y compris le manque de concurrence dans le secteur bancaire, l’importance du secteur informel (environ 40% de l’économie), la dominance des espèces (36% de la masse monétaire), la pénurie de titres publics à long terme, le manque d’instruments d’épargne, l’inflation réprimée (du fait des subventions directes et indirectes et du régime des prix et des marges réglementés) qui empêche une évaluation solide des pressions inflationnistes sous-jacentes dans l’économie et depuis 2011 les taux subventionnés (permettant de fournir des crédits sans intérêt ou à faible taux d’intérêt aux ménages et aux entreprises).

Feuille de route éventuelle : dans le contexte d’une stratégie globale de refondation de l’économie, deux grands axes :

Axe 1 : mise en place à long terme d’une économie équilibrée, diversifiée et compétitive (avec un taux de change réel proche de sa valeur fondamentale) par le biais de réformes macroéconomiques et structurelles de grande envergure, y compris : (1) un mix macroéconomique pour agir sur la demande globale et l’offre globale ; (2) des actions structurelles pour améliorer la productivité ; et (3) un effort particulier pour assainir et moderniser la distribution dont l’efficience est cruciale pour stabiliser les prix à la consommation. 
 

Axe 2 : renforcement à court terme de l’efficacité de la politique monétaire dans un contexte de volatilité de la liquidité. De ce fait, il serait souhaitable de : 

(1) permettre à la politique monétaire de faire face aux variations de liquidité induites par la volatilité des prix des hydrocarbures en utilisant le ratio des réserves obligatoires ainsi que le taux de change lorsque cela est compatible avec l’objectif principal d’assurer la compétitivité extérieure; (2) revoir le cadre de politique monétaire au niveau des trois piliers qui font la force et l’efficacité d’un CPM (indépendance et responsabilité ; stratégie de politique et d’opérationnalité ; et  communication) ; (3) mettre en place une politique d’emprunt plus proactive de la part du ministère des Finances afin de renforcer la gestion de la liquidité, soutenir le développement des marchés financiers et améliorer le canal de transmission des taux d’intérêt ; (4) réexaminer les bonifications d’intérêts et suivre avec attention les impacts des effets des crédits bonifiés ; (5) mettre en œuvre un cadre institutionnel en appui du  crédit au secteur privé (centrale de crédits et renforcement du système de garantie des crédits) ; (6) renforcer le canal de transmission de la politique monétaire : meilleure gestion des liquidités, stérilisation de la liquidité bancaire dans un contexte de monétisation du déficit budgétaire, mise en vente des titres de créance au lieu de recevoir des dépôts (ce qui permettrait également des opérations de pension entre banques), et réduire la réduction de l’écart entre les marchés officiel et parallèle des changes par le biais de mesures à court terme, dont la diversification de l’offre de devises sur le marché interbancaire, une plus grande rationalisation des règles régissant les opérations de change et le relèvement des plafonds sur les voyages à l’étranger ; (7) restreindre l’usage du liquide dans l’économie : ce qui passe par la réduction de la taille du secteur informel sur le long terme, l’usage du chèque, le renforcement de la concurrence au niveau du système bancaire et la généralisation du système de paiements électroniques, etc.) ; (8) développer le marché des capitaux : en améliorant la gouvernance des banques et des entreprises publiques, y compris par le biais de l’ouverture de leur capital ; (9) renforcer le cadre de supervision (avec un cadre gérant les risques et une meilleure politique macro prudentielle) ; et (10) communiquer davantage, y compris par la publication de données régulières pour expliquer l’action de la BA. 


Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international
 

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