Bras de fer entre l’Union des avocats et le Ministère de la Justice : Vers un possible dénouement

19/09/2023 mis à jour: 06:34
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Photo : D. R.

Après la menace de boycott des activités judiciaires, brandie par l’Union nationale des Ordres des avocats (UNOA), la voie du dialogue semble être privilégiée afin d’éviter la paralysie des juridictions. Une rencontre regroupant les deux parties est prévue avant la fin de la semaine en cours, la veille d’une réunion de l’Union, à l’issue de laquelle le sort du bras de fer avec la chancellerie sera tranché.

L’appel au boycott des activités judiciaires, lancé par l’Union nationale des Ordres des avocats (UNOA), pour dénoncer le contenu des deux projets de loi portant code pénal et code de procédure pénale, déposés par le ministère de la Justice à l’Assemblée populaire nationale pour examen, a été suivi  d'actions pour anticiper sur toute paralysie des juridictions. Des sources du ministère de la Justice nous ont confirmé la tenue imminente (avant la fin de la semaine en cours), d’une réunion regroupant les responsables de l’UNOA et ceux de la chancellerie, dans le but de désamorcer la crise patente.

Une information qui a été confirmée par le président de l’Union, Me Brahim Tairi. «Nous sommes très optimistes. Des contacts ont eu lieu avec le ministère de la Justice et une réunion devrait avoir lieu incessamment. Notre position par rapport aux deux projets de loi restera la même et n’a d’autre intérêt que celui du justiciable. Jeudi prochain, l’Union tiendra une réunion et rendra ses décisions à la lumière de ce qui sortira de la rencontre avec la chancellerie», a déclaré Me Tairi.

Il a rappelé que l’organisation qu’il préside «a présenté des propositions de modification des deux projets de loi, mais, a-t-il souligné, elles n’ont pas été prises en compte».  En fait, si pour le projet du code pénal, l’Union a contesté onze articles, pour le projet de code de procédure pénale, elle s’est opposée à une quarantaine d’articles.

Les plus importants portent sur la comparution immédiate, la déclaration de culpabilité, la suppression des jurés en matière criminelle, la médiation au niveau de la police, la protection de l’avocat durant l’exercice de sa profession, etc. Pour ce qui est du projet de code pénal, la majorité des propositions présentées par l’Union sur les articles contestés, sont plutôt des correctifs ou des ajouts qui n’ont pas d’incidence sur le fond du texte à l’exception de quelques cas.

Pour nos sources du ministère de la Justice, les deux projets de loi «ont été élaborés après de longs débats. Les deux codes ont connu de nombreux amendements durant ces dernières années. Ils ont été alourdis avec les rajouts d’articles bis et même de chapitres bis. Il fallait reprendre tous les amendements et les refaire et avoir deux nouveaux textes. Sur les 856 articles du code de procédure pénale, il y a eu 46 nouvelles dispositions et 105 modifications qui,  faut-il le préciser, ont trait à des corrections de langue, des rajouts ou des suppressions qui n’ont aucune incidence sur le fondement du texte».

«Les portes du dialogue n’ont jamais été fermées»

Selon nos interlocuteurs, «la porte du dialogue avec l’Union n’a jamais été fermée». «Une réunion devrait avoir lieu cette semaine avec ses représentants.» Pour ce qui est des préoccupations de l’organisation des avocats, notre source a tenu à apporter quelques «précisions». D’abord à propos de la suppression des membres du jury de la composante du tribunal criminel. «Avant, il n’y avait qu’une seule voie de recours en matière criminelle, qui est la Cour suprême. Depuis 2015, cela n’est plus le cas. On a lancé une réflexion sur la présence des jurys après l’introduction de l’appel.

La suppression n’est pas venue comme çà. Elle est le fruit d’une importante étude d’experts qui a montré l’inutilité de la présence du jury. Raison pour laquelle, le projet de loi prévoit uniquement des magistrats, qui ne décideront plus selon leur conviction, comme le stipule  l’actuel texte, mais avec l’obligation de motiver leur décision. Une condition qui n’existe pas actuellement», ont expliqué nos interlocuteurs. Revenant sur l’article lié à la médiation au niveau de la police, en matière délictuelle et correctionnelle, nos interlocuteurs ont souligné que cet amendement «ne veut absolument pas dire que la justice s’est délestée de ses prérogatives.

Bien au contraire. Le nouveau texte a limité cette médiation aux affaires d’insultes, d’atteintes aux biens d’autrui, de  consommation sans payer, de non-paiement de la pension alimentaire, etc. Les deux parties doivent être d’accord pour cette médiation qui se fait sous le contrôle du procureur de la République.  Si l’une des parties s’y oppose, l’affaire est renvoyée devant le tribunal».

Sur l’article relatif à l’aveu de culpabilité devant le procureur, nos sources ont déclaré que «cette procédure se fait en présence de l’avocat et si le mis en cause refuse la transaction, elle s’annule de fait et s’il accepte, il sera renvoyé devant le juge, qui en audience est tenu de s’assurer de son consentement.  Ces nouvelles mesures rendent plus flexible la procédure. Certaines existaient déjà et d’autres ont été renforcées».

A en croire nos interlocuteurs, «les deux projets de loi sont très importants et ne devraient pas être une source de discorde avec la corporation des avocats». Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient, vers la fin du mois de juin dernier,  à l’ordre du jour de la commission juridique de l’Assemblée populaire nationale (APN), avant d’être renvoyés du fait que leur programmation coïncidait avec la fin de la session parlementaire.

Le 14 septembre dernier, ils ont été remis sur le bureau de la commission, avec l’épineux projet de règlement intérieur de l’Assemblée, en attente d’examen depuis des années. «Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un retrait. Il y avait trois projets de loi sur le bureau de la commission juridique, les projets de code pénal et de code de procédure pénale ainsi que le projet de règlement intérieur de l’APN.

Les trois ont été déprogrammés  pour une autre date. Cela ne veut pas dire que les projets de texte vont connaître de profonds changements. Nous allons entendre les avocats, mais la commission reste souveraine dans ses décisions. Après,  c’est au tour de l’assemblée de débattre les deux textes avant l’adoption », nous a affirmé un membre de la commission juridique de l’APN. A la lumière de tout ce qui a été dit par les uns et les autres, il semble qu’un terrain d’entente a dû être trouvé entre l’Union des avocats et la chancellerie, pour atténuer la tension et surtout éviter aux juridictions d’être paralysées dès l’ouverture de l’année judiciaire.

 

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