Biennale des arts de Venise : Mention spéciale du jury à l’artiste Zineb Sedira

30/04/2022 mis à jour: 05:38
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Zineb Bensdira, photographe, productrice de télévision

Au moment où Zineb Sedira l’avait présenté à la presse (El Watan du 2 mars 2022), El Watan s’était fait l’écho du travail de l’artiste «les rêves n’ont pas de titre». Aujourd’hui, il est possible d’en voir la matérialisation au pavillon français et sa place dans une biennale où la commissaire Cecilia Alemani a mis à l’honneur les femmes artistes. 

Empruntant pour la biennale à l’artiste surréaliste Leonora Carringtion le titre de son ouvrage Lait de nos rêves, la commissaire a sélectionné un ensemble d’artistes diversement montrées dans les expositions internationales. A ce titre, une autre figure représentative de l’art en Algérie, Baya, est exposée dans le pavillon central parmi d’autres artistes femmes des années 20-60. Quelles sont les raisons de leur reconnaissance ?

Une installation cinématographique et interactive 

Ce qui fait la force du travail de Zineb Sedira, ce n’est pas seulement le thème qu’elle aborde, celui de la mémoire politique de l’Algérie intimement lié à celui de la mémoire familiale - aspects déjà développés depuis Mother Tongue comme nous l’avions déjà évoqué mais la conception même de l’installation dont tous les éléments jouent les uns avec les autres : l’espace qui accueille le visiteur, le catalogue, la projection du film. 

Le scénario d’une exposition peut être rapproché de celui d’un film : c’est ce qui se passe avec le parcours imaginé par Zineb Sedira : quatre séquences avec des atmosphères différentes mais participant toutes de la fiction cinématographique en ce qu’elles se fondent sur la construction de décors et de rôles.

 Le spectateur est accueilli dans un café des années 60 par un couple qui danse, puis il peut se rendre dans une autre pièce inspirée de l’installation Way of Life présentée au Jeu de paume, qui reconstitue un salon des années 60 où l’artiste a utilisé documents et de photographies trouvés dans les archives de la Cinémathèque d’Alger. 

Au lieu de la vidéo Nadira (2019), centrée autour de l’évocation du festival panafricain d’Alger en 1969, un téléviseur diffuse une conversation entre deux artistes dont l’une est Sonia Boyce, une sorte d’alter ego de Zineb Sedira, représentant la Grande-Bretagne dans le pavillon à côté du pavillon français

 Dans une petite pièce adjacente, la présence d’un cercueil interroge le visiteur. Elle s’éclaircit lorsqu’il se rend dans la salle de projection où il peut visionner un film qui est à la fois une mise en abîme de l’histoire du cinéma, en l’occurrence celle du cinéma des premières années post-indépendance de l’Algérie et un regard rétrospectif sur son histoire familiale, partagée avec beaucoup d’Algériens, celle de l’exil.

Si une bonne part des images vient du film d’Ennio Lorenzini Les Mains libres / Tronc de figuier (1964-65), elles sont aussi empruntées aux grands noms du cinéma italien Pontecorvo pour La Bataille d’Alger, Visconti pour L’Étranger, aux documentaires. 

Loin d’être sous le signe de la nostalgie, le film suscite l’adhésion en ce qu’il fait appel aux rêves et aux désirs que véhicule le cinéma, et à la force de résilience qu’ils constituent : le thème de la danse, du tango, en témoigne avec un effet de résonance entre le couple de performeurs de la première salle et les échos du Bal d’Ettore Scola ou des dernières images où l’artiste est filmée en train de danser. 

Si le modèle cinématographique conditionne l’installation, l’installation rend hommage à ce genre culturel : la dernière salle, à l’instar des cinémathèques, accumule les bobines de films. 

Quant au catalogue, il est constitué de trois journaux imprimés sur un papier «pauvre» : Alger, Paris, Venise, trois lieux qui interviennent dans la narration Les rêves n’ont pas de titre. Le dernier, dont le sous-titre Conserver, montrer, rejouer, revivifier, est inspiré de l’essai d’Eugénie Zvonkine, «le film comme musée à (trans)porter et à projeter» éclaire l’originalité de l’installation de Zineb Sedira : pratique à la fois fictionnelle (comme le rappelle la référence à F for Fake d’Orson Welles) et curatoriale. 

En ce sens, l’artiste a mérité pleinement le prix qui lui a été attribué, son travail préservant non seulement les mémoires du cinéma mais les investissant dans une vie.

«Le lait des rêves» selon Cecilia Alemani 

Dans sa conférence de presse, la commissaire a présenté les axes qui ont guidé sa réflexion, notamment ce qu’elle appelle des «capsules spatiotemporelles» : ce sont des regroupements d’œuvres appartenant à une même époque : l’une d’elles s’intéresse particulièrement au surréalisme dans la mesure où il a privilégié sur un plan formel la métamorphose qui va de pair avec la critique de la vie que le mouvement mène. 

Deux œuvres de Baya Mahieddine provenant de la fondation Maeght sont présentes dans cette capsule, aux côtés d’œuvres d’artistes surréalistes, comme Leonara Carrington, Leonor Fini, Dorothea Tanning, Remedios Varo. 

Ce n’est pourtant pas la même histoire : le seul point de contact est André Breton qui a immédiatement reconnu le talent de Baya. 

Ses gouaches colorées sont certes séduisantes, comme l’aquarelle d’Antoinette Lubaki mais à les intégrer sans tenir compte du contexte socio-historique et du parcours de ces artistes ne risque-t-on pas de fausser l’interprétation de leurs oeuvres ?

 Quelle place ces œuvres perçues comme exotiques à l’époque où elles ont été montrées occupent-elles précisément dans une histoire de l’art occidentale ? Si la «capsule temporelle» permet de découvrir des œuvres d’artistes femmes peu montrées jusqu’à présent, comme celles d’Ida Par, d’Alice Rahon ou de Valentine de Saint Point, ce qui fait partie du plaisir de cette biennale, elle peut aussi induire des confusions. 

Au total, outre l’intérêt de l’installation de Zineb Sedira, le regard de la commissaire qui a cherché les artistes femmes les a aussi trouvées et fait apparaître sur la scène des grandes manifestations internationales ; que des récompenses aient été données à des artistes comme Katharina Fritsch ou Cecilia Vicunas pour leur carrière, à Sonia Boyce et à Zineb Sedira pour leurs propositions, à Simone Leigh pour ses sculptures n’est que justice.

( L’artiste a utilisé documents et photographies trouvés dans les archives de la Cinémathèque d’Alger )

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