La volonté de déterrer le projet de classement du patrimoine architectural de Bou Saâda et l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, projet initié dans les années 1970, vient d’être entamée par la société civile locale, avec à sa tête Mme Barkahoum Farhati, qui avait été reçue par le wali de M’sila, Abdelkader Djellaoui. L’anthropologue et historienne Barkahoum Farhati explique et justifie son action qui vise à mettre en valeur le patrimoine au pluriel de sa ville natale, Bou Saâda.
- Vous avez effectué des démarches pour relancer ce projet de classement du patrimoine architectural de Bou Saâda. Où en êtes-vous ?
Il va falloir revenir à la genèse de ce projet qui remonte à la création du musée Etienne Dinet, après l’Indépendance de notre pays. Le projet du musée de Dinet s’insert dans un projet global sur notre ville. Cela consiste à inscrire Bou Saâda sur la liste du patrimoine universel. C’est ce projet que j’ai envie de concrétiser, en le déterrant d’abord.
C’est un énorme projet qui avait été initié dans les années 1970, dans lequel, un travail gigantesque avait été effectué par les fonctionnaires de l’Unesco, de notre ministère de la Culture et de l’Information dirigé par Taleb El Ibrahimi, qui avait d’ailleurs délégué le directeur du patrimoine, en l’occurrence Mounir Bouchenaki, Baghli Sid Ahmed, et des autorités locales de Bou Saâda, notamment l’ex-maire, Safa Laylibi, un intellectuel de notre ville, et bien entendu quelques personnalités locales, telles que Mustapha Bisker. Tous les efforts de l’époque convergeaient vers la création d’un écomusée à Bou Saâda.
Les autorités algériennes avaient expliqué et sensibilisé de nombreuses personnalités, notamment l’expert égyptien Boutros Boutros Ghali (1922-2016) qui travaillait à l’Unesco, le muséologue de réputation mondiale et fondateur de l’ICOM (International Council of Museums) de l’Unesco, Georges Henri Rivière (1897-1985). Notre ville répondait à beaucoup de critères exigés pour la création d’un écomusée, avec son patrimoine pré-historique, historique, architectural hautement important.
D’ailleurs, le patrimoine architectural se partage en deux périodes, musulmane, avec la présence d’une centaine de mosquées, la vieille ville qui est une cité médiévale qui date du XIe siècle, fondation de l’époque andalouse, cela fait partie intégrante de la partie musulmane algérienne, et la seconde période concerne l’ère coloniale qu’il ne faut pas ignorer, car il appartient au patrimoine néo-mauresque.
Par conséquent, Bou Saâda est une ville du plateau, construite sur une trame romaine, avec son alignement urbain, sa végétation très importante dans ce quartier européen. Il faut ajouter les bâtiments du néo-mauresque et éclectique.
On y trouve l’art moderne et des mouvements artistiques européens, l’hôtel du Kerdada qui s’appelait à l’époque le Transat. L’autre patrimoine architectural repris par Fernand Pouillon, c’est l’hôtel le Caid.
Il s’agit d’une architecture incroyable, car leurs constructions datent des années 1920. Il existe moult architectures éparpillées dans le quartier du plateau qui avaient fait l’objet d’une étude. Il y a aussi cette magnifique ancienne école des filles construite dans les années 30 avec un style architectural néo-mauresque.
Il faut ajouter l’hôtel du Sahara, l’hôtel Oasis, un véritable chef d’œuvre, le siège de la daïra, l’ancien siège de la commune, le tribunal, des habitations, toutes ces infrastructures incroyablement construites avec le style très particulier moderne, néo-mauresque et éclectique.
Avec les fleurs, le cyprès, le cèdre et le bougainvillier, autant de flore qui agrémentent les rues et ruelles du quartier du plateau. C’est un autre site qui avait été mis en évidence à l’époque par les architectes, notamment notre compatriote Ali Lafer.
Il y a aussi l’oued de Bou Saâda que nous appelons actuellement le Belvédère, qui se compose de petits jardins andalous. Les habitants de Bou Saâda à l’époque transhument. En été, ils habitent dans ces jardins, et en hiver, ils regagnent leurs k’sars. Chaque jardin de cet oued disposait de son réseau traditionnel d’alimentation en eau potable.
- Mais revenons au projet d’inscription de la ville de Bou Saâda pour son classement sur la liste du patrimoine universel ?
Des démarches avaient été entreprises dans ce sens dans les années 1970. Bou Saâda n’a pas seulement une référence architecturale, mais elle possède son patrimoine immatériel, notamment le tissage du burnous, le tapis de haute laine, la kachabiya locale, le haik, la musique avec le «aiye aiye», un genre de musique saharienne bédouine propre à toutes les régions des Hauts-Plateaux, Ouled Djellal, Sidi Khaled, Bou Saâda, Laghouat, Djelfa, disons, toute la région des Ouled Nail.
Il y a aussi la modernisation de la danse de Bou Saâda, un travail effectué par un artiste-chercheur de Cherchell, qui s’appelle Nadir Roumani.
Tout ce que je viens d’énumérer fait partie des critères exigés pour le classement de Bou Saâda par l’Unesco ; car également du point de vue de la préhistoire, nous avons trouvé des dessins et des gravures rupestres, découvertes entre Bou Saâda, Ouled Djellal et Djelfa, fouillées d’ailleurs et classées.
On y trouve des cimetières très particuliers à Bou Sâada, musulmans avec leurs koubaâtes, le cimetière mozabite avec la mosquée des ibadites, le cimetière juif qui est conservé à ce jour, le cimetière chrétien a été délocalisé par les autorités.
Par conséquent, la ville de Bou Saâda et ses environs sont pourvus des éléments, du patrimoine immatériel, du patrimoine matériel et le riche passé historique, en l’occurrence, la guerre de Libération nationale, pour ne citer que l’exemple du fils de l’Emir Abdelkader, El Hachemi qui est enterré à Bou Sâada.
De nombreux citoyens de ma ville ont le souvenir des visites de l’Emir Khaled qui rendait visite à son père, car il était en résidence surveillée dans la zaouia d’El Hamel. Il existe la zaouia Rahmania qui est très visitée par nos compatriotes kabyles.
Ils sont venus en pèlerinage au mois de juin dernier, pour prêter allégeance à la zaouia Rahmania mère des atouts cultuels. Toute la Kabylie était là. J’ai assisté au diwan de la zaouia Rahmania, qui abrite l’une des grandes écoles coraniques. Il y a des subsahariens qui étudient et sont hébergés dans la zaouia d’El Hamel.
- Au ministère de la Culture, nous n’avons pas entendu parler de l’initiative algérienne pour le classement du dossier de Bou Saâda sur la liste du patrimoine universel…
En effet, nous sommes en train de constituer un groupe de travail autour de M. Bouchenaki, des personnalités de Bou Saâda, la Fondation Bisker, Ali Lafer. Nous avons le soutien de M. Djellaoui, wali de M’sila, et d’autres associations de la société civile. Les atouts ne manquent pas en matière de richesses touristiques et d’accueil dans les maisons d’hôtes.
Un patrimoine culturel, naturel, cultuel, architectural et historique qu’il faut valoriser, notamment cette mise en avant des lieux de mémoire, pour cette ville phare des activités touristiques et ses richesses culturelles.
Donc, je lance un appel à nos hautes autorités pour qu’elles nous soutiennent afin de concrétiser notre projet. Nous avons un wali, un architecte de formation qui est imprégné de la situation de Bou Sâada. Il nous reste ce coup de pouce de nos hautes autorités afin de faire aboutir notre projet auprès de l’Unesco.