Enseignant-chercheur en géographie et aménagement du territoire et spécialiste en adaptation aux changements climatiques des villes, Azzedine Madani plaide pour la révision de la politique nationale d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les instruments de planification territoriale devraient répondre, selon notre chercheur, à de nouvelles normes avec une amélioration de la qualité de leur contenu.
- Avec les changements climatiques en cours, quelles mesures pour adapter nos villes aux phénomènes extrêmes, entre épisodes caniculaires et inondations ?
Les scientifiques et les experts du domaine du climat n’ont pas cessé d’alerter, depuis plusieurs années, sur les dangers et les dégâts que peut engendrer le dérèglement climatique, sous toutes ses formes, sur la vie des populations et les infrastructures. Actuellement, la situation est devenue de plus en plus complexe à cause du grand retard enregistré dans l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation des causes. Les vagues de chaleur et les inondations exigent maintenant une attention particulière et plus d’engagement des techniciens et décideurs sur le terrain.
Il faut noter que l’urbanisation rapide, basée sur des pratiques techniques anciennes et qui ne répondent pas encore à certaines normes liées à l’adaptation aux changements climatiques, rend nos villes très vulnérables, et c’est le même constat dans d’autres villes à travers le monde. Les spécialistes techniques et les décideurs assument une part de responsabilité dans cette perte de résilience des villes.
Aussi, les académiciens et les chercheurs scientifiques doivent-ils jouer leur rôle dans le conseil scientifique qui accompagne les différentes parties dans la prise de décision. Certains pays enregistrent une avancée considérable dans l’adaptation aux changements climatiques. Ils devraient constituer des modèles d’inspiration pour permettre aux villes d’acquérir une résilience durable.
Il est aussi nécessaire de revoir la politique nationale d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les instruments de planification territoriale doivent répondre à de nouvelles normes avec une amélioration de la qualité de leur contenu. La complexité de la situation exige maintenant une meilleure maîtrise de la gestion des risques, qui doit passer en premier par cerner les différents risques liés aux changements climatiques dans chaque ville.
Cela exige l’établissement de plans d’adaptation aux changements climatiques pour chaque commune et wilaya, sachant que le plan d’adaptation national au changement est en cours de réalisation. Entre autres, il est très utile de revoir les procédures d’approbation de différentes études techniques pour améliorer leur qualité. Le volet formation continue des cadres techniques dans les collectivités locales et les ministères est à renforcer pour leur permettre d’acquérir les nouvelles techniques utilisées dans l’adaptation aux changements climatiques.
Dans ce même contexte, il est maintenant très utile de créer des directions de la recherche et de l’innovation dans les organigrammes de certains départements ministériels, comme le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables et également dans d’autres. Cela permettra à ces directions de développer des solutions aux problématiques de leur secteur par la contribution des chercheurs de haut niveau.
- Y a-t-il un plan spécifique à adapter aux villes du Sud ?
L’adaptation des villes du Sud ou du Nord exige une mesure essentielle : c’est d’agir à travers des aménagements pour rétablir le cycle d’eau qui a été gravement endommagé ou interrompu par des formes d’urbanisation ayant ignoré complètement ou partiellement ce cycle. Ce qui engendre des difficultés encore à l’eau pour s’infiltrer dans le sol ne trouvant d’autre voie que le ruissellement, et c’est cela que nous observons durant les inondations où l’écoulement de l’eau prend forme à la recherche d’un point de chute.
Ce trajet, marqué par une topographie et des formes de ruelles, lui facilite de prendre de la vitesse et de la force pour emporter tout sur son chemin. Maintenant, il est question d’intervenir sur ce point avec des aménagements spécifiques. Un travail très urgent et important attend pour remédier aux tissus urbains déjà existants. En revanche, les nouvelles constructions des ensembles urbains doivent suivre de nouvelles normes à introduire rapidement pour renforcer leur résilience. L’objectif est de rendre les villes perméables et bien gérer l’écoulement des eaux pluviales.
- Qu’en est-il des régions côtières ?
Le changement climatique présente plusieurs risques significatifs pour les régions côtières, il s’agit de l’élévation du niveau de la mer, qui peut entraîner des inondations récurrentes, lesquelles endommagent les infrastructures, les ports et les habitations. L’érosion côtière provoque le recul des plages et des zones littorales. Ce qui menace les habitations, les routes et les écosystèmes naturels. Notons aussi que l’intrusion de l’eau de mer dans les aquifères côtiers peut entraîner la salinisation des eaux souterraines et rendre l’eau potable plus rare et plus coûteuse.
Les phénomènes météorologiques extrêmes provoquent des risques et aggravent les inondations capables de causer des dégâts importants aux infrastructures côtières. Les vagues de chaleur affectent la santé publique et augmentent la demande en énergie pour la climatisation. Ce qui exerce une pression sur les réseaux de santé. Sur le volet économique, les impacts sont importants sur la pêche et l’aquaculture, puisque la hausse des températures et la modification des écosystèmes marins peuvent réduire la productivité des pêcheurs et menacer les moyens de subsistance des populations qui en dépendent.
Pour le tourisme, la dégradation des plages et la perte de paysages côtiers peuvent dissuader les touristes et engendrer des pertes dans ce secteur. Dans ces régions côtières, le dérèglement climatique pousse les populations à se déplacer vers les régions plus sûres, augmentant ainsi la pression sur les zones urbaines. Ces risques soulignent l’importance de mettre en œuvre des mesures d’adaptation, comme la construction de zones de défense côtières, et la sensibilisation des populations aux dangers du changement climatique.
- Que retenir des dernières inondations qui ont affecté les villes espagnoles ?
Plusieurs villes du monde ont enregistré des inondations ces derniers temps suite à de fortes précipitions. Pour certaines villes espagnoles, il est tombé l’équivalent d’une année de précipitations en quelques heures seulement, et cela, sur des sols secs ou artificialisés. Il ne faut pas oublier que l’Espagne ayant connu ces deux dernières années des sécheresses intenses. Cela a favorisé un phénomène de ruissellement, la terre se montrant incapable d’absorber toute cette eau.
La région de Valence, la plus touchée par les inondations et qui a enregistré plusieurs victimes, se caractérise par de nombreuses zones artificialisées, où les espaces naturels ont cédé la place au béton. Une ville devenue beaucoup plus imperméable à cause d’une urbanisation incontrôlée et mal adaptée aux potentialités physiques de la région et aussi marquée par une densité urbaine.
Pour ces inondations, et d’après des médias, il semble que des défaillances dans la gestion des risques climatiques sont à signaler, puisque la communication sur l’alerte rouge n’a pas circulé rapidement et que le manque de prudence d’une partie de la population est à l’origine du nombre élevé de victimes. Sachant que de nombreuses victimes sont mortes dans leur voiture en fin de journée au moment de rentrer chez eux (heure de pointe). Le renforcement de la gestion des risques climatiques et la sensibilisation de la population aux actions à prendre dans ce genre de situation demeurent une grande nécessité.
Notons que les mois de septembre et octobre ont enregistré des inondations dans plusieurs pays. A Marseille, en France, plusieurs quartiers ont été inondés le 8 octobre dernier. C’étai également le cas dans certaines régions en Italie. Ces régions y compris celles de l’Afrique du Nord se ressemblent un peu dans leur vulnérabilité aux risques climatiques et ils doivent rendre rapidement leurs villes perméables.
- Quel rôle pour les nouvelles technologies pour prévenir ces risques ?
Prévenir les risques climatiques, c’est les détecter avant leur survenue et préparer la population à réagir convenablement pour se protéger d’une manière connue au préalable. Dans ce cadre, les nouvelles technologies en matière de communication viennent mettre en œuvre les actions à mener. La diffusion de l’information pour les alertes météo doit être rapide et efficace à travers l’ensemble des médias et autres réseaux sociaux.
L’alerte précoce constitue un axe de recherche scientifique très important chez les spécialistes en adaptation aux changements climatiques qui continuent de chercher de solutions plus efficaces et selon chaque contexte. La réalisation du plan national d’adaptation aux changements climatiques nécessite une stratégie efficace dans la communication et l’alerte précoce qui prévoit des textes réglementaires permettant la diffusion immédiate des alertes de gestion des risques, dans les chaînes de TV et radio sans le besoin d’obtenir des autorisations.